Le Parquet européen : vers une justice européenne

Lors de la Conférence intergouvernementale de Nice en décembre 2000, la Commission européenne a proposé la création d’un procureur européen indépendant chargé de la protection des intérêts financiers de la Communauté, lié à la création d’ « Eurojust » dans la poursuite d’Europol qui est un modèle de coopération policière. En effet, l’Union européenne ne peut engager des poursuites pénales pour des infractions commises à l’encontre de son propre budget. Le 17 juillet 2013, le Conseil émet une proposition de règlement portant création du Parquet européen[i]. Le 16 janvier 2015, Monica Macovei, députée européenne et vice-présidente de la Commission LIBE (Libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures) du Parlement européen émet un rapport intermédiaire sur ce projet[ii] : « nous avons besoin d’un Parquet européen » affirme-t-elle.

Ce projet repose sur l’article 86 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE). Après l’entrée en vigueur le 1er décembre 2009 du Traité de Lisbonne, la création de ce Parquet européen est en effet devenue possible grâce à cet article qui stipule que le Parquet européen ne peut être institué que par le Conseil statuant à l’unanimité par voie de règlements, après approbation du Parlement européen. Le Conseil et le Parlement ne sont donc pas à égalité puisqu’il revient au Conseil de trouver un accord. Ainsi, la réalisation du rapport par la Commission LIBE a permis au Parlement de transmettre sa proposition au Conseil pour qu’il la prenne en compte dans ses travaux en cours. Le Parquet européen est donc devenu un dossier prioritaire pour le Conseil, cependant, certains Etats membres jaloux de leurs prérogatives régaliennes restent frileux sur la question alors qu’un Parquet européen efficace semble essentiel dans l’Union Européenne actuelle.

 

UN PARQUET EUROPEEN NECESSAIRE FACE A LA CRIMINALITE ORGANISEE TRANSFRONTALIERE

« Le crime organisé, c’est le mal organisé. Et aujourd’hui, les criminels jouent de la différence des systèmes judiciaires dans l’Union européenne » a déclaré Robert Badinter devant la Commission des affaires européennes.

Dans son rapport, Monica Macovei rappelle des chiffres qu’avait estimés la Commission : chaque année, environ 3 milliards d’euros sont menacés par la fraude au budget européen, la corruption et d’autres infractions pénales. Sur la période s’écoulant de 2006 à 2013, l’Office européen de la lutte anti-fraude (OLAF) a formulé 430 recommandations judiciaires aux Etats membres dont seulement 31% ont été suivies, ce qui représente un chiffre très faible face à l’importance du problème. Cela est dû au fait que certains Etats membres se montrent moins actifs dans ce domaine car les enquêtes et poursuites pénales restent de leur ressort exclusif, ce qui porte atteinte aux Etats, lèse les contribuables et entache la confiance des citoyens face aux institutions démocratiques. Mais surtout, cela prive directement l’UE d’une partie de son budget ne permettant pas aux citoyens de bénéficier de ses initiatives telles que la lutte contre le chômage des jeunes, l’amélioration de l’infrastructure numérique, le soutien à la recherche scientifique, etc. Ces différences « entre les compétences judiciaires, les traditions juridiques et les systèmes répressifs dans les Etats membres ne devraient pas entraver ni compromettre la lutte contre la fraude et la criminalité portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union », affirme Mme Macovei dans son rapport. Cependant, les autorités répressives disposent rarement des compétences ou des ressources nécessaires aux enquêtes transfrontières.

Robert Badinter s’est clairement positionné en faveur d’un parquet européen : « Il faut au sommet et dans l’Europe un Parquet européen apte à diriger les poursuites dans toutes les nations ». Ainsi, le Parquet européen, à la différence de l’OLAF, mènerait les enquêtes du début à la fin, exerçant devant les juridictions compétentes des Etats membres l’action publique relative à ces infractions. Mais comme l’a aussi affirmé Robert Badinter, « ce ne sont pas les idées qui font défaut, c’est la volonté politique », alors que sa nécessité parait évidente.

Le représentant de la Commission s’est aussi exprimé sur le sujet suite au rapport de la Commission LIBE. Selon lui, l’objectif est d’arriver à un règlement avant le terme de l’année 2015 afin d’obtenir un Parquet efficace afin d’offrir une réponse européenne commune : cela se traduirait pas des enquêtes et poursuites cohérentes à l’échelle de l’Union mais aussi la mise en commun de l’expertise, des ressources et des informations.

