Un rapport d’information piloté par Mme Esther BENBASSA et M. Jean-René LECERF, fait au nom de la commission des lois du Sénat et enregistré au Secrétariat de la présidence le 12 novembre 2014 pointe de nouveau les discriminations dont seraient victimes une partie de la population française lors des fameux contrôles d’identité. En effet, « selon une étude menée par le CNRS, cette pratique aboutirait à ce que les « Noirs » auraient six fois plus de risque d’être contrôlées que les « Blancs », et les « Arabes » sept à huit fois plus »[1]. Cet état des lieux semble être confirmé par la presse[2] et cela vient corroborer le fait que « le malaise grandit à propos des contrôles d’identité »[3].
Les Sénateurs invitent ainsi les pouvoirs publics à discuter de nouveau à l’introduction d’un récépissé suite à un contrôle d’identité effectué par des fonctionnaires de la Police Nationale. Avant de rappeler le contenu du droit positif en la matière, il convient de revenir sur cette proposition.
Le récépissé, un frein au contrôle au faciès
Plusieurs associations de lutte contre le racisme et des collectifs[4] se sont mobilisés pour lutter contre les contrôles abusifs. Ils plaident tous pour l’instauration d’un récépissé remis à la personne contrôlée suite à un contrôle d’identité.
Selon eux, ce nouveau mécanisme permettrait de formaliser le contrôle d’identité puisque seuls les contrôles suivis d’une garde à vue ou d’une retenu pour vérification d’identité sont aujourd’hui comptabilisés. De plus, la personne contrôlée pourrait de ce fait disposer de l’identification de l’agent qui l’a contrôlé et enfin, ce récépissé pourrait servir de preuve pour démontrer le caractère abusif et discriminatoire des contrôles.
Cette solution a déjà fait l’objet d’une proposition de loi[5] qui a été très vite « enterrée »[6]. Le Défenseur des droits avait aussi plaidé pour l’instauration de ce mécanisme pour tenter de remédier aux « contrôles abusifs »[7] et dans son rapport il avait envisagé quatre formes possibles de récépissé : un ticket de contrôle anonyme ne comportant que les éléments d’identification de l’auteur du contrôle ; une attestation nominative faisant également apparaître le nom de la personne contrôlée, le motif, le lieu, la date et l’heure du contrôle ; une attestation enregistrée sous forme anonyme, sans mention du nom de la personne contrôlée, mais dont l’auteur du contrôle conserverait un double ; une attestation enregistrée sous forme nominative dont le double conservé par l’auteur comporterait le nom de la personne contrôlée.
Le régime juridique éclaté du contrôle d’identité
Tout d’abord, le contrôle d’identité peut se définir comme étant l’invitation faite, par des fonctionnaires habilités, à une personne afin que cette dernière puisse justifier par tout moyen de son identité. Le Code de procédure pénale ne prévoit pas moins de six types différents avec un régime juridique qui diffère :
- le contrôle de police judiciaire[8];
- le contrôle sur réquisition du procureur de la république[9];
- le contrôle de police administrative[10];
- le contrôle frontalier Schengen[11];
- les contrôles frontaliers ultra-marins d’inspiration Schengen[12];
- le contrôle du respect de la législation en matière de droit du travail[13]
De plus, on trouve aussi le contrôle du titre d’un étranger : « En dehors de tout contrôle d’identité, les personnes de nationalité étrangère doivent être en mesure de présenter les pièces ou documents sous le couvert desquels elles sont autorisées à circuler ou à séjourner en France à toute réquisition des officiers de police judiciaire et, sur l’ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, des agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21 (1°) du Code de procédure pénale »[14].
Juridiquement, le contrôle d’identité vise l’identification d’une personne alors que le contrôle du titre d’un étranger tend à s’assurer de la régularité de son entrée ou de son séjour sur le territoire français. Pour justifier un contrôle de titre, l’Etat de droit nécessite que des critères objectifs soient posés, il doit exister « des éléments objectifs déduits de circonstances extérieures à la personne même de l’intéressé (…) de nature à faire apparaître sa qualité d’étranger »[15].
En outre, il faut aussi distinguer le contrôle d’identité du relevé d’identité. Les policiers municipaux, les adjoints de sécurité́, les gendarmes volontaires et les agents de surveillance de Paris, les agents de police judiciaire adjoints (art. 21 du CPP) ou encore les agents de sécurité des services de transport en leur qualité d’agents spécialement assermentés, ne peuvent procéder qu’à des « relevés d’identité » (art. 78-6 du CPP) ou à des « recueils d’identité ». La différence entre le contrôle et le relevé tient au fait que lors d’une opération de relevé d’identité, les contrôleurs ne disposent d’aucun pouvoir de coercition en cas de refus de la personne contrôlée. Ils peuvent faire appel alors à un agent de police judiciaire habilité à procéder à un contrôle d’identité.
Enfin, il convient de noter qu’au delà des textes et des critiques que l’on peut formuler à leur égard[16], c’est surtout le contexte et la manière dont les forces de l’ordre abordent les individus. Sur ce point, des règles de bon sens et de professionnalisme ont été introduites dans le Code de la sécurité intérieure qui s’applique tant à l’égard de la Gendarmerie Nationale que la Police Nationale depuis janvier 2014.
