L’agenda des derniers mois du législateur européen a été riche en séances consacrées aux libertés fondamentales. Présomption d’innocence, protection des données, asile et migrations sont autant de sujets débattus au sein du Parlement européen.
Maitre de conférence de droit public à l’Université de Lorraine, Nathalie Griesbeck est depuis 2004 députée européenne (ADLE) de la circonscription Grand Est. Siégeant au sein de la Commission Libertés Civiles, Justice et Affaires Intérieures du Parlement Européen, elle nous expose le traitement législatif par l’institution des principales problématiques en la matière.
Le Petit Juriste : La directive sur la présomption d’innocence dont vous avez été rapporteur a été récemment adoptée. Quel est l’apport de cette norme européenne par rapport à notre législation nationale ?
Nathalie Griesbeck : La présomption d’innocence est un droit fondamental et un principe essentiel pour prévenir les jugements arbitraires. En dépit de l’existence de législations nationales, de nombreuses violations du droit de présomption à l’innocence subsistent encore en Europe ; c’est pourquoi cette nouvelle directive européenne sur la présomption d’innocence est si importante.
Premièrement cette Directive est un texte législatif très concret pour tout citoyen européen qui ferait face à des procédures judiciaires pénales : sur le droit de ne pas être accusé publiquement par les autorités publiques avant jugement, le droit d’assister à son procès, le droit de conserver le silence, la façon dont sont présentées les personnes soupçonnées, etc.
Deuxièmement, cette nouvelle directive 2016/343 est une Directive européenne ce qui signifie que les Etats de l’Union Européenne ont l’obligation de la transposer dans leur droit national. Cette Directive fixe des normes minimales en deçà desquelles les Etats ne pourront pas aller.
LPJ : En quoi les nouvelles règles de l’UE sur la protection des données protègent-elles la sécurité juridique des citoyens et des entreprises ?
N.G : La législation européenne en matière de protection des données datait de 1995. Il était donc nécessaire de la réformer au vu des évolutions technologiques conséquentes de ces dernières années.
Premièrement, ces deux nouveaux textes constituent un corpus unique de règles relatives à la protection des données, valables et applicables dans toute l’Union européenne, ceci constitue une première avancée notable, tant pour les citoyens européens que pour les entreprises européennes. Ceci signifie une sécurité juridique plus forte et une seule autorité nationale sera compétente pour répondre à toute question.
Deuxièmement, ils contiennent de nombreuses dispositions qui renforcent la protection, pour les citoyens, de leurs données personnelles et visent à leur rendre le contrôle sur leurs propres données – sans être exhaustive – via un droit d’accès de chacun à ses données personnelles, via un droit à la suppression de ses données, via un droit d’être informé en cas de piratage, via l’obligation établie de recueillir le consentement explicite de toute personne pour l’utilisation de ces données, etc.
LPJ : Quelle législation européenne dans le domaine de l’asile et des migrations ?
N.G : Le Parlement Européen réclame depuis de nombreuses années une réforme – ou plutôt une vraie finalisation du régime commun européen d’asile (procédures identiques, délais identiques, droits et conditions d’accueil identiques, responsabilité des Etats membres, solidarité entre Etats membres, etc.) et une vraie politique européenne dans le domaine de l’asile et des migrations.
Dès l’automne 2014 et surtout depuis le début de l’année 2015, suite aux évènements tragiques survenus en Méditerranée, la Commission Européenne a pris la mesure et l’ampleur de la crise migratoire et humanitaire et a publié, le 12 mai 2015, un nouvel « Agenda européen en matière de migration » : un agenda concret et ambitieux face à la situation actuelle à laquelle l’Europe fait face.
Pour mettre en œuvre cet « agenda », la Commission européenne a d’ores et déjà publié quatre « paquets » législatifs (un ensemble de textes législatifs) ambitieux pour doter l’Union Européenne d’une vraie politique européenne en matière d’asile et de migrations: création de plusieurs mécanismes de relocalisation des réfugiés au bénéfice de la Grèce et de l’Italie, création d’un mécanisme de réinstallation des réfugiés, création du dispositif « hot spot », révision du Code Frontières Schengen, création d’un corps européen de garde-frontières, révision du Règlement de Dublin, renforcement du Bureau Européen d’appui en matière d’asile, réforme des directives européennes concernant les conditions d’accueil des demandeurs d’asile et les procédures d’asile en Europe, etc.
Ces propositions législatives, ces réformes sont à présent négociées entre le Parlement européen et le Conseil et ces deux institutions doivent tout d’abord et absolument s’entendre pour des réformes ambitieuses et courageuses et pas pour des réformes « en demi-teinte ».
Ensuite, ces propositions législatives doivent et devront être mises en œuvre – et correctement – par les États membres ; États qui se doivent d’arrêter de rejeter la faute sur l’Union Européenne, se doivent de prendre leurs responsabilités et d’agir, via des mesures concrètes et des budgets appropriés pour qu’ensemble, nous parvenions à une gestion humaine, équilibrée et solidaire des migrations.
LPJ : Quelle est selon vous la nécessité d’une réforme face aux dysfonctionnements de Schengen face à la crise migratoire ?
N.G : La liberté de mouvement, la libre-circulation des personnes au sein de l’Union Européenne est l’un des acquis clefs – si ce n’est le plus formidable – de l’Union Européenne. Aussi, la fin des contrôles aux frontières internes constitue une avancée considérable pour la liberté de circulation des citoyens, comme en témoigne les 1,25 milliard de déplacements effectués chaque année au sein de cette zone.
Naturellement, cet « espace Schengen » ne peut être viable que si les frontières extérieures sont efficacement garanties et protégées, c’est un intérêt commun et c’est une responsabilité partagée C’est la raison pour laquelle j’estime qu’il faut créer davantage d’instruments européens de gestion commune de nos frontières externes. Dans l’optique de renforcer ce contrôle des frontières externes, la Commission européenne a donc notamment proposé le 15 décembre 2015 : premièrement la création d’un corps européen de gardes-frontières et de garde-côtes, dossier sur lequel je suis rapporteur shadow[1], et deuxièmement la révision du Code Frontières Schengen pour contrôler systématiquement toutes les personnes qui entrent et sortent de l’espace Schengen. Il s’agit là de deux dispositions clefs que j’appelle de mes vœux depuis plusieurs années et qui font partie des mesures à mettre en place pour résoudre la crise que l’UE connait.
Propos recueillis par Clément Comis
[1] NDLR Député qui suit un dossier pour des groupes politiques autres que celui du rapporteur
Pour en savoir +
Dossier complet sur la Commission Libertés Civiles, Justice et Affaires Intérieures
Etude technique Le respect des droits fondamentaux dans l’Union
Sarah Salomé SY, Policy Department Citizens’ Rights and Constitutional Affairs