Le 12 février 2013, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (Cour. EDH) condamne les tribunaux hongrois qui ont prononcé une déchéance du droit de visite du père en raison de ses convictions religieuses (affaire Vojnity c. Hongrie, n° 29617/07). La Cour de Strasbourg s’est fondée sur l’article 14 (interdiction de la discrimination) combiné avec l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Selon elle, les juridictions hongroises n’ont pas démontré qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant de supprimer tout lien familial avec son père, lequel a ainsi subi une discrimination fondée sur ses croyances religieuses dans l’exercice de son droit au respect de sa vie familiale.
La Cour. EDH s’était déjà prononcée sur l’articulation de la liberté de religion avec le droit au respect de la vie familiale et en l’occurrence avec les droits parentaux. En effet, dans l’affaire Hoffmann contre Autriche du 23 juin 1993, elle avait sanctionné l’Autriche qui avait opéré une discrimination fondée sur la religion en refusant l’autorité parentale à la mère sur le seul motif que cette dernière appartenait aux Témoins de Jéhovah. Cette décision a par la suite été confirmée dans l’arrêt Palau Martinez contre France (Cour. EDH, 16 décembre 2003, n° 64927/01).
Dans l’affaire Vojnity contre Hongrie, sont là encore confrontés les deux droits fondamentaux que sont la liberté de religion et le droit au respect de la vie familiale. La liberté de religion est revendiquée par le père qui se fonde sur l’article 9 de la Convention Européenne des droits de l’homme (Conv. EDH) : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (…) ». Le droit de mener une vie familiale est également invoqué par le père qui veut avoir des contacts avec son enfant mais aussi, de manière implicite, par les juridictions hongroises puisque celles-ci affirment que l’influence religieuse du père mettrait en danger le développement de l’enfant : les juridictions nationales font prévaloir l’intérêt supérieur de l’enfant, c’est-à-dire ce qui est nécessaire pour qu’un enfant puisse vivre dignement et de la manière la plus heureuse possible.
Pour trancher le litige, la Cour. EDH raisonne en trois temps comme dans les affaires précédentes. Tout d’abord, elle regarde si les juridictions hongroises ont retiré le droit de visite du père uniquement en raison de ses convictions religieuses. La réponse étant positive, la Cour. EDH en déduit une différence de traitement entre le père et d’autres parents qui se trouveraient dans la même situation et donc une discrimination fondée sur la religion. Ensuite, la Cour. EDH se demande si cette différence de traitement est justifiée. Sur ce point, les juridictions hongroises avancent l’argument de l’intérêt supérieur de l’enfant mais la juridiction européenne réplique en disant qu’il n’est apporté aucun élément de preuve d’un quelconque préjudice de l’enfant. Enfin, la CourEDH recherche si la mesure prise, à savoir la suppression du droit de visite, était proportionnée à l’intérêt poursuivi : elle en conclue qu’il n’existait en l’espèce aucune circonstance exceptionnelle de nature à justifier une mesure aussi radicale, mesure constituant ainsi une disproportion au but légitime poursuivi, celui de la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. Ainsi, les juges hongrois n’ayant rapporté aucune preuve d’une influence néfaste de la religion du père sur le développement de son enfant, le père a subi une discrimination fondée sur sa religion.
Cette jurisprudence est intéressante en ce qu’elle nous rappelle l’attachement de la Cour. EDH à opérer un raisonnement qui fait état des seules circonstances de la cause, c’est-à-dire un raisonnement in concreto, et témoigne de la traditionnelle méfiance des juges européens envers les jugements fondés uniquement sur des principes généraux et abstraits. Mais surtout, cette décision nous interpelle sur les difficultés croissantes qui naissent d’un divorce lorsque l’un des parents est associé à des pratiques religieuses, voir à une secte, et que les juges se doivent de rechercher le meilleur pour l’enfant, c’est-à-dire faire un choix entre des contacts familiaux réguliers avec les deux parents et un développement digne et sain de l’enfant.
Audrey Most
Pour en savoir plus :
– Rapport sur l’affaire Palau Martinez contre France (CEDH, 16/12/2003) d’Eric Millard