Le 3 avril 2013, le ministre de l’Intérieur a présenté en Conseil des ministres deux projets de loi.
Le premier visait à interdire le cumul des fonctions exécutives locales avec un mandat de parlementaire européen et le second à interdire le cumul des fonctions exécutives locales avec un mandat de député ou de sénateur.
Le Conseil des ministres a fait savoir dans un communiqué de presse que les deux projets de loi avaient pour but de faire face aux récentes évolutions liées aux fonctions parlementaires et exécutives locales.
En effet, les dernières réformes de décentralisation ont accru les prérogatives des collectivités locales. Ainsi la réforme constitutionnelle de 2008 a-t-elle modifié la procédure législative tout en élargissant le champ des prérogatives des parlementaires.
Les deux projets de loi se veulent donc être un moyen de limiter la prise de fonction élective pour assurer une présence plus efficace dans la fonction choisie par l’élu.
Le communiqué de presse indique aussi que les deux projets de loi ont également pour ambition de diversifier la vie publique en permettant à plus de personnalités d’accéder aux fonctions électives. Ce serait, d’une part, la réponse à une demande émanant de la population et, d’autre part, un pas de plus vers la parité souhaitée par le gouvernement dans les différentes institutions de l’Etat.
Alors que l’Assemblée nationale a voté à la majorité des voix la totalité du projet présenté en Conseil des ministres, le Sénat a refusé le point interdisant le cumul des fonctions exécutives locales avec un mandat de sénateur.
Certains élus en faveur de la modification du texte ont expliqué pendant la discussion générale et la discussion des articles, qu’ils étaient en accord avec le non cumul des indemnités d’élu d’une fonction exécutive locale et de sénateur mais qu’ils ne souhaitaient pas que soit interdit le cumul fonctionnel pour des raisons essentiellement constitutionnelles.
En effet, selon l’article 24, alinéa 3, de la constitution de la Vème République, « Il [le Sénat] assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Il paraît donc légitime à certains sénateurs de continuer à exercer des fonctions exécutives locales pour pouvoir connaître au mieux des besoins du secteur afin de les représenter de la meilleure manière possible au Sénat.
A l’inverse, des sénateurs en faveur de la proposition de la loi d’origine ont rejeté cet argument en faisant une autre interprétation de la constitution.
Ils ont ainsi conclu que si le Sénat assurait la représentation des collectivités locales, cela ne signifiait pas qu’il les représentait. Et qu’en conséquence, cela voulait dire que les sénateurs avaient le devoir d’être au contact de toutes les collectivités locales de leur circonscription pour pouvoir assurer une meilleure représentation.
Après quelques débats dont le principal point de discorde portait sur l’interprétation de la constitution, le Sénat a voté le projet ne comprenant pas le non cumul fonctionnel du mandat de sénateur avec une fonction exécutive locale.
Du fait de la discordance entre les termes votés par l’Assemblée nationale et ceux votés par le Sénat, et conformément à l’article 45 alinéa 2 de la constitution, une commission mixte paritaire « chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion » a été mise en place. Malgré plusieurs mois de débat, les différents membres de la commission n’ont pas trouvé de texte pouvant satisfaire les deux chambres.
Bien que l’article 45 alinéa 1 de la constitution dispose que « Tout projet ou proposition de loi est examiné successivement dans les deux assemblées du Parlement en vue de l’adoption d’un texte identique. », l’alinéa 3 de ce même article dispose que « Si le Gouvernement le demande, l’assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement. ».
En l’espèce, le 21 janvier 2014, Christophe Borgel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, a annoncé lors de la présentation commune de la lecture définitive des projets de loi visant à interdire le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur d’une part et le cumul des fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen d’autre part, que « l’Assemblée nationale est légitime à trancher définitivement la question du champ d’application de l’interdiction du cumul [parce qu’une] loi organique applicable sans distinction aux deux assemblées [n’est] pas une loi organique relative au Sénat au sens de l’article 46 de la Constitution ».
De ce fait, l’Assemblée nationale a pu voter à la majorité des voix le 23 janvier 2014 et dans des dispositions contraires à celles votées par le Sénat précédemment, les deux propositions de loi présentées au gouvernement le 3 avril 2013.
Les deux lois entreront en vigueur en 2017 si le conseil constitutionnel, qui a été saisi le 23 janvier 2014, ne les déclare pas inconstitutionnelles.
Typhaine Berthet Boutaric
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