Toute personne jouit de la liberté de disposer de ses biens à titre gratuit à travers la donation ou le legs. Seulement, si la libéralité faite excède la quotité disponible, des mécanismes viennent la circonscrire dans des limites établies par la loi afin de préserver les droits successoraux des héritiers du De cujus. Ces procédés sont la réduction et le rapport successoral. Consacrons-nous au rapport, cette opération qui permet de garantir l’égalité entre les cohéritiers.
Toute donation faite à un héritier est présumée «rapportable» en vertu de l’article 843 du code civil. En effet les donations faites à un héritier sont considérées comme étant une avance de part successorale. En ce sens que, au moment du partage successoral, l’héritier gratifié est tenu de réintégrer dans la masse à partager le ou les biens reçus du défunt. Les legs sont en revanche présumés «hors part successorale»: ils permettent d’avantager un héritier au détriment d’un autre. Aucun rapport n’est dû.
Une question laisse place à un débat doctrinal (1). Question relative au cas où le renonçant à la succession est représenté: le représentant d’un renonçant à la succession est-il astreint au rapport des libéralités faites à ce dernier ? Les textes sont obscurs, contradictoires, et controversés.
L’article 848 du Code Civil semble in fine imposer le rapport par le représentant des libéralités faites au renonçant en disposant « si le fils ne vient que par représentation, il doit rapporter ce qui avait été donné à son père (..)». Ainsi, comme le veut l’état actuel du droit successoral, si le renonçant est représenté, le rapport est dû par son propre héritier.
Seulement cet article a été rédigé avant les deux réformes du 23 Juin 2006, soit à une époque où la représentation d’un renonçant n’était pas encore admise par la loi. Ce qui laisse entendre que les termes de l’article 848 ne s’appliquent qu’en cas de pré-décès du représenté (ce qui n’est pas discutable) et non en cas de renonciation, puisque cet article n’a pas été modifié par la loi de 2006.
Comment pouvons-nous donc continuer à appliquer une telle disposition, laquelle contredit de manière flagrante l’article 845 du Code civil qui n’impose aucunement le rapport par le renonçant lui-même, sauf si une clause expresse de rapport le prévoit. Soulignons donc que le droit positif comporte bel et bien des textes inconciliables. En effet, cet article dispose que «L’héritier qui renonce à la succession peut cependant retenir le don entre vifs ou réclamer le legs à lui fait jusqu’à concurrence de la portion disponible à moins que le disposant ait expressément exigé le rapport en cas de renonciation.».
Comment peut-on imposer au représentant le rapport de la donation faite au donataire (père/mère) alors que ce dernier n’y est pas tenu lui-même?
L’article 919-1 du code civil énonce que la donation en avancement de part «rapportable» successorale faite à un héritier réservataire qui renonce à la succession, est traitée comme une donation hors part successorale. L’héritier qui renonce n’est pas tenu au rapport et la donation dont il a bénéficié va s’imputer sur la quotité disponible comme une donation faite par préciput.
Cet article ne prévoit de traiter le renonçant comme acceptant que dans le cas où il est tenu au rapport par une clause expresse conformément à l’article 845 du Code civil. Rien n’est prévu pour le cas de la représentation d’un renonçant. Or, si le représenté lui-même n’est pas tenu au rapport en vertu de l’article 919-1 du Code civil, sauf clause expresse, nous pouvons continuer à soutenir que le représentant n’a aucune raison de devoir le rapport .
Par ailleurs et surtout, imposer le rapport au représentant du renonçant gratifié est contestable. En ce sens que, le représentant n’a aucune chance de profiter de la donation «rapportable» dont il devrait le rapport car le renonçant est toujours vivant et garde sa donation; il ne la transmet pas à son représentant. Il devra réintégrer un bien qu’il ne lui appartient pas et peut-être qui ne lui appartiendra jamais.
D’autre part, rappelons que l’on ne rapporte à la succession que les dons que l’on nous a fait personnellement. Il s’agit là du principe de l’exclusion du rapport pour autrui. Retenir l’application de l’article 848 du Code civil serait d’une part une violation flagrante de ce principe juridique mais aussi d’une logique fragile qui continuera inéluctablement à subir les critiques doctrinales.
Le représentant ne devrait donc pas le rapport des libéralités faites au renonçant car cela réduirait ainsi l’intérêt d’une telle renonciation dès lors qu’il y’a représentation. Le représentant ne devrait le rapport que si le représenté le devait lui même.
L’article 848 du Code Civil ne devrait continuer à s’appliquer qu’en cas de pré-décès du représenté. Le fils du donataire ne devrait le rapport de la donation faite au donataire que s’il vient à la succession du disposant de son propre chef en cas de pré-décès.
Lors du 108 ème Congrès des notaires qui s’est déroulé à Montpellier le 25 Septembre 2012, parmi les propositions validées par les commissions figurait la volonté de sécuriser la transmission face au risque d’une renonciation. En effet, la cinquième commission avait proposé « que l’article 848 du Code civil ne s’applique qu’aux cas de représentation par décès, et que cela soit ajouté audit article.». Une réforme ne serait donc pas à exclure !
Soraya Benkirane
Master 2 de Droit Notarial
Paris Ouest Nanterre La Défense.
Notes:
- : Madame Roy fait partie de ces auteurs dénonçant l’application de l’article 848 en cas de renonciation, et défend le principe juridique selon lequel, pour être tenu au rapport, il faut avoir été personnellement gratifié.