En 2006, le rapport du défenseur des enfants, intitulé « L’enfant au coeur des nouvelles parentalités », préconisait l’adoption d’un statut juridique spécifique du beau-parent, afin de stabiliser les relations entre ces derniers et l’enfant dont il s’occupe ou s’est occupé, et avec lequel il a noué des liens affectifs forts. Les différentes propositions de modification de la législation en ce sens n’ont pourtant pas été suivies, notamment en raison de la volonté de préserver la fonction parentale, par delà les possibles unions et désunions successives.
Le droit de la famille est organisé autour de la filiation, fondée sur la notion de parenté, qui accorde aux parents une fonction sociale spécifique et des responsabilités qui leur sont propres. En conséquence, il existe une frontière entre la famille nucléaire, composée du couple parental et des enfants qui en sont issus, et les tiers, bien que ces derniers puissent être amenés à intervenir dans l’éducation de l’enfant. Ainsi, le beau-parent n’est investi d’aucun droits ni devoirs dans sa relation avec l’enfant, ce qui se traduit par l’absence d’obligation alimentaire entre eux. En effet, si impliqué qu’il puisse être dans l’éducation et la prise en charge de l’enfant, il n’en demeure pas moins un tiers pour ce dernier. L’autorité parentale, définie par la loi du 4 mars 2002 comme « un ensemble de droits et devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant »[1], n’appartient qu’aux père et mère.
Cela étant dit, la nécessité de prendre en compte les évolutions sociologiques, notamment l’augmentation du nombre de familles recomposées ainsi que la diversification des modèles familiaux est à l’origine d’une relative ouverture de la famille aux tiers. En particulier, le beau-parent peut se voir reconnaître, de manière exceptionnelle, des prérogatives spécifiques, mais seule l’adoption permet de l’assimiler à un parent.
Toutefois, dans un contexte d’émergence de la notion de parentalité en droit de la famille, et de diversification des relations entre adultes et enfants, la question de la reconnaissance d’un véritable statut juridique du beau-parent s’est posée à plusieurs reprises. L’idée n’est pas seulement de faciliter le quotidien des enfants vivant avec un beau-parent, mais également de consacrer juridiquement le rôle social et éducatif qu’il peut parfois endosser. Or, si l’adoption du projet de loi relatif à l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples homosexuels permettra de donner un statut de parent à des adultes ayant pris part au projet parental mais qui n’étaient jusqu’alors considérés que comme des tiers, elle laisse en suspend la question d’une définition claire de la place du beau-parent en droit de la famille.
Face à la diversité des situations familiales et l’hétérogénéité de la catégorie du beau-parent, l’idée d’un statut juridique pour ce dernier, en tant que tel, semble bien délicate à mettre en oeuvre, au regard notamment du principe cardinal de coparentalité et du droit de l’enfant à être élevé par ses deux parents. Pourtant, le beau-parent exerce parfois un rôle primordial au quotidien pour l’enfant, tant d’éducation que de protection : le considérer comme un tiers peut alors paraître inadéquat.
L’on constate une certaine évolution vers une prise en compte spécifique du beau-parent parmi la catégorie des tiers. Ce dernier est exceptionnellement privilégié (I), mais il s’est vu refuser la définition d’un statut juridique à part entière. En tant que tiers, il demeure ignoré du droit (II) qui ne lui reconnaît aucun droit découlant directement de sa position de beau-parent.
I) Le beau parent, un tiers exceptionnellement privilégié par le droit
L’évolution contemporaine du droit de la famille est celle, d’une part, de la redéfinition des liens familiaux non plus autour du mariage mais de l’enfant, quels que soient les liens juridiques unissant ses deux parents et, d’autre part, du passage de la toute puissance du pater familias à une autorité parentale dont la mise en oeuvre est fondée sur un principe d’égalité, tant entre les enfants qu’entre les parents. Ainsi, la loi du 4 mars 2002 a-t-elle parachevé cette transformation de la matière en consacrant à l’article 371-5 du Code civil un principe de coparentalité, en vertu duquel l’exercice de l’autorité parentale doit en principe être conjoint. L’article 373-2 précise quant à lui que « la séparation des parents est sans incidence sur les règles de la dévolution de l’exercice de l’autorité parentale ». En conséquence, la formation d’une nouvelle union entre l’un d’entre-eux et un tiers qui pourrait être amené à cohabiter avec l’enfant devrait être sans incidence sur l’exercice de l’autorité parentale, le législateur ayant par ailleurs été attentif à préserver les droits du parent avec lequel l’enfant ne réside pas. La plénitude de l’autorité parentale vise tant la stabilité de la protection et de la prise en charge de l’enfant que la préservation de ses liens avec chacun de ses parents.
