« « The gardian angel of the anglo-saxon » est l’expression utilisée par D.J. Hayton dans son ouvrage The Law of Trust pour rendre compte de l’importance de la notion de trust dans les systèmes de common law. En effet, selon cet éminent spécialiste de la matière, le trust joue un rôle vital dans la société britannique et dans les pays autrefois gouvernés par la Grande Bretagne comme les États-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Inde.
Pierre Lepaulle, avocat français renommé, a déclaré : « des Accords des plus grandes guerres au plus simple héritage, du plus audacieux complot de Wall Street à la protection des petits enfants, le trust voit défiler devant lui le cortège hétéroclite de tous les efforts de l’humanité : les rêves de paix, l’impérialisme commercial, les tentatives d’anéantir la concurrence ou d’atteindre le paradis, par haine ou par philanthropie, l’amour d’un proche de sa famille ou le désir de le dépouiller de tout après un décès ; tout cela dans un défilé où les protagonistes sont habillés de robes ou de haillons, couronnés d’une auréole ou marchant en souriant. Le trust est l’ange gardien de l’anglo-saxon, l’accompagnant partout impassiblement, du berceau jusqu’au tombeau ».
Auparavant, F.W. Maitland, grand historien du droit, a écrit : « si on nous demandait quelle est la plus grande et la plus distinctive réalisation accomplie par les anglais dans le domaine de la doctrine, je ne pense pas que nous devrions avoir de meilleure réponse à donner que celle-là, à savoir le développement au fil des siècles de l’idée de trust » »[1].
Nous voyons donc l’importance accordé à cette institution dans le droit anglais. Le mécanisme du trust se résume à un fondateur du trust, le settlor, ayant décidé de se dessaisir de tout ou partie de ses biens, trust fund, charge une personne de confiance, le trustee, de gérer ces biens en faveur d’un ou plusieurs bénéficiaires, beneficiaries, dans les conditions pouvant être déterminées par un document, le trust deed.
Le constituant va ainsi confier ses biens à un tiers au profit d’un bénéficiaire. On connait en France la stipulation pour autrui et le législateur a également récemment consacré la fiducie dans notre droit. La loi du 19 février 2007 a ainsi introduit la fiducie en droit français après trois tentatives en 1989, 1992 et 1995, toutes les trois sans succès en majeur partie à cause de la crainte d’une utilisation de la fiducie à des fins d’évasions fiscales et de blanchiment de capitaux. L’article 2011 du Code civil nous donne ainsi la définition suivante ; « La fiducie est l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires ». L’article 2012 s’empressant de rajouter que « la fiducie est établie par la loi ou par contrat ». La fiducie s’inscrit ainsi assurément dans une relation contractuelle. La question se pose alors de savoir si l’institution du trust et l’opération qui en découle, généralement triangulaire, peut être qualifiée de contrat ?
Voyons que le trust est une institution autonome en droit anglais (I) dont le régime (II) est bien différent des conceptions que peut connaitre un juriste de tradition civiliste.
I. L’institution du trust
Le trust est né au Moyen-Age et s’est développé grâce à une protection juridictionnelle spécifique (A). Le trust s’est écarté du droit de la common law et permet au constituant de donner naissance à une opération souvent triangulaire de façon unilatérale (B).
A. Une protection juridictionnelle spécifique à l’origine du trust
Le trust est une institution née en Angleterre par une situation historique particulière[2]. Ce rappel historique permet de répondre en partie à la question de savoir pourquoi le trust n’est pas un contrat. C’est en effet lors des croisades que cette institution a été utilisée par le Chevalier croisé remettant ses biens entre les mains d’un ami pour que ce dernier gère ce patrimoine au profit de sa famille. Et c’est dans le cadre d’un litige, notamment en cas de décès du Chevalier et lorsque l’ami entendait conserver les biens, qu’intervenait le secrétaire du Roi, le Chancelier, pour certaines activités judiciaires.
Le Chancelier jugeait ainsi les « amis » indélicats ce qui a entrainé la création d’une juridiction spécialisée avec un droit nouveau et autonome, l’Equity Law, à côté des cours royales qui jugeaient selon la Common Law, droit dans lequel on retrouve la source du contrat. Cette distinction existe encore aujourd’hui et l’on retrouve le terme de « Chancelier » dans le nom de la juridiction spécialisée, la Chancery Division de la High Court. Le bénéficiaire/beneficiary, se voit ainsi reconnaître la propriété équitable/equity title des biens mis in trust.
