Résumé : Si la valeur constitutionnelle de l’ensemble de la charte de l’environnement ne fait plus guère débat depuis sa décision pionnière OGM (décision n°2008-564 DC), pas plus que l’invocabilité de bon nombre d’articles de cette Charte dans le cadre de la QPC (décision 2011-116 QPC : à propos des articles 1 à 4 ; décision 2011-183/184 QPC : à propos de l’art. 7), la portée pratique et contentieuse de certaines de ses dispositions ne peut que susciter la réflexion. Il en va ainsi de son article 7 qui prévoit non seulement une obligation d’information mais également un principe de participation du public.
Bien que le matériel jurisprudentiel – pour ce qui concerne les seules décisions du Conseil constitutionnel – soit pour l’heure relativement limité, il nous est apparu intéressant d’en faire un tour d’horizon, d’autant que la matière est en constante ébullition, suite notamment aux nombreuses questions posées par des associations de protection de l’environnement – avec en tête France Nature Environnement -, montrant de la sorte tout l’intérêt que le milieu associatif peut porter au mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité. Ce n’est en tout cas pas la jurisprudence rendue par le Conseil sur le fondement de l’article 7 qui pourra calmer cet engouement contentieux, tant l’effet utile de cette disposition est consacré (I) ; bien que son champ d’application ratione materiae se soit trouvé parallèlement circonscrit (II), et au delà en fin de compte des nombreuses interrogations qui continuent à planer au tour de cet article (III).
I – L’effet utile de l’article 7 de la Charte consacré
Malgré la présence de la conjonction de coordination « et » dans l’article 7 de la Charte, il était possible de se demander si le principe de participation ne se confondait pas avec le droit à l’information prévu dans la même disposition. Cette interprétation étriquée de l’article a été nettement rejetée par le Conseil dans sa Décision n°183/184 QPC. Les neuf sages y considèrent que la publication par voie électronique des projets de décrets de nomenclature ainsi que des projets de prescriptions générales applicables aux installations enregistrées (Cons. 8) ne suffisent pas à considérer comme respecté le droit de participation, de sorte que « les deux principes ne sont pas fongibles (B. Delaunay, « La pleine portée du principe de participation. A propos de la décision n°183/184 QPC », AJDA 2012, 260).
Dans ce même mouvement, qui vise à donner son plein effet utile à l’article 7, il a été précisé – bien qu’au prix d’une motivation fort sommaire – que la consultation d’organismes consultatifs ne suffisait pas non plus à considérer comme remplie l’obligation de participation (à propos du Conseil Supérieur de la Prévention des Risques Technologiques : décision n°183/184 QPC précitée ; décision n°2012-262 QPC). Dans cette même logique, en l’absence de toute référence à la mise en place d’une consultation du public, le Conseil exclue que l’article L. 120-1 du Code de l’environnement ne puisse palier – de manière générale – à la carence d’une disposition spéciale du Code (décision n°2012-270 QPC).
Un dernier indice de l’effet utile que le Conseil a entendu réserver à cet article de la Charte réside dans son champ d’application ratione temporis. Alors que les censures prononcées dans les décisions n°2011-183/184 QPC, 2012/162 QPC, 2012-169 QPC et 2012-170 QPC résidaient avant tout dans des incompétences négatives commises par le législateur, les neuf sages ont renoncé dans la décision 2012-283 QPC du 23 novembre 2012 à appliquer le champ d’application ratione temporis de l’article 34 C. Il avait en effet été jugé dans la décision 2010-28 QPC que « si la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence peut être invoqué à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la constitution garantit, elle ne saurait l’être à l’encontre d’une disposition législative antérieure à la Constitution du 4 octobre 1958 » (Cons. 9). La question de la recevabilité du grief tiré de la méconnaissance de l’article 7 par l’article L. 341-3 du Code de l’environnement – en ce qu’il est issue d’une ordonnance du 18 septembre 2000, ratifiée par l’article 31 de la Loi du 2 juillet 2003 – ne pouvait que se trouver posée, d’autant que l’article en question renvoyait au pouvoir règlementaire le soin de déterminer les conditions dans lesquelles les « intéressés » sont susceptibles de présenter leurs observations ; de sorte que derrière une méconnaissance alléguée du principe de participation se cachait bien un vice d’incompétence négative. Sans faire explicitement part de cette objection, le Conseil jugea qu’ « en s’abstenant de modifier l’article L. 341-3 en vue de prévoir la participation du public (…), le législateur a méconnu les exigences de l’article 7 de la Charte ». Le changement de rédaction du Considérant doit ici être relevé ; alors que dans ses quatre QPC précitées, il était affirmé qu’en ne prévoyant pas la participation du public, « le législateur a méconnu l’étendue de sa compétence », la question de la méconnaissance par le législateur de l’étendue de celle-ci est banni du raisonnement du Conseil. Cela revient à dire que la méconnaissance de l’article 7 n’est pas seulement un vice d’incompétence négative verdi, mais porte bien sur un droit fondamental spécifique. Il est en ce sens souligné dans le commentaire « officiel » que « contrairement à ce dernier [l’article 34 C] qui pose essentiellement des règles d’attribution de compétences, l’article 7 consacre également des droits constitutionnellement garantis » (p. 18 du commentaire). Cette affirmation de l’indifférence de l’antériorité à la Charte des dispositions contestées ne pourra dès lors que renforcer l’attractivité contentieuse de l’article 7, même si son champ d’application ratione materiae s’est trouvé parallèlement circonscrit.
