Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas le Code du travail qui est venu entraver la vie des affaires mais le droit des sociétés qui a sévèrement perturbé le fonctionnement traditionnel du droit du travail ! Des cours d’appel ont remis en cause des licenciements via des dispositions du Code de commerce qui n’avaient aucunement vocation à s’appliquer en droit social.
Par deux arrêts1 rendus le 19 novembre 2010, une chambre mixte de la Cour de cassation réunissant des conseillers de la chambre sociale, de la chambre commerciale et de la deuxième chambre civile s’est prononcée sur un des sujets social les plus brûlants du moment. Les enjeux de la remise en cause des licenciements prononcés dans les SAS par le biais de l’application du Code de commerce étaient majeurs. Ainsi que le souligne la Cour de cassation dans son communiqué de presse « les SAS sont, quantitativement, la première forme de sociétés par actions. Un grand nombre d’entre elles ont un poids économique considérable et emploient plusieurs milliers de salariés ».
La (dé)construction de l’édifice jurisprudentiel bâti par certaines cours d’appel
Le problème soulevé devant les juges du quai de l’horloge peut être résumé ainsi : l’article L 227-6 du Code de commerce, qui dispose que la SAS est «représentée à l’égard des tiers » par son président et, le cas échéant, par un directeur général ou un directeur général délégué, est-il applicable en droit du travail ? Des cours d’appel ont considéré que les salariés, étant des tiers au sens du Code de commerce2, seules les personnes susmentionnées (président, directeur général ou directeur général délégué) avaient pouvoir de licencier.
La majorité des arrêts litigieux validaient toutefois la pratique – très fréquente – des délégations de pouvoirs permettant au dirigeant social de transférer ses prérogatives à un subordonné plus à même de les exercer (qu’il s’agisse du pouvoir de licencier, d’embaucher ou de tout autre acte inhérent à la vie de l’entreprise). Il est évident que dans la pratique, ce n’est pas le président de la SAS qui signe l’ensemble des lettres de licenciement, mais, par exemple, le DRH d’une filiale ou le chef du personnel.
Cependant, ces mêmes cours d’appel, désavouées par la Cour de cassation, exigeaient, que ces délégations du pouvoir de licencier soient toutes mentionnées dans les statuts, publiées au registre du commerce et des sociétés, mentionnés à l’extrait K-bis.
Les juges du fond appliquaient au droit du travail des dispositions spécifiques du droit des sociétés, opérant ainsi une confusion entre (i) les délégations de pouvoirs statutaires dont le siège est l’article L 227-6 du Code de commerce et (ii) les délégations de pouvoirs spéciales, fonctionnelles qui ont une origine jurisprudentielle. Les premières sont celles que le président de la SAS est habilité à mettre en place, et relèvent de la représentation générale de la société à l’égard des tiers, les secondes relèvent de l’organisation interne de l’entreprise, ainsi en est-il de la gestion du personnel, et donc du pouvoir de licencier.
Pourquoi évincer l’article L 227-6 du Code de commerce du droit du licenciement ? La mécanique qu’il institue vise à protéger les tiers au sens du droit des sociétés – les banquiers dispensateurs de crédits par exemple – et non les salariés déjà protégés par le Code du travail.
La Cour de cassation a donc énoncé (i) que les salariés ne sont pas des tiers au sens du droit des sociétés et (ii) que la délégation du pouvoir de licencier n’obéit pas au formalisme strict de ce dernier, son régime étant celui d’un mandat au sens de l’article 1984 du Code civil. Qualifier ces délégations de pouvoirs de mandats implique plusieurs conséquences : un écrit n’étant pas nécessaire, le mandat (de licencier) peut être tacite et ratifié a posteriori par le représentant légal de la société.
L’orientation libérale et pragmatique de la Cour de cassation mérite notre approbation : cette jurisprudence pouvait aboutir à paralyser totalement l’organisation de la gestion du personnel dans les SAS.
Xavier Clavel
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