Depuis plusieurs mois, un mouvement social hebdomadaire s’est établi à l’échelle nationale. L’enjeu de cette protestation populaire est de remettre en cause certains choix politiques.
Les revendications sont nombreuses, notamment fiscales (remise en place de l’ISF, baisse de la TVA sur les produits de première nécessité…), sociales (meilleure sécurité de l’emploi, augmentation du smic…), citoyennes (reconnaissance du vote blanc ou encore de la conception d’un référendum d’initiative citoyenne).
Toutefois, lors de l’expression générale de ces revendications, il arrive que l’ordre public soit troublé par certains individus. Des heurts, des dégradations et autres violences empêchent ainsi le bon déroulement des manifestations. De ce fait, la mise en place d’un outil législatif visant à empêcher ce type de violences a mûri au fil des semaines. C’est en ce sens qu’une proposition de loi visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs a été discutée à l’Assemblée nationale. La proposition a atteint son point d’orgue lors d’une publication au Journal officiel le 11 avril 2019. Préalablement à sa publication, la loi a été soumise à un contrôle a priori auprès du Conseil constitutionnel. Le but du contrôle est d’établir la conformité constitutionnelle de la loi, prévu à l’article 61 de la Constitution.
La loi n°2019-290
du 10 avril 2019 en question
Initialement, la loi visait une approche préventive mais aussi répressive des potentielles violences lors des manifestations. Elle enrichit les modes d’intervention de police administrative et élabore un nouveau délit. Plusieurs dispositions sont prévues par la loi.
L’article 2 permet l’insertion d’un article 78-2-5 dans le Code de procédure pénale. Il vise à permettre la réalisation d’inspections visuelles accompagnées de fouilles des sacs et véhicules, aux abords des manifestations, par l’intermédiaire d’agents autorisés sur réquisition écrite du procureur de la République.
L’article 6, insère, lui, un article 431-9-1 au Code pénal, créant ainsi le délit de dissimulation volontaire du visage, au sein ou aux abords d’une manifestation, où des troubles à l’ordre public sont commis ou risquent d’être commis.
Et enfin l’article 3 de ce texte, source de dissensions, insérant l’article L221-4-1 au Code de la sécurité intérieure. Cette disposition devait permettre aux préfets de prononcer des interdictions administratives de manifester. Ces interdictions ne sont censées concerner que les personnes ayant commis des « atteintes graves à l’intégrité physique des personnes ainsi que des dommages importants aux biens » ou encore « un acte violent » lors de manifestations précédentes.
Le droit d’expression collective
des idées et des opinions
Au titre du contrôle de constitutionnalité, les gardiens de la Constitution censurent partiellement la loi, plus particulièrement la disposition relative à l’article 3 de la loi, dans la mesure où « compte tenu de la portée de l’interdiction contestée, des motifs susceptibles de la justifier et des conditions de sa contestation, le législateur a porté au droit d’expression collective des idées et des opinions une atteinte qui n’est pas adaptée, nécessaire et proportionnée. Par conséquent, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, l’article 3 est contraire à la Constitution ».
Il est fait référence, en l’espèce, au droit d’expression collective des idées et des opinions. Ce droit a été énoncé dans une décision n°94-352 du Conseil constitutionnel du 18 janvier 1995. Dans celle-ci, le droit d’expression collective des idées et des opinions a été rattaché à la liberté d’expression. Par conséquent, elle doit pouvoir être garantie irrémissiblement, sauf cas particuliers nécessaires et proportionnels à l’entrave de la liberté.
Les motivations des sages
concernant la censure partielle de la loi
- Un défaut de lien de causalité : la loi n’énonce pas que le comportement doit avoir un lien avec les atteintes graves à l’intégrité physique ou les dommages importants aux biens ayant eu lieu à l’occasion d’une manifestation en particulier. Dès lors, l’interdiction peut être prononcée sur le fondement de tout agissement, que celui-ci ait ou non un lien avec la commission de violences.
- Une appréciation abusive des motifs susceptibles de justifier l’interdiction de manifester : tout comportement, quelle que soit son ancienneté, peut justifier le prononcé d’une interdiction de manifester. Dès lors, cela laisse à l’autorité administrative une marge de manœuvre excessive dans l’appréciation des motifs susceptibles de justifier l’interdiction.
- Une entrave à la liberté de manifester : les dispositions contestées permettent à l’autorité administrative d’interdire à une personne de participer à toute manifestation publique. Cela peut s’étendre sur l’ensemble du territoire national pendant une durée d’un mois. Par conséquent, cela est de nature à empêcher certains individus de jouir pleinement de leur droit à l’expression collective de leurs idées. In fine, cette disposition prive ces derniers d’une liberté publique fondamentale au bon déroulement d’une souveraineté nationale.
À travers cette décision, le Conseil constitutionnel réaffirme l’importance de la liberté de manifester. Il érige cette liberté comme l’une des clés de voûte essentielle d’une démocratie. Malgré le fait qu’elle n’est pas énoncée explicitement au sein de la Constitution de 1958, cette dernière revêt tout de même un caractère constitutionnel. Cet aspect constitutionnel impose l’inévitable conformité des législations à cette dernière.
Cette liberté universaliste reste l’une des libertés les plus importantes dans l’expression de la volonté générale. En effet, une démocratie est avant tout « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Ainsi, cette liberté se dresse comme étant un moyen d’expression du peuple qui se révèle de facto plutôt efficace et assez accessible, sous condition de sauvegarde de l’ordre public.
Jazil Lounis,
en M1 droit des affaires,
à l’université Paris Nanterre
Pour en savoir plus :
– Loi n°2019-290 du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations.
– Décision du Conseil constitutionnel n°2019-780 DC du 4 avril 2019.