Le renouveau du droit international privé chinois : la loi du 28 octobre 2010


Le droit chinois, depuis les années 1980, avec la libéralisation économique initiée par Deng Xiaoping, est en effervescence permanente. La Chine s’est dotée d’une arsenal juridique moderne, qu’elle vient de compléter d’une pièce importante : la loi de la République populaire de Chine sur l’application des lois concernant les affaires civiles présentant une relation avec l’étranger [1] (zhonghua renming Gongheguo shewai mingshi guanxi falu shiyong fa, 中华人民共和国涉外民事关系法律适用法).

Son corpus législatif n’ignorait pas entièrement les règles de conflit de lois, mais elles y étaient disséminées, et très parcellaires, quelque fois en contradiction entre elles, faisant de la détermination de la loi applicable une entreprise souvent complexe et périlleuse. Cet éclatement engendrait une certaine confusion et des divergences internes importantes ; désireuse d’assurer un environnement juridique solide, au soutien de son développement économique, la Chine vient d’adopter, lors de la 17ème réunion du Comité permanent de la 11ème session plénière de l’Assemblée populaire nationale, un texte systématisant son droit international privé. Cette loi, prise au niveau central, s’applique sur l’ensemble du territoire chinois, à l’exclusion des régions administratives spéciales (Macao et Hong Kong) et de Taïwan, qui jouissent d’une autonomie législative.


La présente loi, du 28 octobre 2010, est entrée en vigueur le 1er avril 2011. Elle se compose de 52 articles répartis en 8 chapitres ; le premier énonce les principes généraux, les suivants, les règles de conflit dans les différentes branches du droit civil : capacité, mariage, succession, droits réels, obligation, propriété intellectuelle… L’affirmation de principes généraux, dans un premier temps, puis des règles particulières dans un second, révèle une influence allemande.

Deux adjectifs caractérisent cette loi : elle est moderne et systématique.

La volonté d’être à « l’avant-garde » du droit international privé se retrouve constamment dans les commentaires des auteurs de la loi. Ils invoquent comme preuves de cette modernité l’intégration de dispositions sur la protection de la partie faible (le consommateur, le travailleur…), ainsi que la place proéminente accordée à l’autonomie de la volonté.

De plus, elle se veut aussi systémique, organisant dans un même texte toutes les règles relatives à la matière. Cet effort de systématisation se comprend dans un contexte plus large : la Chine a initié un processus de codification de son droit. Son législateur élabore à petits pas un code civil ; il procède par étapes, rédigeant des lois sur de grands domaines du droit civil (droit patrimonial, succession…), qui sont pensées comme les chapitres d’un code civil chinois à venir.

Des universitaires, souvent formés en Europe, en Allemagne notamment, sont intervenus dans la rédaction de la loi. En conséquence, une certaine influence du droit international privé communautaire se ressent, même si, dans un soucis de simplification, la présente loi s’en écarte sensiblement.

Le droit international privé ne résout pas une affaire au fond, mais pose une méthode pour déterminer, dans une circonstance de concurrence de lois virtuellement compétentes, celle qui aura compétence exclusive pour résoudre l’affaire au fond. Nous étudierons donc dans un premier temps la méthodologie retenue (I), avant d’étudier la particularité de certains rattachements (II).

I.   La méthode retenue: la désignation directe de la loi compétente

La loi, rédigée à la façon allemande, contient en première partie une série de principes généraux, qui forment la substance d’une théorie générale du droit international privé chinois. La règle de conflit chinoise de facture classique localise une situation juridique dans un ordre juridique particulier par la détermination d’un point de rattachement. Toutefois, la mise en jeu des règles de conflit peut être plus ou moins souple. La loi chinoise a pris le parti d’une certaine rigidité (A), qui trouve toutefois quelques atténuations dans ses modalités de mise en œuvre (B).

A.   La facture de la règle de conflit chinoise : la désignation directe de la loi compétente

En droit, matière technique, la terminologie retenue est d’une importance particulière. La loi chinoise sur les lois applicables aux affaires civiles présentant un caractère d’extranéité ne reprend pas la terminologie occidentale de règles de conflit de lois, ou conflict of laws rules, qui aurait donné chongtu guize (冲突规则) en chinois, mais utilise la notion de falu shiyong fa (法律适用法), traduite difficilement en français par loi sur l’application des lois.

