Le contrôle anti-trust des prises de participations minoritaires dépasse le champ du seul droit de la concurrence. En effet, la question devra être placée au cœur des opérations de fusion-acquisition, notamment lors de la notification ex ante d’une fusion, d’un apport partiel d’actif, d’une cession de contrôle ou encore de la simple gestion du portefeuille titres d’une société.
En droit de l’Union Européenne comme en droit français, la prise de participations ne peut donner lieu à un contrôle des concentrations par les autorités européennes ou françaises que si elle s’accompagne d’une modification durable du contrôle de l’entité cible.
Si le critère de modification durable du contrôle est quasiment toujours rempli pour le cas des prises de participations majoritaires, les prises de participations minoritaires n’entraînent en principe pas une modification durable du contrôle.
Mais qu’en est il si l’actionnariat de la société est éclaté? Ou si un pacte d’actionnaires a été conclu?
Ces facteurs ne risquent ils pas d’entraîner une modification durable du contrôle de l’entreprise?
Les participations même minoritaires peuvent en certaines circonstances, aboutir à une concentration qui ne dit pas son nom.
Le contrôle des prises de participations minoritaires en droit de la concurrence Européen et Français est articulé autour d’une dichotomie entre participations minoritaires dites contrôlantes d’une part et participations minoritaires dites non contrôlantes d’autre part.
I. Le contrôle des participations minoritaires contrôlantes
Pour qu’une opération de concentration soit soumise au contrôle ex ante, il faut, qu’elle entraîne un changement durable du contrôle de la cible (au sens du Règlement CE N°139/2004 et de l’article L 430-1 Code de commerce), l’acquéreur obtenant à l’issue de l’opération une influence déterminante sur la cible.
L’exercice d’une influence déterminante
L’article L430-1 III du Code de commerce propose deux exemples d’influence déterminante.
Il peut s’agir de l’acquisition de droits de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens de l’entreprise ou de l’acquisition de droits ou contrats conférant une influence déterminante sur la composition, les délibérations ou encore les décisions des organes de l’entreprise.
Afin d’établir l’influence déterminante, l’Autorité de la concurrence utilise la méthode du faisceau d’indices (Lignes directrices Autorité de la concurrence du 10 juillet 2013).
Une prise de participation minoritaire sera dite contrôlante si plusieurs des indices suivants sont réunis:
- Sens prévisible du vote des autres actionnaires.
- Dispersion du capital.
- Liens économiques entre les différents actionnaires.
- Vote à l’unanimité des décisions importantes, droit de veto.
Par ailleurs, la participation minoritaire peut aussi être qualifiée de contrôlante si l’influence déterminante est exercée en commun avec un autre minoritaire (article L430-1 Code de commerce).
Le contrôle ex ante
Si l’actionnaire détient une participation minoritaire contrôlante seul ou en commun lui permettant d’exercer une influence déterminante il devra notifier ex ante l’acquisition à l’autorité de concurrence compétente.
Suite à la notification, l’opération pourra être interdite si elle entraîne un trop fort risque de concentration.
La participation minoritaire devra aussi être revendue si la détentrice envisage une opération de concentration plus large.
Le contrôle ex ante des concentrations n’est donc possible que si la participation minoritaire confère à son détenteur une influence déterminante sur la cible.
Cependant, de nombreuses participations, sans conférer une influence déterminante permettent toutefois d’obtenir une influence significative sur la cible. Se pose alors la question du contrôle de ces participations minoritaires dites non contrôlantes.
II. Le contrôle des participations minoritaires non contrôlantes
La question du contrôle des participations minoritaires non contrôlantes fait aujourd’hui débat. L’affaire Ryanair/airlingus (Commission 27 juin 2007) a mis en lumière un « enforcement gap » (lacune de la législation européenne en l’espèce, en matière de contrôle des concentrations) au niveau européen.
Le commissaire Almunia a dénoncé ce vide juridique et la Commission européenne a publié en 2013 un livre vert sur le sujet. Elle a aussi lancé une consultation publique à laquelle de nombreux cabinets d’avocats et entreprises ont participé.
Une question qui fait débat
Si l’Allemagne, l’Autriche, le Royaume-Uni ou la Pologne s’autorisent à contrôler les prises de participation minoritaires non contrôlantes, la commission européenne et la France s’y refusent pour l’instant.