Le juge a véritablement un rôle « paternaliste » dans l’exercice de ses fonctions, quasi tutélaires, comme par exemple conférer au trustee le pouvoir d’accomplir un acte que l’instrument ne lui reconnaît pas, ratifier une réorganisation du trust ou autoriser le trustee à payer un « pot de vin » dans les pays où cette pratique est nécessaire. On le voit, le rôle du juge est donc complétement différent de celui du juge du contrat français qui, traditionnellement, n’intervient pas dans la relation établie entre les parties sur le fondement de la force obligatoire du contrat de l’article 1134 al.1 du Code civil. On le voit par exemple dans le cadre de la problématique du refus de la révision pour imprévision[4].
Le mécanisme du trust illustre parfaitement la relation en triangle fondée sur la confiance. Une personne (trustee) est investie, par le constituant (settlor), de la propriété légale/legal title de certains biens tenus en trust/in trust pour pouvoir les gérer au profit d’une autre personne (le bénéficiaire/beneficiary), qui se voit reconnaître la propriété équitable/equity title de ces biens, ou au profit d’une fin particulière permises en droit/permitted by law[5].
B. Une opération triangulaire naissant d’un engagement unilatéral
Les tentatives de définition du trust nous éclairent sur la nature de cette institution. A la différence du contrat, il n’existe pas de définition « officielle » du trust car il semble qu’aucune définition n’ait été acceptée comme complète et exacte. Le juriste anglais Underhill propose de voir le trust comme « une obligation équitable, liant une personne, appelée le trustee, en vue de gérer des biens sur lesquels elle exerce un contrôle, appelés les biens du trust, pour le bénéfice de personnes appelées bénéficiaires ou cestuis que trust, dont il peut être l’une d’elle et de quiconque peut exiger l’exécution de l’obligation »[6].
Une définition classique du trust se trouve dans Halbury’s laws of England : « lorsqu’une personne a dans son patrimoine des droits dont elle est titulaire ou qu’elle est tenue d’exercer dans l’intérêt ou pour le compte d’une ou plusieurs autres personnes ou encore pour l’accomplissement d’un ou plusieurs buts déterminés, elle est considérée avoir ces droits in trust dans l’intérêt du ou des bénéficiaires ou pour l’accomplissement du ou des buts dont il s’agit. Le titulaire de ces droits et un trustee…, lequel dispose de pouvoirs fiduciaires et est uni au bénéficiaire en vertu d’une relation fiduciaire ». Nous remarquons que dans ces deux définitions, et cela est commun aux définitions des auteurs anglo-saxons, la notion de constituant disparaît totalement de l’institution car le trust, une fois constitué, échappe en principe au settlor.
Le professeur Keeton dans The Law of trusts propose de définir le trust comme « une relation qui naît à chaque fois qu’une personne appelée le trustee est tenue en Equity de garder des biens ou droits (property) réels ou personnels, à un titre soit légal soit équitable, au profit de personnes dont elle peut être l’une d’elles, et qui sont nommés cestuis que trust ou pour un objet permis par la loi, de telle façon que le véritable bénéfice des biens profite non pas au trustee mais aux bénéficiaires ou aux objets du trust ».
La convention de La Haye du 1er juillet 1985 « Convention relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance » pose les caractéristiques essentielles que doit présenter une institution pour être regardée comme un trust. La Rapport von Overbeck précise ainsi que l’article 2 ne contient pas une « définition » en tant que telle[7]. Selon la convention, le trust présente les caractéristiques suivantes :
a) les biens du trust constituent une masse distincte et ne font pas partie du patrimoine du trustee ;
b) le titre relatif aux biens du trust est établi au nom du trustee ou d’une autre personne pour le compte du trustee ;
c) le trustee est investi du pouvoir et chargé de l’obligation, dont il doit rendre compte, d’administrer, de gérer ou de disposer des biens selon les termes du trust et les règles particulières imposées au trustee par la loi.
Nous voyons ainsi par l’étude de ces différentes définitions que ni la doctrine, ni les instruments internationaux tels que la Convention de La Haye ne semblent se rallier à une définition proche de celle du contrat. Au mieux, le professeur Keeton parle de la naissance d’une « relation » mais l’on voit bien que la constitution du trust résulte de la seule volonté du constituant. C’est donc un engagement unilatéral, à l’opposé de l’accord de volonté créateur de la relation contractuelle.
