Le 28 octobre dernier, Jean-Denis Combrexelle, Directeur Général du Travail, a remis à Michel Sapin, Ministre du Travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, son rapport sur la représentativité patronale. Faisant suite aux engagements pris lors de la Grande conférence sociale des 20 et 21 juin 2013, ce rapport décline, précise et prolonge les principes de la position commune présentés par le MEDEF, la CGPME et l’UPA le 19 juin dernier. Après la grande réforme de la représentativité syndicale en date du 20 août 2008, quelle réforme de la représentativité des organisations patronales ?
LES OBJECTIFS DE LA REFORME
En matière de droit social, la norme négociée par les partenaires sociaux occupe une place prépondérante dans l’encadrement des relations de travail. Par exemple, l’article L 1 du code du travail dispose que : « tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l’objet d’une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l’ouverture éventuelle d’une telle négociation ». La future réforme a ainsi pour objectif d’accorder une plus grande légitimité aux organisations patronales dans le processus de négociation collective.
A l’heure actuelle, la représentativité patronale s’acquière par le biais du principe de la reconnaissance mutuelle : les organisations légitimes pour négocier sont celles qui s’accordent pour se reconnaître réciproquement la qualité d’interlocuteur. L’administration et le juge peuvent être saisis par les parties revendiquant ou contestant la représentativité d’une organisation professionnelle, ce qui assure un minimum de contrôle. Toutefois, ce type de contrôle se heurte à un manque de clarté des règles entourant la représentativité des organisations patronales.
Autre difficulté, la France compte un nombre bien trop excessif de branches professionnelles : selon un rapport de 2009, on en compterait 942 contre une quinzaine en Allemagne. Sur ce point, le rapport Combrexelle juge « impératif que toute réforme de la représentativité patronale s’accompagne d’une impulsion forte des pouvoirs publics en vue de restructurer les branches professionnelles afin d’en réduire le nombre de façon significative. Cet effort n’est pas un préalable à la réforme de la représentativité mais il en constitue un complément indispensable si, du moins, l’on souhaite que la négociation de branche conserve une réelle existence, une vraie légitimité et une utilité incontestable ».
Par ailleurs, l’absence d’informations objectives et transparentes sur le poids des organisations professionnelles et la judiciarisation croissante des rapports entre elles sont d’autant de constats rendant nécessaire une telle réforme.
Pour synthétiser, le rapport Combrexelle affiche clairement les cinq objectifs poursuivis :
– légitimer les acteurs patronaux
– construire un système opérationnel qui ne déstabilise pas la négociation collective
– retenir un mode d’établissement de la représentativité patronale transparent et objectif
– concilier simplicité et fiabilité
– faire prévaloir la spécificité, la symétrie et le pragmatisme
LES CRITERES DE REPRESENTATIVITE PROPOSES
En s’appuyant sur les propositions issues de la position commune du MEDEF, de la CGPME et de l’UPA du 19 juin 2013, le rapport Combrexelle propose de retenir des critères identiques à ceux de la représentativité syndicale au nom du « principe de symétrie ». Au nombre de ces critères figurent :
– l’ancienneté
– le respect des valeurs républicaines
– l’indépendance
– la transparence financière
– l’influence
– l’audience
A ces critères, le rapport estime qu’il conviendra d’ajouter, au niveau des branches professionnelles, celui de l’implantation territoriale équilibrée qui permet de s’assurer que l’organisation dispose d’adhérents dans les régions et départements dans lesquels les entreprises de la branche sont le plus fortement implantées.
Le rapport souhaite que soit mis l’accent sur le respect de la condition de la transparence financière en imposant notamment à toutes organisations d’employeurs une certification de ses comptes.
Le rapport précise également les modalités de l’audience des organisations patronales pour tenir compte de leurs spécificités. Il est proposé d’apprécier l’audience à partir du nombre d’entreprises déjà adhérentes à une organisation professionnelle ou du nombre d’entreprises adhérant directement ou indirectement (via une organisation professionnelle) à une confédération professionnelle. Le seuil de représentativité serait fixé à 8%. En cas d’adhésion d’une organisation professionnelle à plusieurs confédérations interprofessionnelles, il est proposé de leur laisser le choix quant à la répartition de leurs adhérents à partir de critères objectifs tels que la taille, les effectifs et l’activité des entreprises adhérentes.
