La jurisprudence s’est toujours montrée réticente à admettre qu’une fragrance de parfum pouvait relever du droit d’auteur alors même que les méthodes de reconstitution sont en développement accru. L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de Cassation le 10 décembre 2013 fait état d’un nouveau fondement tout en consacrant une solution dont les conséquences resteront inchangées. En l’espèce, la société Lancôme avait attaqué en justice un individu pour avoir vendu lors d’une braderie, des flacons de parfum revêtus d’une maque contrefaite. Ce dernier fut, toutefois, relaxé au bénéfice du doute. C’est pourquoi, le grand parfumeur intente une action en justice se prévalant d’une part de la protection du droit d’auteur et d’autre part de la contrefaçon de la marque ainsi que de la concurrence déloyale. Si la Haute juridiction fait droit à ces derniers moyens, elle rejette le premier considérant que la fragrance de parfum ne revêt pas une forme sensible et identifiable avec une précision suffisante pour en permettre sa communication.
La fragrance de parfum : une forme dénuée d’originalité
L’article L112-1 du code de propriété intellectuelle dispose que « les dispositions du présent code protègent les droits d’auteur sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soit le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination ». Cet article n’exclue, donc, pas la fragrance de parfum qui peut revêtir d’une forme originale. Cependant, la Cour de Cassation n’est pas de cet avis et entend soustraire de la protection du droit d’auteur toutes les créations « procédant de la mise en œuvre d’un simple savoir-faire »(1). De par cette prise de position, la Cour régulatrice engage un bras de fer interminable avec, outre la doctrine, les juges du fond qui ne semblent prêts à s’y conformer. Ainsi, la Cour d’Appel a jugé à de nombreuses reprises que la fragrance de parfum était une œuvre protégeable(2) constituée par « l’architecture olfactive » (3). Les juges du fond admettent donc que la forme est déterminée par les facultés sensorielles d’une personne ce qui relève d’une analyse judicieuse. Par ailleurs, une partie de la doctrine semble s’allier à cette réflexion à l’instar de Jeanne DALEAU qui affirme que si la forme et l’originalité sont respectées, « la création olfactive devrait pouvoir être qualifiée d’œuvre »(4). Néanmoins, la Cour de Cassation dans l’arrêt sous analyse, refuse d’abdiquer et fait état d’une nouvelle justification répondant aux arguments de ses nombreux contradicteurs. En effet, elle s’intéresse maintenant à la forme sans pour autant délaisser cette idée de « savoir-faire ». Elle affirme, alors, que « le droit d’auteur ne protège les créations dans leur forme sensible, qu’autant que celle-ci est identifiable avec une précision suffisante pour permettre sa communication ; que la fragrance d’un parfum, qui, hors son procédé d’élaboration, lequel n’est pas lui-même une œuvre de l’esprit, ne revêt pas une forme présentant cette caractéristique, ne peut dès lors bénéficier de la protection par le droit d’auteur ». De cette manière, elle rejette l’identification d’une forme par le biais de l’odorat.
Cette solution n’est pas sans conséquences dans l’industrie du parfum qui souffre de l’essor de moyens permettant une communication rapide des produits.
Une protection relativement compensée par l’action en concurrence déloyale
La Cour de Cassation ne met pas en cause la protection de la marque par le biais de la contrefaçon de celle-ci. En l’occurrence, la marque était contrefaite et cette action était donc judicieuse. Toutefois, elle ne protège pas le jus de parfum en soi. Donc, si la recette avait été volée par une enseigne concurrente, l’action en contrefaçon de la marque aurait été inefficace. C’est pourquoi, cette action doit être couplée par l’action en concurrence déloyale qui est ouverte sur le plan civil. Cependant, elle a le désavantage d’être plus contraignante pour le demandeur car il devra démontrer l’existence d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité sur le fondement de l’article 1383 du code civil. Or, il n’est pas nécessaire d’apporter tous ces éléments en matière de droit d’auteur car la simple reproduction d’une œuvre sans autorisation de son auteur constitue une contrefaçon punissable tant au pénal qu’au civil. Cette solution est, de toute évidence, une brèche ouverte aux marchands peu scrupuleux qui n’hésiteront pas à reproduire les recettes de fragrances notables pour les vendre à bas prix de manière tout à fait licite. En réalité, l’industrie du parfum parce qu’elle est abondante et parce qu’elle permet une création rapide du produit, justifie cette solution. Certains auteurs, satisfaits de cette solution, souhaitent s’en tenir à une définition traditionnelle de la création artistique. Pour ces derniers, le droit d’auteur « n’a pas vocation à servir de voie de secours pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent bénéficier d’un droit de propriété industrielle »(5) de même qu’il n’a pas vocation à protéger « l’art industriel de masse »(6). Cette solution a, certes, pour mérite de conserver l’art en tant que tel mais aussi de désengorger les tribunaux. La question de son équité reste, toutefois, au cœur du débat.
INES OURAHMANE
Master 1 Université Evry Val d’Essonne
Pour en savoir plus :
(1)Civ 1ère 13 juin 2006
(2) CA Paris 14 février 2007, 4° ch, Jean-Paul Gautier par exemple. Repris par CA Aix en Provence 10 décembre 2010, 8° ch, Lancôme.
(3)TGI Paris 22 octobre 2009 et en CA
(4)voir Jeanne Daleau La cour de cassation se prononce sur la protection du parfum par le droit d’auteur, Dalloz 2006. 1741
(5)voir Frédéric Pollaud-Dulian Notion d’oeuvre. Parfum. Savoir-faire. Forme d’expression, RTD com. 2006. 587
(6)voir Bernard Edelman,Une fragrance procède d’un savoir-faire ,Dalloz, 2006. 2470
Voir l’arrêt du 10 décembre 2013 :
http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000028329512&fastPos=1