Le travail du dimanche, on n’y comprend plus rien ! Qui a le droit d’ouvrir ? Pourquoi les uns et pas les autres ? Un état des lieux s’impose. L’application de la législation en vigueur n’est pas aisée et génère des disparités entre les différents acteurs économiques.
1. État des lieux
Le repos est essentiel. Le code du travail prévoit qu’il est interdit de faire travailler un même salarié plus de six jours par semaine (L3132-2 C. trav.). Un jour de repos hebdomadaire est donc de droit, et il doit, par principe, avoir lieu le dimanche (L3132-3 C. trav. issu de la loi “Mallié” du 10 août 2009). Le législateur précise que ce repos dominical est « dans l’intérêt du salarié ».
Cependant, les exceptions à ce principe sont nombreuses et pas toujours intelligibles.
Il y a 3 catégories d’exceptions au repos dominical, qui permettent aux employeurs d’ouvrir leurs entreprises le dimanche et d’y faire travailler des salariés.
La première catégorie d’exception est la dérogation permanente de droit
Cette catégorie d’exception regroupe les établissements dont le fonctionnement ou l’ouverture est nécessaire du fait des contraintes de production, de l’activité ou des besoins du public (L3132-12 C. trav.). C’est un décret en Conseil d’État qui détermine les catégories intéressées (R3132-5 C. trav.). Par exemple, les catégories d’activités de la boulangerie-pâtisserie ou celle de la restauration/consommation immédiate (MacDo, Kebab, etc…) bénéficient d’une dérogation permanente leur permettant d’ouvrir le dimanche toute la journée.
La loi précise que font partie de cette exception les commerces de détail alimentaire, c’est-à-dire les magasins qui vendent principalement de la nourriture (les juges vérifieront que c’est bien leur activité principale). Ils sont autorisés à ouvrir jusqu’à treize heures.
La deuxième catégorie d’exception est la dérogation conventionnelle dans l’industrie
C’est la possibilité, dans les industries ou entreprises industrielles uniquement, de déroger au repos dominical par convention ou accord collectif de branche étendu ou un accord ou convention d’entreprise.
La troisième catégorie d’exception est la dérogation temporaire au repos dominical
C’est cette dérogation qui est la plus connue du grand public. C’est la possibilité de déroger au principe grâce à un arrêté préfectoral ou municipal (L3132-20 et s. C. trav.). Le préfet et le maire n’ont cependant pas les mêmes prérogatives.
Le préfet peut soit autoriser le travail le dimanche toute l’année, soit à certaines époques de l’année (Noël, etc…). Il peut le faire dès lors qu’il est établi que le repos dominical de tous les salariés serait préjudiciable au public ou compromettrait le fonctionnement normal de l’établissement. On revient sur les mêmes critères que pour la première catégorie d’exceptions, sauf qu’ici c’est le préfet qui prend sa décision.
Le maire, quant à lui, peut autoriser le travail le dimanche mais seulement aux commerces de détail, c’est-à-dire aux magasins qui sont le maillon final de la chaîne de production. Cette autorisation ne peut pas être accordée plus de 5 fois par an, par établissement, et elle est accordée de façon discrétionnaire.
Existe enfin une dernière possibilité d’ouvrir le dimanche que l’on rattache à la 3ème catégorie.
Le législateur a prévu la création de zones spécifiques où il peut être dérogé au principe, de plein droit. Sont concernées les communes d’intérêt touristique ou thermales, les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente (L3132-25 C. trav.) (certains commerces près de la tour Eiffel par exemple…) ainsi que dans certaines unités urbaines de plus de 1 000 000 d’habitants sous certaines conditions (zones PUCE).
Si le principe d’un repos dominical demeure sans ambiguïté, il n’en est pas moins difficile d’application.
2. Une application délicate de la législation en vigueur : l’affaire “Bricorama c/ Leroy Merlin et Castorama”
Les nombreux cas de dérogations prévus par la loi aboutissent à l’ouverture des entreprises le dimanche sur des fondements très divers. Certaines d’entre elles dénoncent alors des disparités entre les entreprises d’une même zone géographique.