Le nouvel article R. 434-16 du Code de la sécurité intérieure dispose que « lorsque la loi l’autorise à procéder à un contrôle d’identité, le policier ou le gendarme ne se fonde sur aucune caractéristique physique ou aucun signe distinctif pour déterminer les personnes à contrôler, sauf s’il dispose d’un signalement motivant le contrôle. Le contrôle d’identité se déroule sans qu’il soit porté atteinte à la dignité de la personne qui en fait l’objet. La palpation de sécurité est exclusivement une mesure de sûreté. Elle ne revêt pas un caractère systématique. (…). Chaque fois que les circonstances le permettent, la palpation de sécurité est pratiquée à l’abri du regard du public ». Selon une jurisprudence constante, la palpation de sécurité sommaire et rapide sur une personne soupçonnée est une simple mesure de sécurité destinée à assurer la sécurité des fonctionnaires et des tiers. Dans un arrêt du 27 septembre 1988, la Chambre criminelle avait précisé que celles-ci sont parfaitement justifiées dès lors que des indices apparents permettent de laisser penser que l’individu a commis ou est sur le point de commettre un délit[17].
Au-delà de toutes ces garanties offertes aux personnes contrôlées, il est aussi fait obligation aux forces de l’ordre de se comporter avec courtoisie étant observé que leur relation avec la population requiert l’usage du vouvoiement (art. R. 434-14 du Code de la sécurité intérieure). Cette disposition vise à éviter l’agressivité des policiers et des personnes contrôlées. Tout manquement à la déontologie de la part des forces de l’ordre est soumis au contrôle du Défenseur des droits.
Quelles solutions ?
Outre la proposition du récépissé, certains ont souhaité placer une caméra sur les uniformes des fonctionnaires. Cette solution est envisagée notamment aux Etats-Unis suite au drame de Ferguson[18] mais aussi en France où il existe déjà des expérimentations[19]. Toutefois, il semblerait qu’au vu du dispositif prévu les fonctionnaires soient libres de la déclencher et cela pose des problèmes évidents de partialité des images. De plus, il faudra trouver un système conforme aux exigences de stockage des données personnelles.
Depuis un arrêté du 24 décembre 2013 relatif aux conditions et modalités du port du numéro d’identification individuel par les fonctionnaires de la Police Nationale, les adjoints de sécurité et les réservistes de la Police Nationale, un matricule est apposé sur l’uniforme des fonctionnaires. Cela s’applique également à ceux qui exercent à titre permanent ou exceptionnel leurs fonctions en civil : le numéro d’identification devra figurer sur le brassard. Cette mesure doit permettre d’identifier l’agent qui a procédé à un contrôle dans le cadre d’un recours éventuel mais elle est contestée par les syndicats du côté des forces de l’ordre[20].
On constate ainsi que pour mettre un terme aux abus, les solutions à mettre en œuvre ne sont pas évidentes. Face à une telle situation, il faut se rappeler les propos de Portalis : « Il faut être sobre de nouveautés en matière de législation parce que, s’il est possible, dans une institution nouvelle, de calculer les avantages que la théorie nous offre, il ne l’est pas de connaitre tous les inconvénients que la pratique seule peut découvrir, et qu’il serait absurde de se livrer à des idées absolues de perfection, dans des choses qui ne sont susceptibles que d’une bonté relative ».
Guillaume Martin
[1] Rapport d’information n° 94 (2014-2015) – 12 novembre 2014, p.53.
[2] http://www.lemonde.fr/societe/article/2014/05/09/controles-d-identite-la-police-severement-jugee_4414062_3224.html.
[3] F. Fourment, « Contrôles d’identité : « contrôlez, contrôlez, il en restera toujours quelque chose » » ; Gazette du Palais, 14 janvier 2012, n°14, p.8.
[4] http://stoplecontroleaufacies.fr/slcaf/.
[5] Proposition de loi relative aux contrôles d’identité et à la lutte contre les contrôles au faciès (n° 104, 2011-2012).
[6] http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2012/07/11/01016-20120711ARTFIG00246-controles-d-identite-valls-enterre-le-recepisse.php.
[7] Audition de Dominique Baudis, le 5 novembre 2012, disponible à l’adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20121105/lois.html#toc3
[8] Art. 78-2 du Code de procédure pénale.
[9] Voir note 8.
[10] Art. 78-2 al. 3 du CPP.
[11]Art. 78-2 al. 4 du CPP.
[12] Art. 78-2 al. 4 , 5 et 6 du CPP.
[13] Art. 78-2-1 du CPP.
[14] L.611-1 al 1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile
[15] Cass. Crim, 25 avril 1985, n°84-92916 : Bull. crim. 1985, n°159.
[16] J. Karsenti, « Contrôles d’identité : comment lutter contre le contrôle au faciès ? » ; Gazette du Palais, 14 janvier 2012, n°14, p.19.
[17] Cour de cassation, Chambre criminelle, 27 septembre 1988, n°88-81786.
[18] http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2014/12/01/apres-ferguson-obama-veut-equiper-les-policiers-de-cameras-embarquees_4532419_3222.html.
[19] http://www.lemonde.fr/societe/article/2014/08/20/port-de-cameras-par-des-policiers-ce-qui-est-fait-en-france-et-en-europe_4473609_3224.html.
[20] http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1112760-matricule-obligatoire-pour-les-policiers-pourquoi-cette-mesure-passe-mal-dans-nos-rangs.html.