Dans un contexte de mondialisation des échanges et des mouvements des capitaux, les entreprises multinationales augmentent leurs risques inhérents aux pays dans lesquels elles sont présentes ou souhaitent investir. Elles sont donc contraintes de prendre en compte le concept du risque pays afin d’orienter leurs stratégies d’investissement et de développement[1].
Le terme de risque pays, déjà évoqué dans les années 1970 par des économistes américains tel que Sargen, est réapparu sur la scène économique suite à la crise économique de 2008. Dans un premier temps, il convient donc de définir ce qu’on entend par risque pays. Si on reprend la conception de l’agence de notation Standard & Poor’s « le risque pays comprend tous les risques de nature réglementaire, politique, économique, financier, social et environnemental afférents à un pays. » Le risque pays permet de mesurer la qualité de crédit des entreprises localisées dans un pays donné. Il s’agit de l’analyse de l’Etat, d’administrations publiques et d’entités non gouvernementales.
Pourquoi le risque pays occupe-t-il une telle importance dans notre société ? L’internationalisation des échanges commerciaux implique une croissance des investissements directs étrangers dans les pays émergents. Ces pays sont en pleine expansion ce qui explique que les flux d’investissements directs étrangers sont majoritairement à destination de ces pays où les risques sont parfois nombreux.
Il s’agit alors de concilier d’un côté les intérêts des entreprises multinationales qui désirent investir dans ces pays, car ceci leur permet de délocaliser leurs activités et d’augmenter leur profit. D’autres raisons sont la recherche de nouveaux marchés, de ressources naturelles situées dans les pays émergents et de bénéficier d’une concurrence imparfaite. De l’autre côté, les pays émergents souhaitent attirer les investissements directs étrangers, car ceci entraîne une hausse de la production de biens et services et un transfert des technologies.
Lorsqu’une entreprise, agissant à un niveau international, désire investir dans un pays donné, elle va donc devoir analyser le risque inhérent au pays d’accueil de l’investissement et le rendement de celui-ci. L’évaluation de cette analyse se fonde sur différents risques, qui ne cesse d’évoluer et qu’il faut réadapter à la conjoncture actuelle. La conception traditionnelle du risque politique (I) a cédé sa place à une notion renouvelée appelant à une extension large du risque pays (II).
I. Un concept traditionnel : le risque politique
Le risque politique traditionnel se compose de deux éléments, à savoir (A) le risque souverain et le risque de non-convertibilité ou de non-transfert (B).
A. Le risque souverain et le risque de non-convertibilité
Le risque souverain est le risque attaché aux administrations publiques de faire face à leurs engagements et de rembourser leurs crédits. Autrement dit c’est le risque d’insolvabilité d’un Etat[2].
Quant au risque de non-convertibilité, il s’agit du risque encouru par une entité locale d’obtenir des paiements en devises étrangères. En d’autres termes, ce risque intervient lorsque la Banque Centrale du pays accueillant l’investissement ne dispose pas des réserves suffisantes ou n’a pas les moyens de transférer les devises en moyen de paiement internationaux[3].
La dette mexicaine de 1982 est un exemple du risque souverain donnant lieu à un risque de non-convertibilité. Après que le Mexique ait annoncé qu’il se trouvait dans l’impossibilité de rembourser sa dette de près de 80 milliards de dollars, cette déclaration a engendré un risque de transfert de devises. En effet les entreprises solvables n’avaient plus la possibilité d’obtenir les devises nécessaires de la Banque Centrale mexicaine pour faire face à leurs engagements étrangers. Cet exemple permet d’analyser comment le risque politique lié au défaut de remboursement de l’Etat a des répercussions sur les relations microéconomiques entre entreprises agissant au niveau international.
Traditionnellement, ces deux risques (souverain et de non-convertibilité / non-transfert) étaient utilisés pour définir le risque pays. Ces critères, que l’on peut qualifier de macro-économique, semblent toutefois dépassés. A l’heure actuelle on parle plus de risque projet : lorsqu’une entreprise va investir dans un pays elle s’attardera plus aux relations que ses partenaires locaux ont avec les autorités locales, de la qualité de la main d’œuvre dont elle dispose. Ces différents critères ont dépassé l’aspect macro-économique pour prendre en compte l’aspect micro-économique des investissements. Le risque pays englobe donc de plus en plus de critères qu’auparavant.