LES SOLUTIONS PROPOSEES QUANT A LA VALIDITE DES ACCORDS COLLECTIFS
Au préalable, il convient de rappeler que, pour être valides, les accords collectifs doivent, en application de la loi du 20 août 2008, avoir été négociés par des organisations syndicales ayant recueilli 30% des suffrages des organisations syndicales représentatives et ne pas faire l’objet d’une opposition de la part d’organisations syndicales représentatives totalisant au moins 50% des suffrages des organisations syndicales représentatives.
Le rapport Combrexelle propose que, dans un premier temps, soit consacré un droit d’opposition majoritaire qui pourrait s’exercer de la façon suivante : un accord collectif ayant vocation à être étendu est valide dès lors qu’il est signé par une organisation professionnelle représentative et qu’il n’a pas fait l’objet d’une opposition de la part d’une ou de plusieurs organisations professionnelles représentatives ayant un poids d’au moins 50% dans la branche.
Dans un second temps, il est envisagé de transposer les règles de validité des accords applicables aux organisations syndicales. A ce titre, le poids dans la négociation de chaque organisation professionnelle représentative serait déterminé en pondérant l’audience issue du nombre d’adhérents par la prise en compte du nombre de salariés des entreprises adhérentes.
Notons que concernant la validité des accords nationaux et interprofessionnels, le rapport est favorable à ce qu’un accord de méthode soit conclu entre les organisations représentatives au niveau national et interprofessionnel.
Pour synthétiser, le rapport contient un tableau récapitulatif, ci-dessous reproduit, sur les incidences de la réforme en matière de validité des accords collectifs en application du « principe de symétrie » :
Types d’accords |
Représentativité syndicale |
Représentativité patronale |
Accords de branche ayant vocation à être étendus |
Validité en cas de signature par des organisations représentatives ayant recueilli 30% des suffrages sans opposition de la part d’organisations représentatives ayant recueilli au moins 50% des suffrages
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Absence d’opposition de la part d’organisations représentatives représentant au moins 50% de l’audience (adhérents) pondérée par les effectifs la part des organisations représentatives représentant au moins 50% de l’audience (adhérents) pondérée par les effectifs
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Accords nationaux interprofessionnels (L1 et ANI ayant vocation à être étendus) |
Validité en cas de signature par des organisations représentatives ayant recueilli 30% des suffrages sans opposition de la part d’organisations représentatives ayant recueilli au moins 50% des suffrages
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Absence d’opposition de la part d’organisations représentatives représentant au moins 50% de l’audience (adhérents) pondérée par les effectifs
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LA MISE EN ŒUVRE DES PRECONISATIONS DU RAPPORT
Sous réserve de l’adoption par le Parlement, au premier semestre 2014, des mesures proposées par le rapport, il est envisagé de rendre applicable le dispositif dès 2017 avec un premier cycle électoral couvrant la période 2017-2021 afin de se calquer sur le calendrier des organisations syndicales. A cet effet, dès l’adoption de la loi, il est envisagé que soit publié un avis d’ouverture de procédure d’établissement de la représentativité patronale, invitant les confédérations et organisations patronales intéressées à adresser au ministère chargé du travail, une demande de reconnaissance de leur représentativité.
Enfin, à l’issue du premier cycle électoral, il est proposé que soit dressé un premier bilan au sein du Haut Conseil du Dialogue Social, suivi d’un éventuel aménagement des règles.
Romain TAFINI
Diplômé du Master 2 Droit et pratique des relations de travail, Paris II Panthéon-Assas
Etudiant au sein du DU de Médiation et de l’IEJ de l’université de Nice-Sophia-Antipolis
Pour en savoir plus :
– Rapport Combrexelle du 28 octobre 2013 (accompagné d’annexes dont la position commune du MEDEF, de la CGPME et de l’UPA du 19 juin 2013) http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_sur_la_reforme_de_la_representativite_patronale.pdf
– Jean-Fréderic POISSON, Rapport au Premier Ministre remis le 28 avril 2009 « sur la négociation collective et les branches professionnelles », La Documentation Française
– Stéphane Béchaux, « Dans la jungle des conventions collectives », Liaisons sociales magazine, janvier 2013