Le décret n°2010-1165 du 1er octobre 2010 relatif à la conciliation et à la procédure orale en matière civile, commerciale et sociale, entreprend la réforme largement plébiscitée des procédures orales. En son article 5 intitulé « Dispositions générales », le décret commenté marque l’avènement d’une véritable mise en état des procédures orales, jusqu’alors pilier traditionnel de la matière écrite.
I. La nécessité d’une réforme
A l’origine, les procédures orales furent décrites comme rapides, efficaces et peu onéreuses ; l’obligation faite aux parties de comparaître personnellement à l’audience devait garantir la proximité entre la justice et le justiciable et faciliter les discussions, conciliations et transactions entre parties au litige.
En imposant une oralité des débats, les procédures orales dispensaient les parties de la lourdeur et de la technicité d’une procédure écrite, laquelle requérait l’assistance, contraignante et coûteuse, des parties par un avocat.
Confrontées à un contentieux de plus en plus abondant, ces procédures se révèlent aujourd’hui inadaptées et subissent à ce titre la virulence des critiques des professionnels du droit – certains militant même pour leur suppression pure et simple (« Rapport Guinchard »).
Les procédures orales sont en effet décriées pour leur manque de clarté (la matière orale n’est pas unique mais plurielle) ou encore leur lenteur, perçue comme une atteinte au sacro-saint principe de célérité de la justice; elles sont particulièrement longues en matière sociale – phénomène d’autant plus paradoxal que la finalité de l’action prud’homale est bien souvent alimentaire.
D’autre part, l’obligation de comparution personnelle des parties à l’audience est unanimement brocardée pour son caractère contraignant à l’égard de parties parfois éloignées du Tribunal saisi (« Rapport Guinchard »).
Enfin l’on observe le recours devenu courant aux écrits dans des procédures pourtant conçues pour leur oralité ; le développement de cette pratique pose notamment le problème essentiel du statut et de la valeur des écrits dans les procédures orales.
Cette question, timidement traitée par la Cour de cassation de façon ponctuelle, est source de la plus grande insécurité juridique (sur les effets processuels de certains écrits en matière orale : Revue Procédures n° 12, Décembre 2007, Christian Gentili : L’écrit des parties dans la procédure orale).
II. Le « Rapport Guinchard » : les pistes d’une réforme
Le rapport de la commission sur la répartition des contentieux présidée par Monsieur Serge Guinchard, intitulé « L’ambition raisonnée d’une justice apaisée », met en exergue les pistes d’une réforme devenue nécessaire des procédures orales.
A cet égard, deux objectifs principaux doivent être retenus :
– la définition d’une procédure orale unifiée, applicable à l’ensemble des juridictions, qui serait la garantie d’une procédure orale claire et lisible,
– l’élaboration d’un régime juridique des écrits, précisant leur valeur dans les procédures orales, dans un souci essentiel de sécurité juridique et d’assouplissement de l’obligation de comparution des parties.
La réforme des procédures orales ici commentée suit à la lettre ces orientations.
III. La réforme : un rapprochement des procédures orales et écrites
Le décret n°2010-1165 du 1er octobre 2010 relatif à la conciliation et à la procédure orale en matière civile, commerciale et sociale, reprend l’essentiel du « Rapport Guinchard » précité.
Précisons toutefois que la procédure prud’homale est en partie épargnée par la réforme ; en effet, celle-ci « concerne toutes les juridictions, mais elle n’aura d’application que résiduelle devant les conseils de prud’hommes, spécialement régis par le Code du travail » (Notice accompagnant le décret du 1er octobre 2010).
Ce maintien d’une spécificité prud’homale apparaît discutable, la matière sociale étant au premier plan visée par les remontrances adressées aux procédures orales et précédemment exposées.
L’objectif fondamental de la réforme, défini dans la notice accompagnant le décret commenté et reprenant la formule de Monsieur Serge Guinchard, est la « consolidation des écritures des parties dans le cadre des procédures orales ».
En effet, si le décret du 1er octobre 2010 réaffirme le principe de l’oralité des procédures orales, il n’en consacre pas moins la possibilité d’un recours à l’écrit, dont le régime s’inspire largement de la mise en état des procédures écrites.
A. Le principe de l’oralité réaffirmé
L’article 5 du décret prévoit l’intégration dans le Code de procédure civile d’un nouvel article 446-1, qui dispose que « les parties présentent oralement à l’audience leurs prétentions et les moyens à leur soutien. Elles peuvent également se référer aux prétentions et aux moyens qu’elles auraient formulés par écrit ».
Les procédures orales restent donc par principe orales, l’obligation de comparution personnelle des plaideurs étant maintenue ; dans l’hypothèse où les parties souhaiteraient se référer à leurs prétentions écrites, ce désir devrait toujours être formulé oralement, à la barre du Tribunal.
La suppression pure et simple de l’oralité, qui avait été avancée, eut certainement rendu nécessaire l’assistance des parties par un avocat, comme c’est le cas en matière écrite où la représentation des parties par l’avocat est obligatoire.
Une telle réforme, politiquement incorrecte et impopulaire, eut sans doute suscité toutes les incompréhensions (Revue Procédures n°2, février 2011, étude 2 – Hervé Croze et Christian Laporte) et impliqué l’allocation de nouveaux moyens à l’aide juridictionnelle, dans une époque précisément marquée par les rigueurs budgétaires.
