Mémoire du Master droit de la protection sociale d’entreprise (2014-2015) par FROGET, Pauline et LEPRETTRE, Valentine
Un salarié, en cas d’arrêt de travail justifié par une incapacité résultant de maladie ou d’accident constatée par un certificat médical, bénéficie d’un revenu de remplacement appelé « maintien de salaire ». Celui-ci se compose de trois piliers : les indemnités journalières de sécurité sociale (ci-après IJSS), les indemnités complémentaires versées par l’employeur, et éventuellement les indemnités découlant d’une prévoyance complémentaire mise en place au sein de l’entreprise.
L’indemnisation des absences pour accident ou maladie a été fixée, initialement, par la loi du 19 janvier 1978 relative à la mensualisation, dont les dispositions ont été reprises dans le Code du travail par la loi n° 2008-596 du 25 juillet 2008[1]. Les indemnités complémentaires versées par l’employeur au salarié malade sont obligatoires selon l’article L. 1226-1 du Code du travail. Ainsi, pour en bénéficier, le salarié concerné doit répondre aux conditions énoncées à l’article susvisé, à savoir :
- justifier d’une année d’ancienneté dans l’entreprise ;
- envoyer un certificat médical dans les 48h ;
- être pris en charge par la sécurité sociale ;
- être soigné sur le territoire français ou dans un pays de l’Union européenne ;
- se soumettre, le cas échéant, à une contre visite médicale.
Dans cette étude, nous nous intéresserons à la contre-visite médicale. Cet examen représente la contrepartie du versement des indemnités complémentaires par l’employeur au salarié. Il permet, en effet, à l’employeur de contrôler la réalité de l’incapacité du salarié résultant d’une maladie ou d’un accident.
- LES PRINCIPES DE LA CONTRE-VISTITE MÉDICALE
En contrepartie du versement d’indemnités complémentaires au salarié en arrêt de travail, l’employeur peut mandater le médecin de son choix (ci après dénommé « médecin contrôleur ») pour l’organisation d’une contre-visite médicale afin de vérifier la réalité de son incapacité à travailler. Cet examen, prévu à l’article L. 1226-1 du Code du travail, se fait exclusivement à l’initiative de l’employeur.
Le décret d’application régissant la contre-visite médicale n’étant jamais paru, la jurisprudence est venue encadrer la pratique sachant que des conventions collectives de branche ou d’entreprise peuvent préciser des conditions et modalités de mise en œuvre particulières.
- L’ORGANISATION DE LA CONTRE-VISITE MÉDICALE
La contre-visite médicale est encadrée par des règles qui fixent, à la fois le lieu (2.1) et le moment (2.2) durant lesquels celle-ci peut se dérouler.
2.1 Le lieu de la contre-visite médicale
La contre-visite médicale a lieu, en principe, au domicile du salarié. L’employeur est en droit de communiquer au médecin contrôleur l’adresse du salarié sans être tenu de prévenir ce dernier[2]. Si le salarié déménage, il doit communiquer sa nouvelle adresse à son employeur. S’il effectue son arrêt de travail hors de son domicile habituel, il doit également le prévenir et lui préciser son lieu de repos[3]. En s’abstenant de le faire, le salarié ne permet pas le contrôle de son état de santé.
2.2 Le moment de la contre-visite médicale
L’employeur peut organiser une contre-visite médicale au domicile du salarié (cf. 2.1) dès le premier jour d’absence de ce dernier se trouvant en arrêt de travail[4]. Le salarié, n’ayant pas à être informé au préalable d’un tel contrôle (sauf dispositions conventionnelles plus favorables[5]), a l’obligation de s’y soumettre[6].
Le salarié peut trouver inscrit, sur son arrêt de travail, une autorisation lui permettant de sortir durant certaines heures de la journée (on parle « d’heures de sorties »). Dans ce cas, il doit informer son employeur des heures durant lesquelles la contre visite médicale peut avoir lieu, c’est-à-dire des heures durant lesquelles il n’est pas autorisé à sortir ; se trouvant alors dans l’obligation de demeurer à son domicile (de 9h à 11h et de 14 h à 16h selon l’article R. 323-11-1 du Code de la sécurité sociale). En s’abstenant de le faire, il ne permet pas la réalisation de la contre-visite médicale. De même, et par exception au cas susmentionné, le salarié peut être autorisé à quitter son domicile sans restriction d’horaires (on parle de « sorties libres). Dans ce cas, cette mention doit figurer sur son arrêt de travail et l’employeur doit en être informé[7].
La Cour de cassation applique très strictement l’interdiction faite aux salariés en arrêt de travail de s’absenter de leur domicile en dehors des heures de sortie autorisées. À titre d’exemple, la Haute Juridiction a supprimé le versement d’indemnités complémentaires à un salarié se trouvant en arrêt de travail car celui-ci avait quitté son domicile, en dehors des heures de sorties prévues, afin de se rendre à une séance de kinésithérapie[8].
- LES CONSÉQUENCES DE LA CONTRE-VISITE MÉDICALE
Excepté le cas où l’arrêt de travail du salarié est médicalement justifié (3.1), l’employeur est en droit de suspendre le versement des indemnités complémentaires (3.2).
3.1 Arrêt de travail médicalement justifié
Lors de la contre-visite médicale, si le médecin contrôleur considère que l’arrêt de travail du salarié est médicalement justifié, il n’y a aucune conséquence pour ce dernier. Celui-ci continue de percevoir les indemnités complémentaires versées par son employeur et reprend son travail à la date prévue sur son arrêt de travail.