B. L’évolution du risque politique
Un exemple récent et représentatif du risque politique sont les différentes vagues d’attentats subies en France et dans d’autres pays d’Europe ou du monde. Il s’agit d’un risque politique réel. Un investisseur qui souhaite investir à Paris prendra en compte le risque qu’un attentat se produise à nouveau. L’impact direct sur le monde de l’hôtellerie et de la restauration est incontestable[4] : la France a perdu plus d’un million de touristes depuis le 7 janvier 2015. Cela fait réfléchir.
Quant à la corruption, bien qu’interdite, c’est un autre risque politique qui doit être pris en compte. Les investissements se font de plus en plus dans les pays en développement. Au sein de ces derniers, l’obtention de marché public est souvent liée à la corruption. Il faut alors s’adapter à la situation politique du pays si l’on souhaite s’y implanter. D’autant plus que ce crime blanc n’est pas toujours mal perçu, car dans certains pays il est tellement lié au système que tout le monde en profite. Parfois il s’agit même d’un « complément de rémunération ». Faut-il alors s’adapter au marché et prendre part au système de corruption, ou prendre le risque de perdre un marché important tout en préservant son image de marque ? C’est malheureusement un critère que les investisseurs doivent parfois prendre en considération.
D’autres exemples de risque politique sont la non-indépendance des tribunaux (Chine), les nationalisations dans le secteur des matières premières (YPF en Argentine, PDVSA en Argentine), les changements récurant du au cadre légal (législation fiscale en France), la prise en compte des risques liés au comportement des entités infra-étatiques.
Il semble donc que de plus en plus d’éléments soient pris en compte à l’heure actuelle dans le risque politique et que la conception traditionnelle est désormais dépassée.
II. Le risque pays : un concept renouvelé
La mise en place d’un modèle d’économie privée appelle à un élargissement de la notion de risque pays traditionnel. Le risque économique (A), le risque lié au système financier et à l’accès au crédit, i.e. les risques systémiques de marché et de crédits (B) et le risque environnemental (C) sont d’avantage d’éléments qui suscitent une acceptation plus large du risque pays.
A. Le risque économique
Le risque économique comprend l’ensemble des risques attachés à l’activité économique des entreprises. De multiples éléments sont pris en compte : la conjoncture, la concurrence, la technologie, le secteur d’activité.
Le 15 septembre 2008, Lehman Brothers se déclare en faillite ce qui entraîne la crise économique et financière la plus grave depuis les années 1930. Ceci va avoir des répercussions sur l’ensemble du système financier mondial et aussi au sein des entreprises. Une crise économique peut toucher une entreprise et avoir indirectement des conséquences sur les partenaires de celle-ci.
La conjoncture économique d’un pays est un élément déterminant pour les multinationales qui désirent investir dans un pays. Une mauvaise conjoncture influence les consommations privées et les commandes de l’Etat. Cela impacte les entreprises produisant des biens et services à destination de ces pays, entreprises qui doivent faire face à des marges réduites suite à des recettes plus faibles alors que les coûts de production restent stables. Une conjoncture défavorable peut aussi impacter les entreprises multinationales via le prix, la fiscalité ou le secteur bancaire.
B. Le risque systémique, un élargissement du concept traditionnel de risque pays
Comme nous avons pu le voir, la notion de risque pays repose principalement sur une approche politique. Toutefois, suite aux crises financières, et tout particulièrement celle de 2008, de nombreux auteurs plaident pour un élargissement de la notion de risque pays et préconisent la reconnaissance du risque systémique au sein de cette dernière. Mais que faut-il entendre par la notion de risque systémique ? Bien qu’il n’existe pas à l’heure actuelle de définition faisant l’unanimité, des institutions internationales l’ont défini de la manière suivante « il s’agit d’une rupture dans le fonctionnement des services financiers causée par la dégradation de tout ou partie du système financier et ayant un impact négatif généralisé sur l’économie réelle.[5] » Autrement dit, il s’agit d’un risque qui peut mettre en danger la survie du système financier.
