Au sein de l’Union Européenne, la règle en matière d’affiliation à un régime de sécurité sociale est celle de l’unicité de la réglementation applicable : un travailleur ne peut être soumis qu’à un seul régime de sécurité sociale. En présence de travailleurs migrants, il convient donc de déterminer lequel est compétent.
Par principe, un travailleur est affilié au régime de sécurité sociale de l’Etat membre dans lequel il exerce son activité professionnelle . Lorsque ce travailleur est détaché au sein de l’Union Européenne, il est maintenu par dérogation au régime de sécurité sociale de l’Etat d’emploi habituel : l’Etat d’envoi.
La Cour de Justice de l’Union Européenne, récemment saisie d’une question préjudicielle par la Cour de cassation, a eu l’occasion de revenir sur la pratique du détachement au sein de l’Union Européenne (I) et plus particulièrement sur l’effet contraignant (II) et la contestation (III) des certificats délivrés aux travailleurs détachés.
1. Les règles de détachement en droit de l’Union européenne
Afin de faciliter le mouvement des travailleurs, les États concluent en principe des conventions bilatérales et/ou multilatérales pour leurs ressortissants, organisant par la même la coordination des systèmes de sécurité sociale entre eux. Toutefois en Europe, cette coordination est assurée entre tous les États membres, les États de l’Espace Économique Européen (EEE) et la Suisse non pas par ces conventions mais par des règlements européens.
La coordination des systèmes de sécurité sociale au sein de l’Union Européenne est ainsi assurée par le règlement (CE) n°883/2004 et son règlement d’application (CE) n°987/2009 qui ont remplacé à effet du 1er mai 2010, le règlement (CEE) n°1408/71 et le Règlement (CEE) n°574/72. Les dispositions prévues par ces règlements sont applicables à l’Espace Economique Européen (EEE) et à la Suisse .
Au terme de ces règlements, un salarié est considéré comme « détaché » au sens du droit de l’Union Européenne lorsque, exerçant une activité professionnelle dans un Etat membre pour le compte d’un employeur, il est envoyé sur le territoire d’un autre Etat membre pour exercer cette activité pour le compte de ce même employeur . Le détachement est nécessairement temporaire et ne doit pas avoir pour objet de remplacer un autre travailleur.
A l’occasion d’un détachement, le contrat de travail du salarié n’est pas rompu ; le lien de subordination qui le lie à son employeur est maintenu. Par conséquent, le travailleur demeure soumis à la législation de sécurité sociale de l’État d’envoi : ce travailleur et/ou son employeur sont dispensés du paiement des cotisations sociales dans l’État d’accueil.
En pratique, le travailleur détaché au sein de l’Union Européenne doit pouvoir justifier de cette situation si lui ou son employeur ne veut pas encourir des sanctions. A ce titre, le formulaire A1 est l’instrument qui permet d’attester de la situation du travailleur détaché en matière de sécurité sociale et lui permet de faire valoir ses droits le temps du détachement au sein de l’Union Européenne.
2. L’effet contraignant des certificats E 101
Le formulaire A1 se présente comme un document administratif délivré par les institutions de sécurité sociale de l’État membre où l’entreprise qui emploie les travailleurs détachés est établie. Il permet d’attester de leur affiliation au régime de ce même État, et vise in fine à faciliter la libre circulation et la libre prestation des services dans l’Union. Au sein de ce formulaire, l’État d’envoi précise que sa propre législation de sécurité sociale demeure applicable aux travailleurs pendant la période de détachement .
Dans la décision du 27 avril 2017, une société allemande disposant d’une succursale en Suisse employait des salariés dans le cadre de croisières organisées en France sur le Rhône et la Saône. Les salariés demeuraient affiliés au régime suisse de sécurité sociale en application de l’article 14.2.a). i) du règlement européen n° 1408/71. À l’occasion d’un contrôle, l’URSSAF décidait de notifier à cette société un redressement à hauteur de plus de deux millions d’euros au titre d’un rappel de cotisations sociales. Selon l’URSSAF, les certificats E101 délivrés par la société Suisse ne possédaient aucun fondement juridique de sorte que les salariés concernés auraient dû relever du régime français de sécurité sociale, et leur employeur auraient dû verser les cotisations et charges afférentes aux institutions françaises de sécurité sociale.
