Pour sa table-ronde annuelle, le Master 2 DPG a convié Monsieur Jean-Pierre Marguénaud, professeur de droit privé, maître Marion Lesueur, avocate au barreau de Rennes et le docteur Christine Ferry, vétérinaire. Le Doyen Edouard Verny, professeur de droit pénal a accepté de présider cette table-ronde autour de laquelle les discussions ont été enrichissantes. En voici un résumé.
Monsieur MARGUENAUD, quel est le statut juridique de l’animal aujourd’hui ?
Jean-Pierre Marguénaud : Il faut distinguer entre les animaux sauvages et les animaux domestiques. Les premiers sont des res nullius et ce serait déjà un progrès s’ils étaient res communis. Aucun animal sauvage n’est protégé contre les actes de cruauté. En ce qui concerne les animaux domestiques, le Code civil proclame toujours qu’ils sont des immeubles par destination ou des meubles. En un mot, les animaux domestiques sont des biens.
Si le droit civil évoque l’animal comme un bien, que penser alors de le place des sévices graves dans le livre V du code pénal (et non dans le livre III), place qui suppose plutôt l’idée inverse ?
J.-P. M. : Il y a quelque chose de bizarre là-dessous. Lors de l’élaboration du nouveau Code pénal, le législateur, entre autres travaux a classé les infractions en trois catégories : les infractions contre la chose publique, les infractions contre les personnes et les infractions contre les biens. Au moment de répartir les actes de cruauté, tout portait à les ranger dans le Livre III avec les autres infractions contre les biens. Mais un sénateur a fait remarquer que les animaux étaient protégés dans leur intérêt propre, y compris contre leur propriétaire. Etait-ce bien logique dès lors de les ranger dans le Livre III ? On a donc crée le Livre V « des autres crimes et délits » pour les y accueillir.
Pour le droit pénal donc, les actes de cruauté contre les animaux ne sont pas des infractions contre les biens, ce qui peut conduire à dire que les animaux ne sont pas des biens. Cela pose un problème de cohérence avec le Code civil.
Edouard Verny : Il y a aussi un problème de cohérence au sein même du Code pénal : nul ne doute qu’un animal puisse être volé ou faire l’objet d’une escroquerie ou d’un abus de confiance. Du point de vue de ces infractions, l’animal est donc un bien. Il est également assimilé à une arme au titre de la circonstance aggravante de violences avec arme. Même au sein de la matière pénale donc, on peut souhaiter une cohérence plus affirmée.
Docteur FERRY, en tant que vétérinaire, quand vous entendez un juriste dire d’un chat qu’il est un meuble, qu’est-ce que cela vous inspire ?
Christine Ferry : Selon moi, il apparaît étrange de qualifier un animal de meuble. Un meuble est inerte, il n’a pas besoin d’un intérêt particulier ou d’un entretien, on peut s’en débarrasser. A contrario, un animal est un être vivant qui a besoin d’une attention toute particulière ; en cas d’abandon, son comportement en est affecté.
Maître LESUEUR, en tant qu’avocate, vous avez travaillé auprès d’associations de protection des animaux. En quoi consistait votre travail ?
Marion Lesueur : J’interviens sur le plan pénal en partenariat avec des associations de défense des animaux. Recourant à des enquêteurs qui leur rapportent des cas de mauvais traitements, elles déposent des plaintes pour se constituer partie civile. Ces associations viennent donc au soutien de l’action publique et ce soutien n’est pas négligeable ! La présence d’un avocat spécialisé est importante car le statut juridique des animaux et les infractions dont ils sont victimes sont mal connus. Le rôle de l’avocat est d’expliquer par exemple en quoi la poursuite est inadéquate du fait notamment d’une erreur d’interprétation des règles existantes : un fait qui aurait été qualifié de contravention pourrait s’avérer être un délit.
Monsieur MARGUENAUD, pourquoi est-il nécessaire selon vous de faire évoluer le statut juridique de l’animal ?
J.-P. M. : Tom REGAN, ardent défenseur du droit des animaux, reprenait justement une formule du philosophe John Stuart MILL : « Tout grand mouvement doit faire l’expérience de trois étapes : le ridicule, la discussion, l’adoption ». Dans le cas du statut juridique des animaux, il faut considérer que nous sommes à l’heure actuelle dans la phase du ridicule. En effet, nombreux sont ceux qui considèrent qu’il est plus judicieux de s’occuper des humains plutôt que des animaux. Mais les idées évoluent et l’on peut dire que nous progressons pour passer de la phase du ridicule à la phase de la discussion.
La difficulté majeure réside dans le Code civil. Tant que les questions animalières demeureront pour le droit civil des questions mobilières, les animaux seront toujours relégués au second plan. Les considérer comme des biens est un bon moyen de verrouiller le débat.
Certes, un changement du statut civil de l’animal ne modifiera en rien la situation des animaux dans l’immédiat mais permettra néanmoins de redéfinir le contexte et de lancer le débat à l’avenir. Je pense par exemple que le juge n’aura pas la même audace dans son interprétation des textes selon que l’animal sera considéré comme un bien ou comme un être doté d’un statut propre.