Nous pouvons diviser ce type de risque en deux : le risque systémique des marchés financiers, qui est lié aux opérations de marchés, (1) et le risque systémique de crédits qui est lié aux opérations de crédits des débiteurs privés (2).
- Risque systémique des marchés financiers
Le risque systémique des marchés financiers est lié au prix des instruments financiers (taux de change, taux d’intérêt[6], cours de la bourse, cours de la dette souveraine, etc) et à sa volatilité[7]. Cette volatilité peut conduire à un retournement de situation tellement rapide qu’il peut entraîner des sorties de capitaux massives, ce qui conduit à déstabiliser les comptes d’un pays[8]. Certains Etats sont de ce point de vue plus exposés que d’autres parce que leur fonds souverains a été moins bien géré, ou géré de manière plus risquée par exemple.
- Risque systémique de crédit
Le risque de crédit est le risque que le débiteur ne paie pas sa dette à l’échéance convenue[9]. Le risque systémique de crédit peut alors se définir comme le fait qu’une part importante de débiteurs fasse défaut en même temps sur leurs obligations à la dette à cause de raisons systémiques[10]. Ainsi, une banque qui commet des erreurs de gestions, peut être à l’origine d’une crise.
Mais qui sont les plus concernés par ce type de risque ? Il s’agit des pays en développement. En effet, leur crédit peut se trouver fortement affecté par des aléas climatiques (tremblement de terre, sécheresse), des guerres civiles, la variation des prix des matières premières, les fluctuations des cycles d’activité des pays clients. Des évènements qui, certes ne sont pas toujours évident à prévoir, mais qui doivent être pris sérieusement en considération.
Le risque systémique reste certes une notion abstraite mais qui a toutefois tout son intérêt dans notre conjoncture actuelle. C’est pourquoi les investisseurs doivent le prendre désormais en considération, car ce risque touche aussi bien les nouvelles formes d’opérations de marché que de crédit. Ceci explique l’existence des conseils de risque systémique aussi bien en Europe (Comité européen du risque systémique) qu’aux Etats-Unis pour prévenir et contenir les difficultés pouvant conduire à l’effondrement des systèmes bancaires et financiers[11].
C. Le risque environnemental et l’image de marque, des critères du risque pays ?
Bien qu’il ne s’agisse pas du critère déterminant dans la définition du risque pays, il s’agit tout de même d’un critère important et à prendre en compte, surtout compte tenu de l’évolution de notre société.
L’environnement est aujourd’hui au cœur de tous les débats. Le réchauffement climatique étant un fait avéré, de nombreuses mesures ont été prises pour sensibiliser les entreprises et pour qu’elles soient plus respectueuses de l’environnement. Si les entreprises ne respectent pas ces règles elles prennent le risque d’être sanctionnées. Toutefois, si d’autres restrictions environnementales s’y ajoutent, les conséquences financières peuvent être importantes et même conduire à l’abandon d’un projet. Les règles environnementales sont incertaines et le comportement des pays vis-à-vis de ces règles l’est d’autant plus. Un changement politique peut influer l’approche environnementale du pays : l’ouverture récente des deux projets d’oléoducs Keystone XL et Dakota Access Pipeline a suscité des controverses environnementales et sociales aux Etats-Unis.
Le risque environnemental est souvent lié à celui de l’image de marque, de la réputation d’une entreprise. Cette réputation intègre tout aussi bien les droits de l’homme que le respect de l’environnement ou la fraude[12]. Certains investisseurs peuvent profiter du fait que les droits de l’homme sont moins protégés dans un pays pour disposer d’une main d’œuvre moins chère. Si cela venait à se savoir pour une entreprise, cela nuirait considérablement à sa réputation. C’est pourquoi une entreprise se doit de préserver son image de marque.
De même, concernant l’encadrement en terme d’image de marque, nous pouvons citer l’exemple récent de Nespresso et de George Clooney. Ces derniers ont participé à la création de trois coopératives au Soudan du Sud, ce qui a permis l’exportation de café de ce pays pour la première fois depuis 30 ans[13]. Le Soudan du Sud, selon le rapport Doing Business 2017, faisant partie des derniers pays où il est facile d’investir[14], il s’agit là d’un risque calculé de la part de Nespresso. Cet investissement socialement responsable, ayant pour but de relancer la production de café au Soudan du Sud et de réduire la pauvreté, nous montre bien l’encadrement de l’investissement par l’image de marque, ainsi que la place importante de l’analyse du risque inhérent au pays d’accueil.