Un pourvoi a été formé par la société allemande devant la Cour de cassation, laquelle a interrogé la Cour de Justice de l’Union Européenne sur l’effet attaché au certificat E 101 « lorsqu’il est constaté que les conditions de l’activité du travailleur salarié n’entrent manifestement pas dans le champ d’application matériel des règles dérogatoires [du détachement] » .
Les faits d’espèce s’étant déroulés en 2007, ce sont les règlements n°1408/71 et n°574/72 que la CJUE a appliqués et ce sont les certificats E101, et non pas les formulaires A1, qui ont été délivrés.
2.1 Une jurisprudence constante de la CJUE en la matière :
La question de l’effet attaché au certificat E 101 n’est pas nouvelle et a déjà fait l’objet de réponses de la CJUE. A l’occasion de l’arrêt Banks puis de l’arrêt Herbosh Kiere , celle-ci avait affirmé que “aussi longtemps qu’il n’est pas retiré ou déclaré invalide le formulaire E101 s’impose dans l’ordre juridique interne de l’Etat membre dans lequel le travailleur salarié se rend pour effectuer un travail, et partant, lie les institutions de cet Etat membre”. En vertu du principe de coopération loyale [14], l’institution qui procède à la délivrance des formulaires apprécie de manière exclusive l’exactitude des mentions qui y sont inscrites, et par conséquent leur validité. En contrepartie, l’État d’accueil n’est pas fondé à remettre en cause unilatéralement cette délivrance. Le document s’impose donc aux autorités et aux juridictions de l’État membre dans lequel le travailleur détaché effectue sa prestation de service.
2.2 Une jurisprudence rappelée :
La Cour de Justice de l’Union a maintenu le raisonnement développé précédemment dans les affaires relatives à la force probatoire du certificat E 101. Elle affirme de nouveau que même lorsqu’il est évident que les salariés ne remplissent pas les conditions du détachement prévues par les règlements européens, les institutions et juridictions de l’Etat d’accueil ne peuvent sanctionner un employeur, et partant, procéder unilatéralement à un redressement au titre de cotisations impayées. Elles doivent tout d’abord, et quelles que soient les circonstances, respecter la procédure de dialogue et de conciliation prévues par les textes européens. En l’espèce, les autorités françaises n’avaient ici « ni épuisé la voie de dialogue avec la caisse d’assurance sociale suisse ni même tenté de saisir la commission de recours amiable ».
3. Comment contester la validité des certificats E101 ?
Lorsque des doutes sont portés sur la validité des certificats émis, l’État membre d’accueil est fondé à demander aux institutions compétentes de l’État d’envoi “le retrait dudit document”. À ce stade, les institutions compétentes s’en remettent au dialogue, à l’exclusion de toute action contentieuse.
Toutefois si un désaccord persiste, le litige est porté devant la commission administrative pour la sécurité sociale des travailleurs migrants (devenue Commission Administrative pour la Coordination des Systèmes de Sécurité Sociale (CACSSS) ). Il s’agit d’un organisme spécialisé de la Commission européenne dont la fonction principale est de concilier les interprétations divergentes des dispositions des règlements à l’échelle européenne. Là encore, aucune procédure contentieuse n’est engagée. Ce n’est qu’à l’issue de cette procédure de négociation et de dialogue qu’une procédure juridictionnelle peut être engagée à l’encontre de la décision de la commission.
La position de la Cour de Justice de l’Union Européenne relative à l’effet attaché au formulaire E101 et à la procédure de contestation est révélatrice de l’importance accordée par celle-ci à la coopération loyale entre Etats Membres.
Réitérée plusieurs fois, cette position a finalement été entérinée à l’article 5 du Règlement 987/2009.
La Commission européenne entend néanmoins aujourd’hui réviser les dispositions applicables en matière de détachement afin de « renforcer les règles administratives en matière de coordination de la sécurité sociale des travailleurs détachés » de manière à ce que « les autorités nationales disposent des outils nécessaires pour vérifier le statut de ces travailleurs au regard de la sécurité sociale » .
Par Thibault Bournonville, Etudiant en Master Droit de la protection sociale d’entreprise à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, apprenti à la Fédération française du bâtiment
& Charlotte Coisne, Etudiante en Master Droit de la protection sociale d’entreprise à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, apprentie chez Adréa Mutuelle