Le Grand Juriste est allé à la rencontre de Maître Laurent Cohen-Tanugi, aujourd’hui seul avocat français à avoir exercé la fonction de « moniteur indépendant » dans un dossier de compliance anti-corruption. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont tout récemment « What’s wrong with France ? » (Grasset, 2015).
Bio express
- Né en 1957
- Ancien élève de l’ENS (1976-1981)
- Agrégé de lettres modernes (1979)
- Diplômé de l’IEP de Paris (1980)
- Maîtrise en droit des affaires internationales et D.E.A. en droit anglo-américain des affaires Université de Paris I (1981)
- LL.M. Harvard Law School (1982)
- Associé chez Cleary, Gottlieb, Steen & Hamilton (1991-2003)
- 2004 : Senior Vice-Président et membre du comité exécutif de Sanofi
- 2005-2007 : Associé du cabinet Skadden Arps
- 2007 – 2008 : Président de la Mission interministérielle « L’Europe dans la mondialisation »
- 2008 : création du cabinet Laurent Cohen-Tanugi Avocats
Pouvez-vous nous expliquer les raisons qui vous ont poussé à endosser le rôle d’« Independent Monitor » ?
Après de nombreuses années dans de grands cabinets internationaux, et suite à la présidence d’une mission interministérielle, j’ai décidé, notamment pour disposer de plus de liberté, de créer ma propre structure, conçue comme une boutique internationale centrée sur les missions stratégiques comportant un fort degré d’intuitu personae. C’est dans ce cadre que j’ai été sollicité pour exercer les fonctions de moniteur indépendant. Ma mission aura duré un peu plus de trois ans et vient de s’achever. A cette occasion, avec mon équipe franco-américaine, nous avons développé une expertise assez unique en France en matière de compliance anti-corruption.
Concrètement, en quoi consiste la mission de monitor ?
Le moniteur est tout d’abord indépendant de l’entreprise, mais aussi des autorités, puisqu’il ne reçoit pas d’instructions de leur part. Il a une feuille de route, négociée entre l’entreprise et les autorités – le programme de compliance à mettre en place, les engagements pris et les progrès à réaliser par l’entreprise incriminée. Le mandat est ainsi très large et le moniteur met en place un programme de travail tous les ans en collaboration avec l’entreprise. Il fait également des recommandations ayant une force contraignante pour l’entreprise, ce qui les rend très efficaces. Tous les ans, je délivrais un rapport au conseil d’administration de la société et aux autorités françaises, qui les transmettaient après examen aux autorités américaines. Plus globalement, le moniteur procède à l’analyse de documents, s’entretient avec les dirigeants à tous les niveaux, et effectue surtout des visites sur le terrain en choisissant des pays à risque, pour voir comment les politiques et les procédures anti-corruption y sont appliquées. Au cours de ces trois ans, j’ai ainsi visité une vingtaine de pays.
Le monitoring est un instrument très efficace : d’une part, les autorités peuvent se reposer sur un tiers de confiance – l’entreprise mise en cause assumant le coût de la procédure – et d’autre part, pour l’entreprise, le moniteur constitue un appui important pour les départements juridique et de compliance. En effet, cela permet aux responsables de ces fonctions de faire avancer les choses plus rapidement, d’obtenir des ressources pour remplir leurs objectifs, et d’avoir toute l’attention du top management.
Suite aux affaires récentes, notamment l’affaire BNP Paribas, pensez-vous que le monitoring va se développer en France?
L’affaire BNP a réveillé les dirigeants d’entreprises françaises, car il y a en France, de manière générale, une sous-évaluation du risque lié à ces problématiques. Si le système de la transaction pénale n’est pas admis en France et si la reconnaissance juridique de la compliance n’existe pas, les grandes entreprises françaises mettent de plus en plus en place des programmes de compliance, car cela devient une exigence internationale.
Il existe cependant un conflit entre le droit français, où l’auto-dénonciation peut conduire à des poursuites, et le droit américain, qui vous oblige à coopérer avec les autorités pour réduire les sanctions. Les entreprises françaises sont prises en tenailles. Aussi, il faudrait changer la manière de traiter les infractions économiques : non pas dans la sanction, mais plutôt dans la réhabilitation. Tous ces programmes de compliance sont en fait destinés à faire en sorte que les entreprises se réforment, s’amendent, plutôt que de se voir condamnées pénalement. C’est un peu la démarche entreprise par l’Autorité de la Concurrence sous l’influence de Bruno Lasserre.
POUR LPJ et non LGJ Quels conseils donneriez-vous aux étudiants qui souhaitent devenir de futurs avocats ?
Je leur dirais d’abord : essayez d’aller compléter vos études de droit aux Etats-Unis ou ailleurs. Puis lorsque vous entrerez dans la vie professionnelle: ne vous laissez pas enfermer dans une spécialité trop étroite ! Essayez d’acquérir une compétence généraliste, et surtout, ne restez pas trop longtemps dans un endroit où vous n’êtes pas très épanoui…
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Propos recueillis par Laura Lizé et Marie Vincent-Renard