II – Un champ d’application ratione materiae de l’article 7 circonscrit
L’article 7 de la Charte ne s’applique pas à toutes les décisions ayant une incidence quelconque sur l’environnement, encore faut-il que la décision en cause ait « une incidence directe et significative » sur celui-ci. Cette précision tenant à la gravité de l’atteinte n’est pourtant présente qu’à l’article L. 120-1 du Code de l’environnement, qui fixe les « conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public (…) est applicable aux décisions réglementaires de l’État et de ses établissements publics » (décision n°2012-262 QPC, précitée, Cons. 7). Cette interprétation de nature à circonscrire nettement le champ d’application du droit constitutionnel de participation ne semble néanmoins pas prêter trop le flan à la critique, en ce qu’il consiste à corriger un oubli du législateur. L’annotateur de l’article 7 au Code constitutionnel indiquant en ce sens que « l’absence de critère tenant à l’importance de l’incidence sur l’environnement (…) est à la fois curieuse et critiquable. Les décisions publiques n’ayant aucune incidence sur l’environnement sont en effet très rare, notamment si l’on prend en compte les incidences indirectes, or l’article 7 n’a pas vocation à s’appliquer à l’ensemble des décisions publiques » (T. Renoux et M. de Villiers (dir.), Code constitutionnel, Litec, 5ème éd., p. 475).
Malgré tout, « la notion de décision publique ayant une incidence sur l’environnement fait (…) l’objet d’une interprétation large et pragmatique par le juge constitutionnel » (T. Renoux et M. de Villiers (dir.), op. cit., p. 476). Ainsi, les décrets de nomenclature de l’article L. 511-2 du Code de l’environnement sont considérés comme des décisions ayant une incidence sur l’environnement au sens de l’article 7 (décision n°2011-183/184 QPC, précitée, Cons. 7). Il en va de même pour les décisions par lesquelles l’autorité administrative délimite des zones où il est nécessaire d’assurer la protection quantitative et qualitative des aires d’alimentation des captages d’eau potable (décision n°2012-270 QPC, précitée, Cons. 5), alors même que ce sont « des décisions ayant une incidence positive sur l’environnement, qui, en tant que telles auraient pu se trouver exclues du champ du principe constitutionnel de participation », pareille interprétation aurait d’ailleurs pu « présenter l’avantage de favoriser la cohérence entre les différentes dispositions de la Charte, puisqu’aussi bien les devoirs de prévention et de réparation, que les principes de précaution ou de conciliation, n’ont vocation à s’appliquer qu’en cas d’atteinte (ou de risque d’atteinte) à l’environnement » (T. Renoux et M. de Villiers (dir.), op. cit., p. 476). Cette lecture relativement extensive de l’article 7 nous paraît au contraire être plus respectueuse de la littéralité de l’article 7, lequel fait mention « d’incidence » et non pas d’atteinte ou de dommage comme c’est le cas pour la majorité des autres dispositions de la Charte.
Lecture extensive certes, mais pas jusqu’au boutiste ! Dans sa très récente décision 2012-282 QPC (CC, 23 novembre 2012, Assoc. F.N.E et autres), le Conseil a en effet considéré que les « décisions relatives aux emplacements de bâche comportant de la publicité et à l’installation de dispositifs publicitaires de dimensions exceptionnelles » ne constituent pas des décisions publiques au sens de l’article 7 (Cons. 21), de même que les autorisations d’installations d’enseignes lumineuses (Cons. 22).
