Dans un arrêt rendu le 23 avril 2013[1] et publié au Bulletin, la Chambre Commerciale de la Cour de cassation apporte une précision nécessaire sur le formalisme que doit revêtir une convention de compte courant d’associé. Bien qu’intervenant dans le domaine particulier des entreprises en difficulté, l’arrêt attire nécessairement l’attention des avocats amenés à rédiger de telles conventions, notamment sur les facteurs de risques qu’elles peuvent comporter en cas d’ouverture d’une procédure collective.
Généralement, lorsqu’un associé met à disposition certains de ses deniers pour les besoins de l’entreprise, l’opération économique qu’il va réaliser se matérialise par un apport ; en l’occurrence, lorsqu’il consiste dans l’apport de fonds, il se nommera un apport en numéraire. C’est ce que les anglo-saxons dénomment généralement de l’equity c’est-à-dire que, comptablement, il se traite comme du capital pur.
Or, conscients qu’ils peuvent perdre la plupart des fonds dans le cadre de cette entreprise, les dirigeants ont également développé de nouvelles techniques de financement, leur permettant ainsi de diminuer ou de diversifier les risques d’une défaillance financière de l’entreprise. Il peut s’agir, pour la société, de contracter un prêt « pur », ce qui est généralement dénommé dans la pratique de la « debt ».
Avec le développement des financements structurés, notamment dans le cadre d’opérations complexes d’acquisition, les associés des sociétés ont également eu tendance à investir dans du quasi equity. Il serait trop complexe d’aborder toutes les formes que peut emprunter ce mode de financement ; reste que le compte courant d’associés en constitue une composante et que les investisseurs, personnes physiques ou morales, y ont constamment recours.
Le compte courant d’associé peut se définir comme des sommes que les dirigeants d’une société acceptent volontiers de prêter à la société. La société est donc considérée comme emprunteuse des sommes versées par l’associé dans le compte courant. Bien que la jurisprudence ait toujours considéré cette convention comme un prêt, la question de la preuve reste au centre des débats, en particulier lorsque le compte est créditeur en faveur de l’associé-prêteur.
Dans l’arrêt rendu par la Cour de cassation, l’associé-prêteur, la société EFC, avait versé des sommes à la société débitrice, DFC. Cette société avait fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire et l’associé-prêteur avait bien déclaré sa créance au passif de l’entreprise. Le commissaire à l’exécution du plan soutenait que le compte courant d’associé, s’analysant en un contrat de prêt, revêt la qualification d’un contrat réel. Or, le contrat réel n’est supposé se former que par la remise des fonds.
S’appuyant sur cette argumentation, le commissaire à l’exécution considérait que le créancier (l’associé-prêteur) n’avait pas apporté la preuve de la remise des fonds. Il entendait ainsi enserrer la preuve d’une convention de compte courant dans un formalisme particulier en exigeant un acte spécifique établissant la remise des fonds.
Retenir une telle solution n’aurait pas été sans complexifier le rapport à la preuve : alors que les éléments comptables pouvaient permettre de tenir pour établi le versement d’une somme au titre du compte courant d’associé, il eut fallu que l’associé apportât une preuve spécifique concernant le versement desdites sommes. Cela n’allait pas non plus sans violer le principe de la liberté de la preuve en matière commerciale.
Toutefois, la Cour de cassation ne retient pas une telle solution et estime que les documents comptables suffisent à établir la preuve d’un compte courant d’associé. En effet, la Cour affirme :
« Mais attendu que c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis que la cour d’appel a relevé que les documents comptables établis par la société DFC au titre de l’exercice 2001 établissent d’un côté qu’une convention de compte courant a effectivement été conclue entre la société EPC et la société DFC en 1999 […] ».
Il s’agit d’une lecture conforme à la liberté de preuve en matière commerciale ; aussi la Cour régulatrice a-t-elle pris le soin de ne pas complexifier artificiellement la procédure collective pour les créanciers par une administration de la preuve quasi herculéenne. Elle rappelle également que l’appréciation de l’existence d’un contrat relève de la liberté souveraine des juges du fond et qu’elle n’y exerce qu’un contrôle restreint.
L’arrêt devait également statuer sur la question de l’articulation fragile entre l’arrêt du cours des intérêts de l’article L622-28 du Code de commerce et celle de la durée de la convention. Effectivement, dans les faits, la convention de compte courant d’associé ne comprenait aucune clause de durée, de sorte que la convention était réputée à durée indéterminée. Or, la règle de l’article L622-28 du Code de commerce, prévoyant l’arrêt du cours des intérêts, s’applique aux conventions conclues pour une durée inférieure à un an. Pour rappel, l’arrêt du cours des intérêts permet de figer le passif du débiteur en difficulté en gelant la capitalisation des intérêts rattachés à une convention qui en est génératrice.
A chaque étape de la procédure, les différentes instances de la procédure collective avaient clairement soutenu que la convention ne contenant aucune stipulation de durée, celle-ci devait naturellement être éligible à la règle de l’arrêt du cours des intérêts. La Haute Cour estime qu’une telle convention doit être remboursable à tout instant mais qu’elle ne pouvait pas être assimilée à une convention d’une durée supérieure ou égale à un an ; elle restait donc soumise à l’arrêt du cours des intérêts.
Selon Xavier Delpech la solution mérite d’être saluée dans la mesure où l’article 1162 du Code civil dispose que, dans le doute, la convention doit profiter à celui qui a contracté l’obligation[2], il est évident que celui qui s’oblige doive pouvoir bénéficier d’un remboursement à tout instant.
La décision prête toutefois le flanc à la critique en ce qu’elle applique l’arrêt du cours des intérêts. Il apparaissait en effet plus astucieux pour la Cour de laisser les intérêts se capitaliser dans la mesure où la convention sans durée est réputée à durée indéterminée jusqu’à ce qu’une partie se manifeste. Or, en l’espèce, la convention avait duré plus d’un an et il était loisible à la Haute Cour de la traiter comme une convention de plus d’un an. Peut être la Cour voulait-elle ne pas oublier le but de la procédure collective qui n’est d’autre que figer le patrimoine du débiteur afin de procéder au redressement de celui-ci.
Malgré cette légère critique, l’arrêt a le mérite de simplifier le formalisme à l’endroit des créanciers là où ils font déjà face à une situation précaire et où leurs créances sont, plus que jamais, remises en cause.
Asif Arif
[1] Cass. Com., 23 avril 2013, 12-14.283, publié au Bulletin
[2] DELPECH Xavier, Dalloz Actualités, « Précisions sur le régime du compte courant d’associé », 2013.