L’une des utilisations les plus classiques du trust permet de réduire de façon significative le patrimoine du settlor à son décès et donc les droits à payer (même si l’application des droits de mutation à titre gratuit lors de la mise des biens in trust peut éliminer l’avantage de ce mécanisme). D’ailleurs, notons que le droit anglais ne connait pas le système français de la réserve légale et qu’en conséquence, une personne peut librement disposer de ses biens. Mais les trusts sont très fréquemment utilisés dans d’autres domaines comme les fonds de retraites, les activités financières charitables ou encore la mise en trust d’un immeuble possédé par plus d’une personne. Cette institution dispose pour ce faire d’un régime spécifique.
II. Le régime du trust
Le trust est une institution autonome naissant de façon unilatérale donc à l’opposé de l’accord de volonté permettant la relation contractuelle (A) et s’ajoute à cela une conception du patrimoine (B) remettant en cause la tradition civiliste d’unicité d’Aubry et Rau.
A. Une institution à l’opposé du contrat
Le trust n’est pas un contrat. « Il résulte en effet d’un engagement unilatéral du constituant, qui transfère une partie de ses biens à un tiers, le trustee, ce dernier les utilisant au profit de bénéficiaires ou dans un but précis. Au contraire, le contrat naît d’un accord de volonté entre les parties par lequel chacune s’engage à fournir une contrepartie à la promesse de l’autre. Le contrat donne naissance à des droits personnels d’une partie envers l’autre, alors que le trust crée un droit réel, un droit de propriété équitable au profit de tiers. Par ailleurs, dans le contrat, l’objet est transféré du patrimoine de l’une des parties dans le patrimoine de l’autre partie alors que dans le trust, le bien transféré par le constituant n’entre pas dans le patrimoine personnel du trustee ; il constitue une masse indépendante, seulement disponible au profit des bénéficiaires. »[8].
Le trust se distingue du contrat car la contrepartie/consideration, qui est essentielle dans le contrat de la common law, n’est pas un élément essentiel du trust, et car, contrairement au contrat qui crée des droits personnels entre les parties, le trust crée des droits propriétaires/proprietary rights au profit du fiduciaire et du bénéficiaire. Le bénéficiaire n’est généralement pas obligé ni envers le settlor ni envers le trustee. Le trust peut naitre d’un trust exprès/express trust (déclaration, donation, testament) mais aussi d’un jugement ou de la loi c’est-à-dire les trust réversifs/resulting trust ou presumed trusts (déclarés par le juge et fondés sur l’intention des parties) ou encore par interprétation/constructive trust mis en place pour assurer l’exécution d’obligations et éviter des situations injustes.
- Express trust car le propriétaire des biens doit exprimer sa volonté sans équivoque d’imposer au trustee l’obligation, susceptible d’être sanctionnée judiciairement, de détenir et gérer lesdits biens au profit d’une ou plusieurs tierces personnes.
- Presumed trusts dont l’existence est déduite du comportement du propriétaire des biens. Lorsqu’une personne transfère des biens à une autre en l’absence de consideration c’est-à-dire de contrepartie à l’engagement souscrit[9] ou contribue à l’achat d’un bien commun. Cette présomption tombe si on apporte la preuve contraire.
- Constructive trust lorsque l’existence d’un trust est reconnue sans qu’il soit tenu compte de la volonté des parties. Cela permet d’éviter l’enrichissement sans cause :
- soit d’une personne qui, déjà trustee, a tiré de cette situation un avantage personnel ;
- soit de toute personne qui s’immisce dans la gestion du trust ;
- soit, enfin, de celui qui accepte en toute connaissance de cause qu’un bien mis en trust lui soit frauduleusement transféré.
On le voit le bénéfice de tiers est un trait fondamental de l’institution du trust. Cela s’explique sans doute car le droit anglais ne connaît pas la théorie générale de la stipulation pour autrui que l’on retrouve à l’article 1121 du Code civil. L’effet relatif des contrats exige que seule une partie à un contrat peut exiger son exécution, l’article 1165 dispose en effet que « les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ». L’essence du trust, au contraire, est de conférer au bénéficiaire un droit d’agir en justice pour faire valoir ses droits sur les biens mis in trust. Le bénéficiaire est titulaire d’un droit de propriété, tout comme le trustee.
