Le nouveau régime de la preuve en matière de blanchiment

La loi n°2013-1117 relative aux infractions financières facilite la preuve en matière de blanchiment. Comment ? Par un quasi-renversement de la charge de la preuve !

Les prémisses

La question de la preuve du blanchiment avait été soulevée en première lecture du projet de loi.

L’amendement proposait d’insérer un alinéa à l’article 324-1 du Code pénal. Toutefois, cet amendement était clairement inconstitutionnel en ce qu’il inversait purement et simplement la charge de la preuve. Le Sénat a donc eu la clairvoyance de le rejeter.

En deuxième lecture, le législateur a adopté, sur ce point, un amendement créant un nouvel article 324-1-1 :

« Pour l’application des dispositions de l’article 324-1, les biens ou les revenus sont présumés être le produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit dès lors que les conditions matérielles, juridiques ou financières de l’opération de placement, dissimulation ou de conversion, ne peuvent avoir d’autre justification que de dissimuler l’origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus. »

C’est en ces termes que le nouvel article a intégré notre Code pénal.

L’analyse erronée du législateur

Le Conseil constitutionnel, appelé à se prononcer sur la constitutionnalité de certaines dispositions de la loi, n’a pas été saisi -et ne s’est pas autosaisi- de cet article, dont la conformité à la norme suprême apparaît pourtant douteuse.

En effet, une telle présomption en matière de preuves pourrait entraîner une quasi-présomption de culpabilité dans la mesure où le parquet n’aurait plus à apporter la preuve de tous les éléments constitutifs de l’infraction.

Le rapporteur de cette loi à l’Assemblée nationale relève qu’il existe déjà dans notre Code pénal des infractions dont la charge de la preuve peut être inversée, comme en matière de non-justification des ressources (art. 326-1 CP).[1]

C’est une analyse qui prête à discussion : à l’occasion d’une QPC sur la constitutionnalité de l’infraction de non-justification des ressources, la Chambre criminelle a refusé de transmettre la question aux Sages car :

« d’une part, les termes utilisés dans les articles susvisés définissent de façon claire et précise l’incrimination contestée de non-justification de ressources et que, d’autre part, ces textes n’édictent aucune présomption de responsabilité pénale mais créent un délit spécifique dont il appartient à l’accusation de rapporter la preuve. »[2]

Le parallèle allégué entre ces dispositions est donc inopérant : pour l’un, il s’agit d’une disposition concernant la preuve et pour l’autre, il s’agit d’une disposition créant une infraction autonome.

La constitutionnalité du nouvel article 324-1-1 en question

L’article 324-1-1, s’il ne crée pas de présomption de culpabilité, permet en revanche de présumer l’origine frauduleuse des biens ou revenus, dès lors qu’ils « ne peuvent avoir d’autre justification que de dissimuler l’origine ou le bénéficiaire effectif ».

Or, le blanchiment consiste dans deux comportements possibles : soit le fait de donner au produit d’une infraction l’apparence d’un patrimoine légitime ; soit une opération de gestion économique d’un produit issu de la délinquance.

Ainsi, dès lors que l’origine frauduleuse des biens litigieux peut être présumée, il ne reste qu’à démontrer une opération de gestion économique !

Tout dépendra alors de la lecture qu’on adoptera de : « ne peuvent avoir d’autre justification ». En application du principe d’interprétation stricte de la loi pénale, toute justification plausible devra alors être admise par le juge, rendant la disposition concernée inefficace. Tout écart pourrait être sanctionné sur le fondement de ce principe.

La constitutionnalité de l’article 324-1-1 du Code pénal est donc bien sujette à caution.

Nous attendons les premières décisions en la matière et, peut-être, une QPC ?

 Antonin Péchard

Bibliographie :

– Dossier législatif sur la loi n°2013-1117 sur le site du Sénat

– AJ Pénal, décembre 2013

– Code pénal

– Code de procédure pénale

– Droit pénal spécial, Précis Dalloz

– Droit pénale des affaires, Manuel LexisNexis

 

 



[1] Rapport n°1348, Assemblée nationale.

[2] Cass, crim, 13 juin 2012, n°12.90-027 (QPC).

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