Cette divergence sémantique n’est pas neutre. Le législateur chinois aurait pu, comme il le fait souvent, se contenter d’assurer une transposition littérale de concepts étrangers dans son droit. Dans la présente loi, il a pris la décision de s’écarter de la terminologie occidentale. Ce choix est révélateur de la méthodologie retenue : une désignation directe de la loi applicable. En effet, la règle de conflit chinoise désigne directement la loi compétente pour résoudre une situation particulière au fond, et non pas un ordre juridique entier doté de ses propres règles de conflit de lois. Une des conséquences est le rejet de la théorie du renvoi tant au premier qu’au second degré. Le renvoi implique un temps supplémentaire dans la détermination de la loi applicable. Une fois la règle de conflit du for mise en jeu, il incombe au juge de consulter les règles de conflit de l’ordre juridique désigné, pour savoir si ce dernier accepte sa compétence, ou s’il la renvoie vers un tiers ordre juridique, dont les règles de conflit devront être interrogées pour savoir s’il accepte sa compétence ou si … et ainsi de suite.

La règle chinoise de conflit de lois renvoie directement au droit matériel, et non pas à l’ordre juridique étranger, pris comme un tout et donc incluant ses règles de conflit de lois. Ce principe est affirmé par le 9ème article du premier chapitre de la loi.

Le renvoi est une technique permettant de corriger le caractère souvent abstrait d’une règle de conflit, qui attache avec un certain arbitraire une catégorie juridique à un ordre juridique ; il permet aussi une certaine coordination internationale, dans le cas du renvoi au second degré, car tous les ordres juridiques présents dans la chaîne de renvoi, s’ils admettent tous son jeu, désigneront la même loi applicable. L’exclusion du renvoi peut se comprendre dans le contexte chinois par une volonté de simplification : l’autonomie de la volonté et la résidence habituelle sont quasiment les seuls rattachements retenus. Admettre le renvoi reviendrait à réintroduire une complexité quand le législateur a pris le parti de la simplicité.

Une raison sociologique peut venir expliquer ce choix : dans tous les pays le droit international présente une difficulté en raison de sa technicité, engendrant un contentieux nourri sur son application par des juges manquant souvent d’une expertise en la matière. La corps de la magistrature chinoise, s’il se professionnalise à grande vitesse, présente une grande hétérogénéité dans sa compétence technique.

Un certaine difficulté émerge dans le cas où la loi désignée est celle d’un Etat fédéral, car il faut alors déterminer au sein de cet Etat quelle est la loi compétente pour résoudre le fond du litige. Ne pouvant pas faire jouer le renvoi, et prendre en compte les règles de droit international privé de l’Etat étranger, le législateur introduit le principe de proximité pour déterminer au sein de cet Etat quelle sera la loi applicable.

B.   La mise en œuvre de la règle de conflit

Deux premières questions se posent : comment résoudre un cas de concurrence de règles de conflit? Ou leur absence?

D’abord, comment résoudre une concurrence de règles de conflit? La loi affirme le principe lex specialis generalibus derogant. Ainsi, si une loi spéciale pose un autre rattachement, cette loi va primer sur la loi commentée. Cependant, cette dernière écarte l’application des règles de conflit contenues dans la loi sur les principes généraux du droit civil et la loi successorale.

En cas d’absence de règle de conflit applicable, l’article 2 de la présente loi confère au principe de proximité (zui miqie guanxi yuanze最密切联系原则) un rôle subsidiaire ; l’alinéa second donne compétence à la loi présentant le plus grand lien de proximité. Il appartiendra alors aux juges de déterminer quelle loi possède le plus grands nombres de points de contact avec la situation juridique en cause. Mais la présente loi est suffisamment complète pour assurer la rareté de ce type d’hypothèses.

Ensuite, émerge la question de la dévolution de la charge de la preuve du droit étranger. L’article 10 dispose que le contenu de la loi étrangère doit être prouvé par l’organe en charge de son application, que cela soit le juge, l’arbitre, ou une entité administrative. Si la preuve est impossible à réaliser, alors la loi chinoise est dotée d’une applicabilité subsidiaire. Toutefois, en cas d’accord procédural désignant la loi étrangère au détriment de la loi du for, la charge de la preuve incombe aux parties.

Enfin se pose la question des correctifs au jeu des règles de conflit de lois.