Cette différence notable entre le droit anglo-saxon et le droit civil bouleverse la conception du patrimoine et du droit de propriété. Dans un contrat de vente par exemple, l’objet du contrat passe du patrimoine d’une partie au patrimoine de l’autre contractant. Dans le trust au contraire, le bien transféré par le constituant au trustee ne passe pas dans le patrimoine de celui-ci. Il constitue une masse séparée.
B. La conception anglo-saxonne du patrimoine « d’affectation »
En France, la théorie classique du patrimoine est celle d’Aubry et Rau. Le patrimoine est « l’ensemble des biens d’une personne, envisagé comme formant une universalité de droit ». Le concept de patrimoine est donc ici un reflet de la personnalité et donc comme elle, il est soumis aux principes d’unité, d’indivisibilité et d’inaliénabilité[10]. Cette conception permet à une personne de s’engager, en garantissant que ses biens présents et futurs répondent de ses dettes actuelles et à venir.
La caractéristique essentielle du trust est que les biens in trust n’entrent pas dans le patrimoine du trustee. Le trustee est propriétaire dans l’intérêt d’autrui et non pas dans son propre intérêt. C’est ce qui explique une distinction qui est la clef de compréhension de ce mécanisme, la distinction entre le legal ownership et le beneficial ownership ou equitable ownership. Le trust donne donc naissance à une fragmentation du titre de propriété en séparant l’administration du bien et la jouissance du bien in trust. Le legal title est reconnu au fiduciaire/trustee alors que l’equitable title repose sur le bénéficiaire/beneficiary. Les deux sont considérés comme des propriétaires[11].
Cette distinction dépasse le mécanisme du trust et du contrat et touche à la théorie générale du droit des obligations mais montre les différences qu’il peut y avoir entre tradition juridique anglaise et tradition juridique civiliste.
Laurent Bibaut
M2 Droit du commerce international
Notes
[1] http://droitdutrust.online.fr/, l’étendue des droits des bénéficiaires du trust en droit anglais, Institut de droit comparé Edouard Lambert, Université Lyon 3, 1999
[2] L’institution utilisée était d’abord les uses puis le trust
[3] J.-P. BERAUDO, Les trust anglo-saxons et le droit français, L.G.D.J 1992, p.11
[4] Cour de cassation, chambre civile, 06 mars 1876, Canal de Crapone
[5] EMERICH (Y.), Les fondements conceptuels de la fiducie française face au trust de la common law : entre droit des contrats et droits biens, RIDC, 1-2009, p.49
[6] Cité in J.-P. BERAUDO, Trust, Répertoire international Dalloz
[7] Alfred E. von Overbeck, Rapport explicatif, pt 36
[9] Dossiers Internationaux Lefebvre,Royaume-Uni, 3e édition, 2003, 601
[10] EMERICH (Y.), préc. cit.
[11] LARROUMET (C.), La loi du 19 février 2007 sur la fiducie. Propos critiques, Recueil Dalloz, 2007, p.1350 |
Pour aller plus loin
I. Traités, dictionnaires et ouvrages généraux
JOLOWICZ (J.-A.) (dir.), Droit Anglais, Dalloz, 1992
II. Ouvrages spéciaux et thèses
BERAUDO (J.-P.), Les trusts anglo-saxons et le droit français, L.G.D.J, 1992
CANTIN CUMYN (M.) (dir.), La fiducie face au trust dans les rapports d’affaires, éd. Bruylant, 1999
VON OVERBECK (A. E.), Rapport explicatif de la convention de La Haye du 1er juillet 1985 « Convention relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance
III. Répertoires et ouvrages pratiques
CODE CIVIL DOSSIERS INTERNATIONAUX LEFEBVRE, Royaume-Uni, 3e édition, 2003 REPERTOIRE DALLOZ INTERNATIONAL, J.-P. BERAUDO, Trust, 1998 REPERTOIRE DALLOZ SOCIETE, fiducie, 2007
IV. Articles et chroniques
EMERICH (Y.), Les fondements conceptuels de la fiducie française face au trust de la common law : entre droit des contrats et droits biens, RIDC, 1-2009, p.49 LARROUMET (C.), La fiducie inspirée du trust, Recueil Dalloz, 1990, p.119 LARROUMET (C.), La loi du 19 février 2007 sur la fiducie. Propos critiques, Recueil Dalloz, 2007, p.1350 WITZ (C.), La fiducie française face aux expériences étrangères et à la convention de La Haye relative au trust, Recueil Dalloz, 2007, p.1369
V. Site internet
http://droitdutrust.online.fr/ |