On peut donc prendre en considération le risque environnemental et l’image de marque dans l’analyse du risque pays.
Conclusion
Ainsi, nous pouvons voir que la notion de risque pays est une notion large qui englobe un grand nombre de différents risques auxquels les pays en développement sont tous particulièrement exposés. Et une redéfinition en profondeur des critères traditionnels est sans doute nécessaire en vue de s’adapter à l’évolution des différents risques auquel les investisseurs font face quotidiennement.
Master 2 OFIS Paris 1 Panthéon-Sorbonne
[1]Per Yann Le Floc’h, ‘L’internationalisation du risque pays : un défi pour les entreprises multinationales ?’ (BSI economics, 14 novembre 2014) <http://www.bsi-economics.org/436-internationalisation-risque-pays-entreprises-multinationales>
[2] Mikael Lévy, ‘Le risque pays dans le secteur bancaire’ (Mémoire Online, 2009) <http://www.memoireonline.com/05/09/2046/m_Le-risque-pays-dans-le-secteur-bancaire3.html>
[3] OCDE, ‘Classification des risques paysRisque de transfert et risque de convertibilité’ (OCDE, 30 octobre 2015) <http://www.oecd.org/fr/tad/xcred/crp.htm>
[4] Challenges, ‘Terrorisme: la France va-t-elle être boudée par les étrangers?’ (Challenges,18 juillet 2016) <http://www.challenges.fr/economie/terrorisme-la-france-va-t-elle-etre-boudee-par-les-etrangers_415270>
[5] International Monetary Fund, Financial Stability Board, Bank for International Settlements, Guidance to Assess the Systemic importance of financial institutions, markets and instruments, (20 Octobre 2009) page 2 <https://www.imf.org/external/np/g20/pdf/100109.pdf>
[6] Mikael Lévy, ‘Le risque pays dans le secteur bancaire’ (Mémoire Online, 2009) <http://www.memoireonline.com/05/09/2046/m_Le-risque-pays-dans-le-secteur-bancaire3.html>
[7] Per Yann Le Floc’h, ‘L’internationalisation du risque pays : un défi pour les entreprises multinationales ?’ (BSI economics, 14 novembre 2014) <http://www.bsi-economics.org/436-internationalisation-risque-pays-entreprises-multinationales>
[8] Stéphanie Gautrieaud, Le risque pays : approche conceptuelle et approche pratique ATER – Centre d’économie du développement, Université Montesquieu Bordeaux IV, 2002, page 16
[9] Lexinter, ‘Risque de crédit’ <http://www.lexinter.net/JF/risque_de_credit.htm>
[10] Mikael Lévy, ‘Le risque pays dans le secteur bancaire’ (Mémoire Online, 2009) <http://www.memoireonline.com/05/09/2046/m_Le-risque-pays-dans-le-secteur-bancaire3.html>
[11] Michel Aglietta, ‘Risque systémique et politique macroprudentielle : une nouvelle responsabilité des banques centrales’ (Association d’Economie Financière, 2011) <https://www.aef.asso.fr/publications/revue-d-economie-financiere/101-le-risque-systemique/13-risque-systemique-et-politique-macroprudentielle-une-nouvelle-responsabilite-des-banques-centrales>
[12] Per Yann Le Floc’h, ‘L’internationalisation du risque pays : un défi pour les entreprises multinationales ?’ (BSI economics, 14 novembre 2014) <http://www.bsi-economics.org/436-internationalisation-risque-pays-entreprises-multinationales>
[13] Nespresso, ‘Soudan du sud – Offrir des opportunités au berceau du café’ (Nespresso) <https://www.nespresso.com/positive/ch/fr#!/sustainability/south-sudan>
[14] La Banque Mondiale, ‘Doing Business 2017 – Egalité des Chances pour Tous’ (La Banque Mondiale, 25 octobre 2016) <http://francais.doingbusiness.org/~/media/WBG/DoingBusiness/Documents/Annual-Reports/Foreign/DB17-Mini-Book-French.pdf>