La fiscalité directe est un domaine qui relève de la souveraineté des États membres. Ainsi, toute décision touchant la fiscalité doit être prise à l’unanimité par les membres du Conseil. Il est par conséquent difficile d’obtenir un consensus et d’harmoniser les législations fiscales au niveau européen. Aujourd’hui, force est de constater que la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE, anciennement CJCE), par les décisions qu’elle rend, joue un rôle important pour coordonner les règles fiscales.
Harmonisation fiscale européenne : état des lieux
Alors que la fiscalité indirecte (frappant des opérations ponctuelles telles que la TVA sur les achats) est largement harmonisée au niveau européen, les avancées sont beaucoup plus limitées en matière de fiscalité directe (frappant les revenus et résultats des contribuables). En effet, pour répondre à l’objectif du marché intérieur qui est d’assurer la libre circulation des marchandises, des services et des capitaux au sein de l’Union, les États membres ont fait le choix d’homogénéiser leurs fiscalités indirectes. Cette harmonisation est très aboutie comme en témoigne le paquet TVA (Directive 2006/112/CE) applicable en France depuis le 1er janvier 2010.
En revanche, la fiscalité directe n’a connu que peu d’avancées. Seules quelques directives concernant des points précis, tels que les fusions ou la distribution de dividendes, ont été adoptées par les États membres à ce jour.
La règle de l’unanimité
Ce constat est lié au mode de fonctionnement du Conseil. En effet, l’article 115 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (ex article 94 du Traité de Rome) dispose que les décisions en matière de fiscalité doivent être prises à l’unanimité des membres. Si la perspective du marché intérieur a suffi à ce que les États membres renoncent à leur souveraineté en matière de fiscalité indirecte, il en a été différemment pour la fiscalité directe.
L’harmonisation négative du juge communautaire
Le juge communautaire joue un rôle indirect en matière de fiscalité. En effet, lorsque le juge de la CJUE établit le caractère discriminatoire d’un dispositif fiscal, il condamne l’État fautif et l’encourage à modifier sa législation.
L’action de la Commission va dans le même sens lorsque, suite à un arrêt rendu par la CJUE, elle adresse un avis à certains États membres pour qu’ils mettent leur législation en conformité avec le droit communautaire. Ainsi, par le contrôle du respect des libertés fondamentales, le juge arrive à créer indirectement du droit en matière de fiscalité directe. On parle d’harmonisation négative.
L’exemple de la jurisprudence Papillon
Dans un fameux arrêt du 27 novembre 2008, la CJCE a condamné le régime français de l’intégration fiscale au motif qu’il ne permet pas d’en faire bénéficier les sociétés implantées en France dont le capital est détenu par des entreprises de l’Union Européenne ; ce régime porte donc atteinte à la liberté d’établissement (CJCE 27-11-2008 aff.418/07). Le législateur français a pris en considération la position du juge communautaire et, dans la loi de finances rectificative pour 2009, a modifié le régime de l’intégration fiscale en élargissant le périmètre du groupe fiscal aux sous-filiales françaises détenues par l’intermédiaire de sociétés implantées au sein de l’Union européenne.
On a ici un exemple frappant de l’immixtion du juge communautaire dans la législation nationale.
Perspectives d’évolution
Comme l’a résumé Patrick Dibout, à l’heure actuelle, « la construction d’une fiscalité communautaire se fait davantage à Luxembourg qu’à Bruxelles » (la fiscalité à l’épreuve de la liberté de circulation des capitaux, Droit fiscal 2000, n°42, pp. 1365-1372). En se prononçant sur la pertinence des mesures fiscales nationales et sur leur conformité au droit communautaire, le juge s’est introduit dans le droit interne des États membres.
Si aujourd’hui, la règle de l’unanimité est un frein à l’harmonisation fiscale à l’échelle européenne, la coopération renforcée semble être une voie possible pour relancer le processus d’homogénéisation. En effet, cet outil, fondé sur le volontarisme de certains États ayant décidé de renforcer leur action commune sur un sujet défini, semblerait, malgré la complexité du processus, pouvoir donner une nouvelle impulsion à l’harmonisation de la fiscalité directe au niveau communautaire.
Virginie Leprizé
Paul Féral-Schuhl
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