L’enseigne Bricorama est d’ailleurs à l’origine d’une saisine du Tribunal de commerce de Bobigny en référé. Elle reprochait à ses concurrents Leroy Merlin et Castorama d’avoir ouvert plusieurs magasins le dimanche, alors qu’elle-même s’était vue condamnée à fermer ses magasins ce jour là.
Cette différence de traitement lui aurait causé une perte de chiffre d’affaires et de clientèle.
A l’origine de cette saga, une action du syndicat Force Ouvrière en novembre 2011 à l’encontre de Bricorama devant le TGI de Pontoise statuant en référé. Ce dernier la condamne à la fermeture dominicale de 31 de ses magasins en région parisienne, faute d’avoir apporté la preuve qu’elle entrait dans l’une des situations dérogatoires lui permettant de déroger à l’article L. 3132-3. La Cour d’appel de Versailles a, par un arrêt du 31 octobre 2012, confirmé l’ordonnance attaquée.
Bricorama, constatant alors que ses concurrents continuaient à ouvrir des magasins le dimanche en région parisienne et ne disposaient visiblement pas non plus de dérogation le leur permettant, a réclamé la fermeture de ces magasins au Tribunal de commerce de Bobigny.
Par une ordonnance du 26 septembre 2013, celui-ci a fait droit à sa demande en enjoignant la fermeture sous astreinte de 6 magasins Castorama et de 9 magasins Leroy Merlin, après avoir remarqué l’existence d’un trouble manifestement illicite de nature à justifier la prise de mesures conservatoires.
En effet, les sociétés défenderesses n’ont pas rapporté la preuve que les magasins visés disposaient d’une autorisation administrative dérogeant au principe du repos dominical, et aucun des magasins n’était inscrit en zone PUCE.
Le tribunal remarque donc que cette situation aboutit à une rupture d’égalité et fausse le jeu normal de la concurrence et du marché.
Cette solution est cependant infirmée par la Cour d’appel, qui, sans chercher à caractériser l’existence d’un trouble manifestement illicite, se borne à déclarer l’action de la société Bricorama irrecevable. Elle constate en effet, par jugement du 19 avril 2013, que le Tribunal de commerce de Bobigny s’était déjà prononcé sur des faits similaires opposant les mêmes parties. Ce dernier avait rejeté les mesures provisoires sollicitées par Bricorama, à savoir la fermeture dominicale sous astreinte des mêmes magasins concurrents.
Cette décision étant passée en force de chose jugée, le juge des référés ne pouvait statuer sur une même affaire sans que soient rapportés des faits nouveaux. Bricorama invoquait pourtant l’existence de circonstances nouvelles : le prononcé de plusieurs décisions relatives au litige et survenues postérieurement à la décision du 19 avril.
Cette argumentation n’a pas été retenue par la Cour d’appel, qui a ainsi rendu une décision permettant la réouverture dominicale des magasins Leroy Merlin et Castorama concernés.
Rappelons néanmoins que seul le juge des référés s’est prononcé sur cette affaire, qui devra encore être jugée au fond par le tribunal de commerce saisi parallèlement.
La survenance d’un tel contentieux démontre que l’application de la législation actuelle reste délicate, notamment au regard de la situation concurrentielle existant entre les entreprises concernées ou non par les exceptions au principe du repos dominical.
D’ailleurs, la question de l’ouverture des entreprises le dimanche étant devenue un véritable débat de société, le gouvernement s’est emparé du problème en confiant en octobre à M. Jean-Claude Bailly la rédaction d’un rapport afin “d’examiner les faiblesses du dispositif actuel ». Il devrait être remis d’ici la fin du mois de novembre.
Ugo Hype et Clémence Zunino
Etudiants en Master 2 Droit et pratique des relations de travail, Montpellier I
Pour en savoir plus :
– LOI n° 2009-974 du 10 août 2009 réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires, dite “Loi Mallié”
– T. com. Bobigny, réf., 26 sept. 2013, n° 2013R00400
– CA Paris, 29 oct. 2013, n°13/18841