Comme l’affirmait récemment Elsa Peskine, Maître de conférences à l’Université Paris Ouest Nanterre, « le mouvement de promotion de l’accord d’entreprise est engagé depuis bien longtemps » 1. En effet, cet accord, signé par des partenaires sociaux représentatifs en vue de fixer des règles relatives aux conditions de travail, à l’emploi ou aux garanties sociales des salariés, a fait l’objet de nombreuses discussions. Le débat a repris de l’ampleur, le 9 septembre 2015, à la suite de la publication du rapport Combrexelle qui a été initié par le Premier ministre Manuel Valls. En effet, dès l’introduction, il est souligné « qu’il faut développer le dialogue social et plus particulièrement l’un de ses outils privilégiés, l’accord collectif signé entre des partenaires sociaux représentatifs » 2. À la lecture de cette phrase, l’idée qui ressort est que l’accord collectif de travail devrait devenir une norme centrale en droit du travail.
Depuis des années, la négociation d’entreprise occupe une place de plus en plus conséquente en droit du travail. Elle a fait l’objet de nombreuses réformes, telles que les lois Auroux de 1982 ou encore la loi Fillon de 2004, mais aussi plus récemment la loi du 20 août 2008. Cette orientation a notamment été incitée par le patronat qui, depuis des années, souhaite faire de la négociation collective une source concurrente voire supérieure à la loi.
Au-delà de cette volonté patronale, il a pu être constaté que le législateur lui-même a conféré un certain pouvoir aux accords d’entreprise. Depuis les lois Auroux de 1982, il est en effet possible de déroger de façon moins favorable à la loi par le biais d’accords collectifs dits « dérogatoires ». Néanmoins, cette faculté est ouverte seulement dans des domaines prévus par la loi elle-même. Cette dérogation est donc tout de même contrôlée.
Le fait que le législateur donne plus de pouvoir à ces accords peut être perçu de façon négative. En effet, en permettant à des accords de déroger à la loi de façon moins favorable au salarié, le principe de faveur, qui permet de déroger à la loi ou au contrat de travail de manière plus favorable, est remis en cause. Par cet affaiblissement, la résistance du contrat de travail est plus complexe et l’amélioration du sort des salariés n’est plus nécessairement pris en compte.
Il convient tout de même de soulever que cet aspect négatif peut être pallié si on se place du point de vue de l’entreprise. En effet, en matière d’organisation et d’aménagement du temps de travail, cette dérogation à la loi est essentielle. Pour s’adapter à l’entrée des nouvelles technologies et pour sauvegarder leur compétitivité, les entreprises ont besoin de disposer d’une plus grande flexibilité du temps du travail. C’est dans cette optique de gestion du temps de travail que la loi Warsmann du 29 février 2012 3 a permis de contourner le fait qu’une modulation du temps de travail fasse l’objet d’une modification du contrat de travail nécessitant l’accord du salarié.
Il en va de même pour la loi relative à la sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013. L’employeur peut, depuis cette loi, modifier des éléments essentiels du contrat de travail par accords collectifs s’il justifie d’une grave difficulté économique.
En outre, un autre avantage de la négociation d’entreprise peut être souligné à travers les lois expérimentales. En effet, les partenaires sociaux jouent un rôle important. Ils ont pour mission de déterminer un certain nombre de règles en matière de conditions de travail pour que, par la suite, le législateur face un bilan et l’adapte aux lois. Ces lois expérimentales peuvent être bénéfiques pour les salariés car le but sera de mettre en œuvre des règles afin d’améliorer leurs conditions de travail. Sur ce point, le fait de donner plus d’importance à la négociation collective semble être positif.
Malgré toutes ces réformes, et la place consacrée à l’accord collectif d’entreprises, ce n’est pas suffisant pour les « pro accords d’entreprises ».
Pour certains auteurs, « le droit du travail est trop complexe et trop rigide, ce qui entrave à la compétitivité des entreprises. Cette compétitivité serait remise en cause par la prédominance de la loi et l’articulation des normes qui est trop gouvernée par le principe de faveur »4. Il faudrait donc donner plus de place à la négociation collective en rendant la loi supplétive.
En ce sens le cabinet d’avocat Capstan a publié un « manifeste pour l’emploi » dans lequel il soulève que « l’accord d’entreprise devrait prévaloir sur toutes les autres normes, même sur le contrat de travail et donc de ce fait, la loi ne doit être productrice de normes qu’à titre subsidiaire ». Ils rajoutent que « tout ce qui ne relève pas de l’ordre public devrait être réglé par un accord d’entreprise signé par les partenaires sociaux »5.
Pour d’autres auteurs, afin de faire de l’accord collectif d’entreprise la règle, il faut revoir la question de « l’accord majoritaire ». Selon Jacques Barthélémy et Gilbert Cette, il faudrait donner une pleine légitimité à l’accord collectif d’entreprise 6. De ce fait, pour que l’accord collectif d’entreprise soit valide, il faudrait qu’il soit signé par un ou des syndicats représentatifs ayant recueilli plus de 50 % des suffrages des votants aux dernières élections professionnelles. C’est-à-dire que l’exigence majoritaire ne serait plus de 30 % mais de 50 %.
Du fait de ces nombreux débats, le rapport Combrexelle met en avant de nombreux projets afin de donner plus d’importance à l’accord collectif d’entreprise. Par exemple, ce rapport préconise que l’espace de la négociation collective soit élargi par rapport à la loi pour des domaines concernant les conditions de travail, le temps de travail, l’emploi et les salaires. Dans ces cas, le rapport prévoit qu’en dehors de l’ordre public législatif et celui conventionnel, l’accord collectif d’entreprise s’appliquera en priorité.
Enfin, il convient de souligner que la complexité croissante de la législation du travail est une réalité 7.
Néanmoins, le fait de faire des accords collectifs de travail la norme dominante en droit du travail n’est pas nécessairement la solution. Tous ces projets semblent trop ambitieux et ne semblent pas refléter nécessairement la réalité des choses. Certes, ces accords sont importants aujourd’hui : ils permettent aux entreprises d’avoir une plus grande flexibilité dans leur gestion, ce qui est favorable à la sauvegarde de leur compétitivité. Mais il ne faut pas oublier que la place de ces accords est déjà importante aujourd’hui, différentes réformes ont permis d’accroître leur rôle. Donner plus de place à ces accords pourrait se révéler comme une remise en cause totale du principe de faveur.
En élargissant l’espace ouvert à l’accord collectif de travail dans des domaines tels que les conditions de travail, les salaires ou encore l’emploi, les salariés n’auraient que peu de moyens de résistance face à ces accords.
Kelly Vilao
1La célébration de l’accord collectif d’entreprise – Elsa Peskine – Droit social 2014. 438
2Rapport Combrexelle du 9 septembre 2015.
3Article L.3122-6 du code du travail, revirement de la jurisprudence : Ch.Soc 28 septembre 2010.
4http://www.strategie.gouv.fr/
5http://www.capstan.fr/fr/actualites/evenements/53-2015/686-manifeste-pour-l-emploi.html
6http://tnova.fr/rapports/reformer-le-droit-du-travail
7De nouveaux principes en droit du travail – Antoine Lyon-Caen – D. 2015. 1528