Même si l’exercice de tirer des conclusions d’une jurisprudence encore très succincte est assurément téméraire, il semblerait que les neuf sages tracent une ligne de démarcation entre les activités susceptibles d’avoir un impact sur la santé humaine et celles qui ne seraient de l’ordre que de la pollution visuelle (telle la publicité). Ce critère demeure cependant à affiner car par une décision du même jour, le Conseil constitutionnel a estimé que « le classement et le déclassement de monuments naturels ou de sites constituent des décisions publiques » (décision n°2012-283 QPC précitée), alors que l’article L. 341-1 du Code de l’environnement (dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 1er juillet 2004) précise que ce classement s’applique aux « monuments naturels et des sites dont la conservation ou la préservation présente, au point de vue artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, un intérêt général ». Le commentaire « officiel » de la décision n’est à cet égard d’aucun secours puisqu’il ne dit mot de l’applicabilité de l’article 7 aux dispositions en cause, montrant ainsi l’évidence de la réponse qui était apparemment à apporter à cette question. Dans le commentaire de la décision n°2011-282 QPC (précitée), il était en guise de critère proposé la définition de l’environnement se trouvant dans le préambule de la Charte ; celui-ci renvoyant dès lors aux ressources, équilibre et milieu naturels (Cons. 1 et 2 du préambule). Or, à prendre cette définition de l’environnement, l’on voit assez difficilement en quoi la préservation de monuments présentant un intérêt culturel, historique, artistique ou autre pourrait avoir un impact sur celui-ci.
Il est vrai, néanmoins, que la définition donnée de l’environnement à l’article L. 110-1 du Code est nettement plus large : « Les espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, la qualité de l’air, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent font partie du patrimoine commun de la nation ». Adopter cette définition large reviendrait en revanche à faire entrer dans le champ d’application de l’article 7 la réglementation des affichages commerciaux. A dire vrai, le rédacteur de ces quelques lignes éprouve grand peine à comprendre la cohérence entre ces deux décisions, pourtant rendues le même jour.
En tout état de cause, bien que l’appréciation du champ d’application du principe de participation est moins « large » qu’on aurait pu (naïvement) s’y attendre, l’attitude du juge constitutionnel demeure nettement marquée par le souci de préserver le plein effet utile de l’article 7, même si certaines interrogations subsistent encore.
III – Des interrogations persistantes
Ce qu’il est coutume de reprocher au Conseil constitutionnel, à savoir le manque de motivation de ses décisions, rejaillit immanquablement sur la question de la portée exacte du droit de participation. Ainsi, la conclusion de l’insuffisance de la saisine d’un organe consultatif ne provient que d’une déduction logique découlant de la lecture des décisions n°183/184 QPC et 262 QPC (précitées). Cela a pour conséquence fâcheuse de ne pas savoir si c’est la composition même du CSPRT qui pose difficulté, ou bien si l’article 7 exige le recueil direct de l’avis de la population (dans le cadre par exemple d’une enquête publique). Cette interrogation ne fût pas levée par la récente décision n°2012-282 QPC (précitée). Si le Conseil constitutionnel censure l’article L. 120-1 du Code de l’environnement en ce qu’il ne prévoit un droit général de participation que pour les décisions règlementaires (Cons. 17), il laisse en suspens la question du caractère suffisant au regard de l’article 7 de la simple saisine d’un organisme consultatif composé de « représentants des catégories de personnes concernées par la décision en cause » (Cons. 18). Il est dès lors fort à parier que la nouvelle mouture de l’article L. 120-1 – que le législateur devra adopter d’ici le 1er septembre 2013 – se retrouve de nouveau sous les feux de l’actualité contentieuse.
L’article 7 de la Charte a surtout donné naissance à un débat portant sur le caractère adapté de l’article 62 al. 2 de la constitution, en ce qu’il ne prévoit qu’une possibilité d’abroger – fût-ce avec effet différé – les dispositions législatives déclarées non conformes. Or, dans le cas d’une méconnaissance du droit de participation, ce n’est pas l’ingérence positive du législateur dans un droit constitutionnel qui est reproché mais plutôt son inaction, ou pour le dire autrement son ingérence négative. Abroger la disposition législative en cause conduirait de la sorte à jeter le bébé avec l’eau du bain, en occasionnant un risque de vide juridique qui irait à l’encontre même du souhait des associations requérantes. Ne faudrait il pas alors, dans le souci d’assurer l’efficacité maximale de l’article 7 de la Charte, et plus généralement dans celui de garantir l’exécution de la décision du Conseil, permettre à ce dernier d’adresser une injonction au législateur (de même qu’un Tribunal Administratif à l’égard de l’autorité administrative)?
