Dans le prolongement de sa décision du 26 mars 2014 (1), la Cour de Cassation a redessiné les contours jurisprudentiels du lien entre, d’une part, l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur en cas de harcèlement moral et d’autre part, la prise d’acte.
La Chambre Sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 25 juin 2003 (2), a été la première à définir la prise d’acte comme « la rupture du contrat de travail par le salarié en raison de manquement qu’il impute à son employeur ». Les effets découlant de la prise d’acte sont doubles: Soit les faits invoqués sont justifiés, alors la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit les faits sont infondés, alors la prise d’acte produit les effets d’une démission.
En outre, depuis l’arrêt du 26 mars 2014, la Chambre Sociale exige « un manquement suffisamment grave de l’employeur empêchant la poursuite du contrat de travail ». Il apparait néanmoins que la jurisprudence tend de plus en plus à limiter l’affluence de la prise d’acte comme rupture du contrat de travail.
Les enjeux de cette nouvelle politique jurisprudentielle sont de taille pour le salarié, victime de manquements de la part de l’employeur, puisque ceux-ci, doivent nécessairement empêcher la poursuite de la relation contractuelle, même dans le cas du harcèlement.
Plus précisément, dans son arrêt du 11 mars 2015 (3), la Chambre Sociale a jugé que le constat de harcèlement moral ne suffisait plus, en lui-même, à justifier la prise d’acte du salarié. En l’espèce, la Haute Juridiction reprochait aux juges du fond de ne pas avoir apprécié la gravité du manquement de l’employeur, à savoir si les faits de harcèlement empêchaient ou non la poursuite du contrat de travail. Ainsi, la prise d’acte n’est plus automatiquement justifiée même lorsqu’il s’agit de faits de harcèlement moral.
Pour mieux comprendre les enjeux de cet arrêt, il semble indispensable de revenir un instant sur la teneur de l’obligation de sécurité qui pèse sur l’employeur.
Depuis les arrêts « Amiante » (4), l’employeur est tenu, envers ses salariés, d’une obligation de sécurité de résultat permettant ainsi la protection de la santé et de la sécurité de ses salariés. Cette exigence a été codifiée à l’article L.421-1 du code du travail mais apparait également dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne et dans le Pacte international relatif aux droits économiques et sociaux.
À titre d’exemple, la Cour, dans un arrêt du 29 juin 2005 (5), a reproché à un employeur de ne pas avoir respecté son obligation de sécurité de résultat, s’agissant de la protection des salariés contre le tabagisme, en jugeant que la présence de panneaux d’interdiction de fumer ne suffisait pas à garantir effectivement la protection de la santé des salariés. En l’espèce, la prise d’acte a produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Ainsi, l’employeur doit, en principe, assurer de manière effective la protection de la santé et sécurité des salariés, notamment en matière de harcèlement.
Néanmoins, la récente position de la Cour de Cassation, jugeant que le constat de harcèlement moral ne suffisait plus, en lui-même, à justifier la prise d’acte du salarié semble affaiblir la protection des salariés en matière de harcèlement.
Par définition, le harcèlement moral constitue une atteinte aux droits, à la dignité et à la santé physique ou morale du salarié. Situation intenable pour le salarié , le harcèlement moral va nécessairement conduire à dégrader les conditions de travail du salarié.
Comment alors imaginer qu’une situation de harcèlement ne caractérise pas un manquement suffisamment grave empêchant toute poursuite de la relation contractuelle ?
En clair, soucieuse de plus de rigueur, la Cour de cassation semble désormais vouloir moduler les effets de la prise d’acte s’agissant des faits de harcèlement moral en menant une politique jurisprudentielle au cas par cas, confiant ainsi aux juges du fond le soin d’apprécier si les faits de harcèlement empêchent le maintien du salarié dans l’entreprise.
Mélissa Segueni
Cass. Soc. n°12-23634
Cass. Soc. n° 01-42679
Cass. Soc n°13-18603
Cass,Soc, 28 février 2002, n°00-10051
Cass. Soc n° 03-44412