 

« UN PARQUET EUROPEEN UNIQUE, FORT ET INDEPENDANT »

Voici les termes qu’emploie Monica Macovei pour décrire l’institution qu’elle veut voir apparaitre. Elle souhaite que le Parquet européen soit en mesure de rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs d’infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, et pour cela, le Parquet devra témoigner d’un niveau d’indépendance le plus élevé possible. Cela nécessite donc une ouverture et transparence dans les procédures de sélection et nomination des procureurs européens, mais aussi que le Parquet soit à l’abri de toute ingérence politique. Elle a ainsi proposé un système où les Etats membres pourraient proposer trois noms chacun pour le poste de procureur avant un vote au niveau des institutions européennes, suggérant une implication forte du Parlement dans le processus de nomination.

Deux modèles de structure s’affrontent. La Commission souhaite une structure hiérarchique, c’est-à-dire qu’il y aurait 25 procureurs européens (un par Etat membre sauf pour le Royaume-Uni, l’Irlande et le Danemark qui se sont exclus du projet via leur opt-out en matière de justice et affaires intérieures) auxquels s’ajoute un procureur en chef. A l’inverse, le Conseil retient une structure collégiale, c’est-à-dire que les 25 procureurs seraient répartis en chambres. Monica Macovei souligne que les chambres devraient avoir une position forte dans l’exercice des enquêtes et poursuites en supervisant les travaux des procureurs européens sur le terrain et non pas se limiter à de la simple coordination.

Une répartition claire des compétences entre le Parquet européen et les autorités nationales est aussi nécessaire : la mission du Parquet devra être clairement définie afin d’éviter tout risque d’interprétation erronée dans la phase opérationnelle. Les autorités nationales en charge de l’application des lois ne seront pas remplacées mais soutenues dans leurs enquêtes anti-fraude. Se pose la question de la gestion des cas où l’allégation de fraude porte sur plusieurs pays. Apparait aussi la possibilité d’avoir des procureurs délégués dans les Etats membres pour assurer la coordination entre les Etats membres et le bureau central composé des 25 procureurs européens.

L’efficacité de ce Parquet va donc passer par la conciliation d’une certaine rapidité à la fois dans la prise de décision mais aussi dans le respect des droits fondamentaux. L’action du Parquet devra se faire dans le respect de la législation de l’Etat membre où la mesure en question est exécutée, mais aussi dans le plein respect de la Charte des droits fondamentaux. Tout d’abord, le Conseil devra veiller à l’admissibilité des preuves recueillis par le Parquet européen sur tout le territoire de l’Union, condition indispensable pour garantir l’efficacité des poursuites. Ensuite, l’accès au contrôle juridictionnel devra être garanti à tout moment. Enfin, le Parquet devra mener ses activités dans le respect de la protection juridictionnelle des suspects et des personnes poursuivies, c’est-à-dire respecter les droits procéduraux. Les droits procéduraux sont donc un enjeu majeur de ce projet, selon Axel Voss (député européen allemand du PPE).

Pour le moment, les travaux se concentrent sur le rôle du Parquet européen en matière de lutte contre la fraude aux intérêts financiers de l’Union, mais le représentant de la Commission a laissé apparaitre qu’une extension de ses compétences dans le domaine de la politique de sécurité, comme la lutte contre le terrorisme, n’est pas à écarter, mais aussi que faire intervenir la réforme d’Eurojust en même temps que la création du Parquet européen ne pourrait être que positif pour les deux institutions. 

 

Laura BEN KEMOUN

 

Bibliographie :

Robert Badinter défend le parquet européen pour lutter contre le « mal organisé » – Kelly Thomas – euroactiv.fr – 11 mars 2014

Le Parquet européen (22 janvier 2015) : travaux de la commission LIBE du Parlement européen – Clément François – europe-liberte-securite-justice.org   –  Le Portail de référence pour l’espace de Liberté, Sécurité et Justice  –  12 février 2015

« Nous avons besoin d’un Parquet européen »  – Kristalina Georgieva (vice-présidente de la Commission européenne), Věra Jourová (Commissaire) et Monica Macovei (députée européenne) –  L’Express  –  30 avril 2015

 

 

[i] Proposition de règlement du Conseil portant création du Parquet européen du 17 juillet 2013 

[ii] Projet de rapport intérimaire sur la proposition de règlement du Conseil portant création du Parquet européen du 16 janvier 2015 (rapporteur  Monica Macovei) 

 

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