3.2 Cas entrainant la suspension du versement par l’employeur des indemnités complémentaires au salarié en arrêt de travail
Il est possible de distinguer deux cas de figure dans lesquels il y a suspension du versement par l’employeur des indemnités complémentaires au salarié en arrêt de travail.
D’une part, le salarié en arrêt de travail perd le bénéfice du versement des indemnités complémentaires par son employeur pour la période postérieure au contrôle (à compter de la demi journée qui suit le contrôle jusqu’à la reprise du travail) si le médecin contrôleur considère que l’arrêt de travail n’est pas ou plus médicalement justifié.
D’autre part, il perd le bénéfice de ce versement dans les cas où la contre visite médicale n’a pas pu avoir lieu, soit du fait de son refus (à titre d’exemple, constitue un refus, le salarié qui exige la présence de son médecin traitant alors que rien de tel n’est prévu par les textes[9] ou change de résidence pendant l’arrêt de travail sans en informer son employeur[10]), soit du fait de son absence à son domicile au moment de la contre visite médicale[11].
Il revient à l’employeur d’établir qu’il n’a pu être procédé à la contre-visite médicale[12]. S’il ne rapporte pas cette preuve, il ne pourra cesser le versement des indemnités complémentaires fait au salarié en arrêt de travail. Il est néanmoins possible pour ce dernier d’invoquer un motif légitime justifiant son refus ou son absence au domicile durant le moment de la contre visite. A titre d’exemple, le fait que le médecin contrôleur ne justifie pas de son titre de médecin ou de sa qualité de mandataire de l’employeur, lorsqu’il se présente au domicile du salarié, constitue un motif légitime[13]. Dans ce cas, il est impossible à l’employeur de suspendre le versement des indemnités complémentaires du salarié en arrêt de travail qui a refusé de se soumettre à la contre visite médicale.
Dans tous les cas, l’absence non justifiée du salarié en arrêt de travail, ne peut, en elle-même, constituer une cause de licenciement ou de sanction disciplinaire[14]. L’employeur ne peut pas non plus réclamer les indemnités qu’il a déjà̀ versées. En effet, la suppression de l’indemnisation complémentaire n’a d’effet que pour l’avenir, c’est-à-dire que pour la période postérieure à la contre-visite.
Enfin, il est important de souligner que, dans les différents cas énoncés dans la présente partie, la contre visite médicale peut également avoir des conséquences sur le versement des IJSS au salarié en arrêt de travail. En effet, le médecin contrôleur devra transmettre ses conclusions motivées, suite à sa contre-visite médicale, au service médical de la caisse primaire d’assurance maladie dans un délai de 48 heures ; celle-ci appréciera alors l’opportunité de suspendre ou non les IJSS après une éventuelle visite du médecin qu’elle aura mandaté (appelé « médecin conseil)[15].
- LES CONTESTATIONS ET RECOURS POSSIBLES DU SALARIÉ
Pour contester l’avis du médecin contrôleur, le salarié peut, soit demander, en accord avec son employeur, l’arbitrage d’un troisième médecin, soit solliciter, par voie judiciaire (saisine en référé du conseil de prud’hommes), une contre expertise judiciaire (avec la nomination d’un médecin expert). Si cet expert conclut à la nécessité de l’arrêt de travail, l’employeur doit verser le complément de salaire auquel il est tenu[16].
[1] Loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail, JORF n° 0148 du 26 juin 2008 page 10224
[2] Cass. Soc., 2 juin 1981, n° 80-10.935
[3] Cass. Soc., 13 mai 1992, n° 88-44.963
[4] Cass. Soc., 13 juin 2012, n° 11-12.152
[5] Cass. Soc., 4 décembre 1986, n° 85-43.357
[6] Cass. Soc., 19 mai 1999, n° 98-44.376
[7] Cass. Soc., 4 février 2009, n° 07.43-430
[8] Cass. Civ., 2e., 17 décembre 2009, n° 08-19.594
[9] Cass. Soc., 8 juin 1983, n° 81-40.801
[10] Cass. Soc., 10 mai 2001, n° 98-45.851
[11] Cass. Soc., 10 octobre 1995, n° 91-45.242
[12] Cass. Soc., 30 juin 1988, n° 86-41.898
[13] Cass. Soc., 14 mars 1995, n° 91-44.131
[14] Cass. Soc., 28 novembre 2000, n° 98-41.308
[15] Article L. 315-1, II du Code de la sécurité sociale
[16] Cass. Soc., 28 février 1996, n° 92-42.021
Bibliographie
Ouvrage :
- Tissot social entreprise 2014, Le complément employeur, p. 1595
Articles de doctrine :
- BOURGEOT S., « Le contrôle médical patronal des arrêts de travail du salarié malade » ; https://www.courdecassation.fr/publications_26/rapport_annuel_36/rapport_1998_85/etudes_documents_87/sylvie_bourgeot_5746.html, consulté le 18 février 2015 ;
- FROUIN J-Y., « Le refus du salarié de se soumettre à une contre-visite médicale ou d’en respecter les conclusions constitue-t-il une faute ? », Revue de Droit social, n° 12, 10 décembre 1995, p. 984 ;
- JACQUES, A., « La réforme du contrôle médical : Du contrôle des arrêts de travail… au contrôle des assurés », Petites affiches, n° 44, 03 mars 2005, p. 18 ;
- PESCHAUD H., « Contrôles médicaux des arrêts de travail du salarié malade : où en est-on ? », Semaine Juridique Social, n° 7, 10 février 2009, p. 1063 ;
- SAVATIER J., « Médecin traitant, médecin-conseil et médecin du travail : incidences de leurs avis sur la suspension et la rupture du contrat de travail », Revue de Droit social, n° 7, 10 juin 1999, p. 562.