Il faut d’abord signaler le rôle des dispositions impératives d’application immédiate (zhijie shiyong gai qiangzhi 直接适用该强制性规定) prévues par l’article 4. Elles présentent l’éternel problème relatif aux lois de police : la quasi impossibilité de les définir. La loi ne contient aucun critère opératoire pour distinguer ces lois d’application immédiate des autres. Le professeur Chen Weihu (il a participé à la rédaction du texte) commentant cet article offre en exemple la réglementation du taux de change, les règles de protection du consommateur (!) ou du travailleur…

Enfin un mécanisme de réaction de l’ordre international public est mis en place, mais de manière volontairement très limitée. L’article 5 dispose que si l’application de la loi étrangère porte atteinte aux intérêts communs de la société de la chinoise (zhongguo shehui gonggong liyi,中国社会公共利益), alors cette loi devra être écartée au profit de la loi du for. Il semble en effet que le législateur chinois ai exprimé le désir d’établir une réelle égalité entre la loi étrangère et la loi chinoise, faisant ainsi preuve selon le professeur Chen « d’avant-gardisme ». Ce mécanisme en pratique, étant donné l’étroitesse de son critère de déclenchement, ne devrait presque jamais jouer.

Le droit international privé général chinois sommairement présenté, il convient de s’intéresser à ses règles de conflit.

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II.   Des règles de conflit organisées autour de deux rattachements principaux

Le législateur chinois, sans doute dans un soucis de simplicité, a organisé son droit international privé autour de deux rattachements principaux, et quasiment uniques, l’autonomie de la volonté (A), et le lieu de la résidence habituelle (B). Le principe de proximité ne jouant qu’un rôle auxiliaire dans l’hypothèse où aucune des règles de conflit prévues par le droit chinois ne peut s’appliquer.

A.   Le rattachement proéminent : l’autonomie de la volonté

Le législateur chinois a octroyé au principe de l’autonomie de la volonté (yisi zizhi yuanze意思自治原则) une place proéminente. Ce dernier est affirmé dès la première partie de la loi concernant les principes généraux, en son article 3, qui dispose que les parties peuvent, par un accord procédural exprès, opter pour l’application d’une loi particulière. Le choix des parties venant dans ce cas précis faire obstacle à la mise en jeu des règles de conflit chinoises.

En outre de ce rôle général reconnu à l’autonomie de la volonté, ce principe intervient comme élément de rattachement dans de nombreuses règles de conflit.

Cela est évidement le cas en matière contractuelle. L’article 41 dispose que les parties peuvent choisir la loi applicable au contrat. Cependant, en l’absence de choix une localisation objective sera réalisée par le recours à la résidence habituelle du débiteur de la prestation la plus caractéristique du contrat (lüxing yiwu zui tixian gai hetong tezheng de yifang dangshiren jingchang jusuo 履行义务最能体现该合同特征的一方当事人经常居所). Cette localisation fait hautement penser à la méthode retenue par le droit communautaire.

Toutefois des limites sont posées à ce mode de localisation dans un soucis de protection de la partie réputée faible comme le consommateur ou l’employé :

Article 42 : Dans un contrat de consommation, la loi applicable est la loi du lieu de résidence habituelle du consommateur ; quand le consommateur choisi la loi du lieu de la vente de marchandises, de la fourniture de service, ou si l’entrepreneur va au lieu de la résidence habituelle du consommateur dans un but autre que pour ses activités professionnelles, la loi du lieu de la vente de marchandises ou de la prestation de service trouve application.

 

Article 43 : Un contrat de travail, est soumis à la loi où le travail est réalisé ; en cas de difficulté dans la détermination du lieu de réalisation du travail, la loi du lieu de l’activité principale de l’employeur s’applique, si l’employé est envoyé quelque part, on peut appliquer la loi de cet endroit.

L’article 44 dispose qu’en matière de responsabilité délictuelle, il est possible, par un accord de volonté entre les parties postérieur au fait générateur de la responsabilité, de déterminer librement la loi applicable au litige. L’article 49 pose pareillement la possibilité de déterminer la loi applicable lors d’un litige concernant des questions de propriété intellectuelle.

Le rôle de la volonté se retrouve dans le cadre du droit des sociétés : la règle de conflit chinoise admet le principe de l’incorporation au détriment du siège social.  Toutefois, une option est ouverte, s’il y a dissociation entre la localisation de l’activité principale (shiyong zhu yingyedi falu适用主营业地法律) et le lieu d’incorporation, pour permettre d’appliquer la loi du lieu où se déroule cette activité. La loi pose en outre une présomption : l’activité principale se déroule au lieu de la résidence habituelle de la personne morale.