Propos conclusifs
Au delà de la question du caractère adapté de l’article 62C aux contentieux environnementaux, à laquelle seul le constituant pourra d’ailleurs répondre, la question – plus prosaïque – des conséquences à tirer d’une abrogation différée vient d’être tranchée par le Conseil d’Etat. Un décret pris en application d’une disposition législative dont l’abrogation n’est pas encore effective perd-t-il sa base légale? Par un arrêt de principe rendu le 14 novembre 2012, le Conseil d’Etat répond par la négative à cette interrogation (CE, 14 novembre 2012, Association France Nature Environnement, n°340539 : AJDA 2012, n°40, p. 2193, obs. D. Poupeau). Saisi suite à l’abrogation avec effet différé de l’article L. 511-2 du Code de l’environnement (décision n°2011-183/184 QPC) – le législateur ayant jusqu’au 1er janvier 2013 pour remédier à l’inconstitutionnalité -, la Haute juridiction administrative a estimé qu’elle ne peut apprécier la légalité du décret en cause qu’au regard de l’article l. 511-2, et non directement de l’article 7 de la Charte – continuant de la sorte à faire application de sa vieille théorie de la Loi-écran. En effet, « alors même que (…) la déclaration d’inconstitutionnalité doit, en principe, bénéficier à l’auteur de la question (…), l’absence de prescriptions relatives à la remise en cause des effets produits par le second alinéa de l’article L. 511-2 avant son abrogation doit (…), eu égard (…) à la circonstance que le Conseil constitutionnel a décidé de reporter dans le temps les effets abrogatifs de sa décision, être regardée comme indiquant que le conseil constitutionnel n’a pas entendu remettre en cause les effets que la disposition déclarée contraire à la constitution avait produits avant la date de son abrogation ». Bien que le juge tire de la sorte conséquence du fait qu’une abrogation ne vaut que pour l’avenir, pareille conclusion risque fort de rendre le mécanisme de la question prioritaire nettement moins attractif pour les particuliers et les associations, eu égard au nombre important de décisions rendues avec effet différé – notamment en matière d’environnement -. Autrement dit, pour obtenir satisfaction, le requérant devra d’une part obtenir une décision déclarant la disposition en cause inconstitutionnelle ; et d’autre part que l’abrogation subséquente soit immédiate – ou du moins faiblement reportée dans le temps -. Il est d’ailleurs à remarquer que le Conseil constitutionnel a déjà pris bonne note de cette jurisprudence puisqu’il a modifié la rédaction de ses considérant fixant la portée ratione temporis de ses déclarations d’inconstitutionnalité. Désormais, il adjoint à la date de l’abrogation la précision que « les décisions prises, avant cette date, en application des dispositions déclarées inconstitutionnelles ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité » (par exemple, décision n°2011-282 QPC, Cons. 34). La question de savoir si cela aura un impact sur les stratégies contentieuses des associations restant pour l’instant en suspend.
En dépit de cette précision d’ordre processuelle, l’article 7 de la Charte connait dans la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel un net épanouissement, bien que des questions demeurent, du fait de la rédaction souvent lacunaire de ses décisions. Ne serait-il pas temps que le Haut Conseil mène sa propre réflexion sur le mode de rédaction de ses décisions, de même que le Conseil d’Etat l’a fait il y a peu?
Guillaume Dujardin
Pour aller plus loin :
– B. Delaunay, « La pleine portée du principe de participation. A propos de la décision du Conseil constitutionnel n°2011-183/184 QPC du 14 octobre 2011 », AJDA 2012, 260
– K. Foucher, « L’apport en demi-teinte de la QPC à la protection du droit de participer en matière d’environnement », Constitutions 2013, 657
– T. Renoux et M. de Villiers (dir.), Code constitutionnel, Litec, 5ème éd., p. 473
– C. Roger-Lacan, « Participation et information du public : la définition par étape de la portée de l’article 7 de la Charte de l’environnement », BDEI novembre 2011, p. 5