Cette dissymétrie s’explique par le fait que la commission européenne et la France se basent sur la notion d’influence déterminante tandis que l’office of fair trade anglais utilise le critère de l’influence matérielle notable qui est plus souple.
Quel degré de contrôle adopter?
Compte tenu du caractère non contrôlant de la participation il serait tentant pour le juriste de ne rien faire. Mais les économistes pointent du doigt de vrais risques concurrentiels.
L’entreprise actionnaire et la cible peuvent échanger des informations privilégiées sur les méthodes de fabrication ou leurs concurrents. La participation peut aussi permettre le maintien d’un cartel ou encore réduire la volonté de la cible de concurrencer l’entreprise actionnaire et inversement. Pourquoi la détentrice concurrencerait-elle la cible alors qu’en la laissant se développer sur son marché propre elle pourra percevoir des dividendes?
Cette pluralité de risques a été soulignée par l’Autorité de la concurrence française dans un avis en date du 7 décembre 2010 ainsi que par une étude de la Commission européenne en 2011.
Tous les comportements redoutés peuvent cependant faire l’objet d’un contrôle ex post sur le fondement des articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
Ainsi, l’accord de volonté détenteur/cible sera, s’il a un objet illicite une entente au sens de l’article 101 TFUE (affaire BAT contre Philip Morris Cour de justice des communautés européennes 17 novembre 1987).
Si la participation minoritaire non contrôlante entraîne une influence sur la politique commerciale de la cible il s’agira d’un abus de position dominante au sens de l’article 102 TFUE (affaire Gillette contre BIC Commission européenne 10 juillet 1992)
Cependant, ces contrôles ex post sont considérés comme insuffisants.
A titre d’exemple toutes les prises de participations minoritaires non contrôlantes hostiles ne peuvent être contrôlées sur le fondement des ententes. En effet, une entente suppose un caractère concerté ce qui ne sera pas le cas si l’opération est hostile.
Pour autant, faut il instaurer un contrôle ex ante?
Les participants à la consultation publique y sont pour la plupart opposés.
Parmi leurs arguments figurent la lourdeur administrative qu’impliquerait un tel contrôle pour les entreprises, le coût qu’il représenterait pour les autorités de concurrence, la perte de liquidité du marché des participations mais aussi le fait que les prises de participations minoritaires dites rampantes (par monté progressive au capital de la cible sans respecter les déclarations de franchissement de seuils) sont d’ores et déjà contrôlées par les régulateurs tels que l’Autorités des marchés financiers. (Exemple: affaire LVMH/Hermès, monté au capital via l’utilisation d’equity swaps)
Dès lors, un contrôle ex ante à l’image du contrôle allemand fondé sur un contrôle automatique de toutes les participations minoritaires non contrôlantes supérieures à 25% pourrait apparaître disproportionné.
La solution préconisée par la Commission dans un livre blanc paru le 9 juillet 2014 est l’usage de la technique dite du « self assessment ». Elle consiste pour l’entreprise détenant une participation minoritaire non contrôlante à prendre contact avec les autorités de concurrence afin qu’elles examinent un éventuel effet anticoncurrentiel. La procédure n’aurait aucun caractère obligatoire pour l’entreprise.
Jacques MAZE
M2 professionnel Droit des affaires et fiscalité
Université Panthéon-Assas
Sources
- Atelier concurrence DGCCRF 9 décembre 2008.
- Participations minoritaires: quel effet sur l’analyse de concurrence? compte rendu Allen & overy publié à la revue Lamy concurrence.
- Affaire COMP/M.4439 – Ryanair/Aer Lingus I, décision de la Commission du 27 juin 2007, confirmée
par le Tribunal dans l’affaire T-342/07, Ryanair/Commission (Rec. 2010, p II-3457).
- Faut il contrôler ex ante les participations minoritaires ne donnant pas lieu à contrôle? Eric Morgan de rivery et Eric Barbier de la serre, cabinet Jones day Paris.
- « Minority shareholdings and the Commission’s White Paper on merger reforms », site internet de l’institut de droit de la concurrence.
- Rapport de la commission « droit de la concurrence et participations minoritaires » Le club des juristes 12 septembre 2013.
- Autorité de la concurrence, rapport au Ministre de l’Économie et des Finances, «Pour un contrôle plus simple, cohérent et stratégique en Europe», 16 décembre 2013.