L’alinéa 2 du nouvel article 446-1 du Code de procédure civile, ouvre la brèche de l’écrit dans la matière orale, en disposant que « lorsqu’une disposition particulière le prévoit, les parties peuvent être autorisées à formuler leurs prétentions et leurs moyens par écrit sans se présenter à l’audience ».
Toutefois, cette faculté qui permet aux parties de se libérer des contraintes de l’obligation de comparution personnelle est relative, puisque subordonnée à l’existence d’un texte spécifique.
Nonobstant cette liberté ponctuellement accordée aux parties, le nouvel article 446-1 alinéa 2 du Code de procédure civile prévoit que le juge pourra, en tout état de cause, convoquer les parties devant lui et imposer le retour à l’oralité.
Ainsi l’introduction des écrits dans la matière orale est doublement limitée, par le pouvoir réglementaire d’une part, en ce qu’il lui appartient exclusivement de déterminer les hypothèses dans lesquelles l’écrit sera autorisé, et par le pouvoir judiciaire d’autre part, seul décideur in fine de la nature orale ou écrite de la procédure.
B. L’introduction d’une mise en état calquée sur les procédures écrites
Le décret commenté précise les modalités du recours à l’écrit, directement inspirées des règles de mise en état des procédures écrites.
L’article 446-2 du Code de procédure civile dispose par exemple, en son alinéa 2, que « lorsque les parties formulent leurs prétentions et moyens par écrit, le juge peut, avec leur accord, prévoir qu’elles seront réputées avoir abandonné les prétentions et moyens non repris dans leurs dernières écritures communiquées ».
Cette nouvelle disposition n’est rien d’autre qu’une consécration, dans les procédures orales, de l’opportunité (d’un commun accord entre le juge et les parties) de déposer des conclusions récapitulatives (La Semaine Juridique Edition Générale n° 43, 25 Octobre 2010) – celles-ci sont, rappelons-le, imposées aux parties dans les procédures écrites depuis le décret du 28 décembre 1998.
Leur objectif sera de garantir dans les procédures orales une sécurité juridique des parties quant au principe dispositif et de limiter la formation de pourvois en cassation pour « défaut de réponse à conclusions » (palliatif à l’incertitude du juge quant à la teneur de prétentions uniquement formulées à l’oral au cours de différentes audiences, qui entrainait inévitablement un exercice fréquent de cette voie de recours).
Par ailleurs, le nouvel article 446-2 du Code de procédure civile dispose que « lorsque les débats sont renvoyés à une audience ultérieure, le juge peut organiser les échanges entre les parties comparantes. Si les parties en sont d’accord, le juge peut ainsi fixer les délais et les conditions de communication de leurs prétentions, moyens et pièces ».
Cette disposition importe dans la matière orale le calendrier de procédure cher aux procédures écrites (La Semaine Juridique Edition Générale n° 43, 25 Octobre 2010, 1044), dans le but de rythmer les procédures orales et de remettre au juge le soin d’organiser la mise de l’affaire en état d’être jugée.
L’article 446-2 alinéa 4 dispose enfin que « le juge peut écarter des débats les prétentions, moyens et pièces communiqués sans motif légitime après la date fixée pour les échanges et dont la tardiveté porte atteinte aux droits de la défense »
La possibilité accordée au juge de mettre un terme aux échanges entre parties (prétentions, pièces, communications) s’inspire de l’ordonnance de clôture de la mise en état, mesure d’administration judiciaire ordonnée par le juge de la mise en état dans les procédures écrites et interdisant toute production de pièces ou formulation de prétentions ultérieure.
En effet, l’absence d’échéance dans les échanges inter parties comportait un risque de production tardive par les plaideurs des pièces au soutien de leurs prétentions ; ce phénomène était parfois source de surprises à l’audience et présentait le risque d’une violation du principe élémentaire du contradictoire.
Les juges étaient donc amenés à accorder à la partie « surprise » un nouveau « temps utile » pour préparer sa défense au vu des nouveaux éléments, par le mécanisme du renvoi de l’affaire à une audience ultérieure – pratique qui allongeait encore la durée de la procédure.
L’institution d’une forme de clôture des débats à l’initiative du juge permettra de limiter l’apparition de ce phénomène et de garantir dans le même temps la loyauté des débats (Gazette du Palais, 12 octobre 2010 n° 285, P. 17) et le principe, moderne et rebattu, de la célérité de la justice.
En élaborant une mise en état des procédures orales, le décret commenté semble être une première étape vers la formalisation, commandée par un besoin de souplesse, de célérité et de sécurité, de ces procédures certes orales par essence, mais aujourd’hui imprégnées de l’écrit.
Antoine Moizan
Master 2 Droit privé général
Université Paris X Nanterre
Pour en savoir plus
Revue Procédures n° 12, Décembre 2007, Christian Gentili : L’écrit des parties dans la procédure orale
Revue Procédures n°2, février 2011, étude 2 – Hervé Croze et Christian Laporte
La Semaine Juridique Edition Générale n° 43, 25 Octobre 2010
Gazette du Palais, 12 octobre 2010 n° 285, P. 17 |