Le comité européen des droits sociaux : défenseur des droits sociaux

Cet article est issu d’un exposé sur le Comité européen des Droits sociaux, présenté dans le cadre du séminaire 2013-2014 de droit de la sécurité sociale et de politiques sociales du M2R animé par le Professeur Francis Kessler.

Adoptée le 18 octobre 1961 en vue de conférer une dimension sociale à la protection des droits de l’homme au sein du Conseil de l’Europe, la Charte sociale européenne complète la Convention européenne des Droits de l’Homme et garantit les droits économiques et sociaux.  

Elle nécessite dès lors un organe de contrôle : le Comité européen des Droits sociaux (C.E.D.S), créé dès l’entrée en vigueur de la Charte. Composé de 15 membres indépendants et impartiaux élus pour leur compétence dans le domaine social international par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe pour un mandat de 6 ans, le C.E.D.S juge la conformité du droit et de la pratique des Etats parties à la Charte sociale européenne, au Protocole additionnel de 1988 et à la Charte sociale européenne révisée. Ce contrôle repose sur deux procédures, les rapports annuels et les réclamations collectives, au cours desquelles, le C.E.D.S a le souci de respecter la diversité des traditions, des modèles nationaux et de prendre en compte l’inégal degré de prospérité économique des différents Etats. Dans quelle mesure le C.E.D.S est-il le garant du respect et de l’application effective de la Charte ?

 

LA PROCÉDURE TRADITIONNELLE DU C.E.D.S : LES RAPPORTS NATIONAUX

 

Le C.E.D.S vérifie, dans le cadre d’une procédure de nature administrative, si les situations nationales sont en conformité ou non avec les dispositions de la Charte. Les Etats membres adressent un rapport au C.E.D.S dans lequel ils indiquent comment ils mettent en œuvre les dispositions de la Charte. Le C.E.D.S statue sur la conformité des rapports annuels aux articles de la Charte que l’Etat a acceptés, dont les dispositions constituant le noyau dur obligatoire. Moins d’un an plus tard, le C.E.D.S transmet ses conclusions  à l’Etat qui est alors invité à communiquer les mesures qu’il envisage prendre pour remédier à la situation. Le Comité des Ministres adopte enfin une résolution qui clôt chaque cycle de contrôle.

Depuis la ratification, la France a soumis au C.E.D.S une trentaine de rapports. Concernant le droit à la sécurité sociale (art.12), le C.E.D.S a estimé à de nombreuses reprises que la situation de la France n’était pas conforme à l’article 12§4 (sécurité sociale des personnes se déplaçant entre les Etats). Il a considéré que l’égalité de traitement en matière de droits à la sécurité sociale n’est pas garantie aux ressortissants de tous les autres Etats parties, la France n’ayant conclu aucun accord bilatéral garantissant le principe d’égalité de traitement avec des Etats parties non membres de l’UE.

En règle générale, les Etats procèdent à la mise en conformité des situations jugées contraires à la Charte par l’adoption d’un texte législatif ou réglementaire. Tel fut le cas en France de la suppression de la condition de réciprocité mise à l’octroi de l’allocation pour adultes handicapés et de l’allocation supplémentaire du Fonds de solidarité vieillesse aux étrangers par la loi du 11 mai 1998. Cependant, le caractère général des dispositions de la Charte, ses conditions souples de ratification et le fait que les particuliers ne peuvent pas se prévaloir directement des dispositions de la Charte devant les juridictions nationales, contrairement aux normes de l’Union européenne, peuvent faire douter du caractère effectif de la Charte. Le juge français, à l’inverse de la Belgique et des Pays-Bas, refuse de reconnaître l’effet direct de la Charte.

 

drapeau_europe_et_27

 

LA « JURIDICTIONNALISATION » DU C.E.D.S : LES RÉCLAMATIONS COLLECTIVES

 

Le Conseil de l’Europe a souhaité redonner une impulsion nouvelle à la Charte et a complété l’activité traditionnelle du C.E.D.S par une procédure permettant la mise en œuvre des droits sociaux et économiques. La procédure des réclamations collectives, inscrite dans le Protocole additionnel du 9 novembre 1995, permet de faire constater qu’une situation ou des dispositions juridiques dans un Etat partie sont contraires aux stipulations de la Charte.

Cette procédure est innovante. Le C.E.D.S n’examine pas des requêtes individuelles mais des réclamations collectives, qui peuvent être introduites sans que les voies de recours internes aient été épuisées par des ON.G et O.I.N.G. De plus, la procédure d’examen de recevabilité et du bien fondé des réclamations permet l’instauration d’un échange contradictoire entre l’Etat et l’auteur de la réclamation. Enfin, le suivi des décisions du C.E.D.S est effectué par le Comité des Ministres, qui adresse à l’Etat une résolution ou une recommandation en cas d’application non satisfaisante de la Charte.

Au vu de l’activité prolixe du C.E.D.S (103 décisions), on peut se demander si ce corpus ne constitue pas une véritable jurisprudence. La majorité des réclamations fait l’objet d’une décision sur le fond. Le C.E.D.S a précisé dans une décision n°14/2003 F.D.I.H c. France qu’il interprète la Charte de « manière à donner vie et sens aux droits sociaux fondamentaux». Le C.E.D.S exerce une activité quasi juridictionnelle dans le domaine des droits sociaux, domaine dans lequel les juridictions internationales interviennent peu.

Toutefois, le bilan de l’activité du C.E.D.S demeure mitigé. D’une part, parce que l’application de la Charte et le respect de ses dispositions dépendent de la souveraineté et de la volonté politique des Etats. Or, en 2014, seuls 13 des 47 Etats parties à la Charte ont ratifié le Protocole additionnel de 1995, ce qui démontre le peu d’engouement pour cette procédure. D’autre part, les décisions du C.E.D.S ont une portée limitée car elles ne sont pas directement exécutoires dans l’ordre interne. Lorsque le C.E.D.S constate que la situation dans un Etat n’est pas en conformité avec les dispositions de la Charte, l’auteur de la réclamation ne peut exiger que la décision soit exécutée en droit interne.

Le C.E.D.S a-t-il vocation à devenir un organe juridictionnel, une « Cour européenne des Droits sociaux » ou est-il voué à demeurer dans l’ombre de la C.E.D.H ? Toujours est-il que le C.E.D.S a le mérite d’être un véritable « laboratoire d’idées sociales » et un acteur majeur de l’application des droits sociaux.

 

 

Clarisse DELAITRE

Alexandra GALINOWSKI

Etudiantes du M2 Recherche de Droit Social de Paris 1

 

POUR EN SAVOIR PLUS 

Conseil de l’Europe: http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/socialcharter/default_fr.asp

J-M. BELORGEY, La Charte sociale du Conseil de l’Europe et son organe de régulation : le Comité européen des droits sociaux, RDSS 2007, p. 226

J-P. MARGUENAUD, J. MOULY, Le Comité européen des Droits sociaux, un laboratoire d’idées sociales méconnu, RDP 2011, n°3, p. 685

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.