B.   Le rattachement novateur : la loi du lieu de la résidence habituelle

Le rattachement commun pour toutes les questions liées à la famille est la résidence habituelle (jingchang jusuo 经常居所). Les législateurs chinois ont préféré ce rattachement à celui de la nationalité. Ils ont voulu assurer par là une plus grande flexibilité, et prendre acte du développement croissant de la mondialisation. Le désir d’assurer un droit international privé moderne est la ratio legis de ce choix.

Ce rattachement est utilisé pour résoudre les conflits de lois en matière matrimoniale.

Une règle de conflit présentant un rattachement en cascade est retenue pour les questions de fond relative à la validité d’un mariage : la loi applicable est celle de la résidence habituelle commune des époux, en l’absence de celle-ci, la nationalité commune, et à défaut de celle-ci la loi du lieu de célébration du mariage. La règle de conflit chinoise n’opte pas pour une application distributive des lois personnelles des époux. La forme du mariage est régie par la loi du lieu de célébration (article 31 et 32).

Il en va de même pour les relations patrimoniales soumises à la loi de la résidence commune. Mais dans un soucis de protection de la partie faible, la loi chinoise admet une exception en créant une règle de conflit à coloration matérielle : une option, dont le critère d’élection est le caractère favorable, existe entre une diversité de lois potentiellement compétentes.

L’article 25 dispose que dans les relations patrimoniales entre parents et enfants, il faut appliquer la loi de la résidence commune ; mais à défaut de celle-ci, soit la loi de la résidence habituelle des parties aux procès, soit leur loi nationale, est applicable, la préférence devant être donnée à la loi favorisant la partie faible.

En matière successorale, une division se fait entre les biens meubles – soumis à la loi de résidence habituelle – et les biens immeubles – soumis à leur loi de situation. La validité du testament est aussi soumise à la loi de la résidence habituelle.

Le rattachement à la résidence habituelle présente le défaut de son instabilité dans le temps –  une famille, une personne, pouvant être amenée à déménager –  générant ainsi des possibilités de conflit mobile – faut-il appliquer la loi de la nouvelle résidence, ou de l’ancienne ? –  que le droit chinois ne vient pas résoudre. Le problème est évacué dans le cadre du testament, où il est précisé que la loi applicable est celle de la résidence au moment de la rédaction de l’acte.

 

Hugo Winckler

[email protected]

Examen d’entrée au CRFPA (IEJ Paris II)

Master II droit des relations internationales économiques (Paris II)

Diplôme de l’Institut des Hautes Etudes Internationales de Paris (Paris II)

Maîtrise LLCE chinois (Paris VII)

Notes

 

[1] Les traductions du chinois au français sont de la main de l’auteur.

Pour aller plus loin

 

Zhonghua renming Gongheguo shewai mingshi guanxi falu shiyong fa中华人民共和国涉外民事关系法律适用法 (Loi de la République populaire de Chine sur l’application des lois concernant les affaires civiles présentant une relation avec l’étranger), adoptée le 28 octobre 2010, entrée en vigueur le 1 avril 2011, disponible en ligne : http://www.chinacourt.org/flwk/show.php?file_id=146112

 

Chen Weihu陈卫佐, « shewai mingshi guanxi falu shiyongfa jiedu : baohu ruofang dangshiren  liyi »涉外民事关系法律适用法解读:保护弱方当事人利益 (Lecture explicative de la loi sur l’application des lois concernant les affaires civiles présentant une relation avec l’étranger), in Fazhi Ribao 制日报, 2 novembre 2010.

 

Chen Weihu陈卫佐, “Zhonguo guojisifa fali de xiandaihua – ping ‘shewai mingshi guanxi falu shiyong fa’ » 中国国际私法立法的现代化——评《涉外民事关系法律适用法》(Modernisation de la législation chinoise en droit international privé – critique de « loi sur l’application des lois concernant les affaires civiles présentant une relation avec l’étranger »), in Cai Xinwang 财新网, 1er novembre 2010.

 

Liu Ningyuan 刘宁元, «shewai mingshi guanxi falu shiyong tixian zhongguo » 涉外民事关系法律适用法体现中国特色 (loi sur l’application des lois concernant les affaires civiles présentant une relation avec l’étranger présente les particularités chinoises), in Fazhi ribao法制日报, le 29 février 2011.

 

 

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