Cependant, la loi du 4 mars 2002 a également réaffirmé que l’autorité parentale a pour finalité l’intérêt de l’enfant[2], ce qui peut, dans certaines situations, amener le juge aux affaires familiales à confier au beau-parent un rôle et des missions spécifiques vis-à-vis de l’enfant. Ainsi, aux termes de l’article 377 du Code civil « Les père et mère, ensemble ou séparément, peuvent, lorsque les circonstances l’exigent, saisir le juge en vue de voir déléguer tout ou partie de l’exercice de leur autorité parentale à un tiers, membre de la famille, proche digne de confiance, établissement agréé pour le recueil des enfants ou service départemental de l’aide sociale à l’enfance ».
Deux dispositions du Code civil peuvent être favorables au beau-parent : l’article 373-1, qui permet au juge de lui confier l’enfant en cas de décès du parent avec lequel il vivait, et l’article 377-1 qui définit les modalités d’une délégation-partage de l’autorité parentale. Cette dernière est cependant peu mise en oeuvre, du fait du principe d’indisponibilité de l’autorité parentale qui subordonne une telle démarche à l’accord préalable des deux parents qui en sont titulaires, et d’un stricte contrôle du juge sur la nécessité d’une telle démarche ainsi que sa conformité à l’intérêt de l’enfant.
La loi du 17 mai 2013 a introduit un nouvel article 371-4 dans le Code civil qui, dans son 2e alinéa, dispose que :”Si tel est l’intérêt de l’enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l’enfant et un tiers, parent ou non, en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l’un de ses parents, pourvu à son éducation, à son entretien ou son installation et a noué avec lui des liens affectifs durables”. Cette disposition s’inscrit dans l’idée de sécuriser les liens entre l’enfant et le beau-parent avec lequel il a une relation privilégiée, qui a guidé les travaux du défenseur des enfants en 2006.
Le législateur a ainsi fait du beau-parent un tiers à part entière, en ce sens qu’il peut avoir une relation particulière avec l’enfant et épauler le ou les parents dans leur mission d’éducation et de protection, mais il s’est gardé de leur reconnaître un véritable statut juridique. Cela s’explique tant par la diversité des situation familiales impliquant l’intervention d’un beau-parent que le refus de concurrencer les parents. Il se veille pas fragiliser l’autorité parentale, en limitant les intrusions des tiers dans son exercice, fussent-ils de beau-parents impliqués quotidiennement dans l’éducation de l’enfant.
II) Le beau-parent, un tiers en tant que tel ignoré par le droit
La loi du 4 mars 2002 a introduit des possibilités nouvelles de prise en considération du rôle spécifique que peut jouer le beau-parent, en lui permettant d’intervenir, de manière ponctuelle, dans l’exercice de responsabilités normalement parentales, lorsqu’il ressort de la situation concrète que cela conviendrait mieux à l’enfant. Elle a toutefois cantonné cette intervention du beau-parent à l’exception, en la limitant fortement par l’incontournable saisine du juge aux affaires familiales devant lequel il est nécessaire de rapporter la preuve de l’intérêt de l’enfant. En dehors de ces hypothèses, le beau-parent, en tant que tiers, est ignoré par le droit qui lui oppose l’autorité parentale dont l’exercice est réservé aux seuls parents. A titre d’exemple, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 25 février 2009[3] a décidé que le tiers qui souhaite se voir confier l’enfant ne peut pas saisir le juge à cette fin, ce qui témoigne du refus de lui accorder un quelconque droit sur l’enfant.
Le refus d’adopter la modification de l’article 374 du Code civil proposée en 2008 dans l’avant projet de loi relatif à l’autorité parentale et aux droits des tiers illustre la volonté de continuer à appréhender le beau-parent comme un tiers. En effet, le texte ambitionnait de reconnaître un droit au maintien des relations personnelles de l’enfant et du « tiers qui a résidé avec l’enfant et l’un de ses parents et avec lequel il a noué des liens affectifs étroits », sans qu’il soit nécessaire de rapporter la preuve de l’intérêt de l’enfant. Le rapport Leonetti du 7 octobre 2009 a souligné le paradoxe que cela représenterait. L’esprit de la loi du 4 mars 2002 vise avant tout à protéger, après la séparation des parents, les droits et la place du parent qui ne réside plus avec l’enfant. Il apparaît alors non seulement contradictoire de faire bénéficier le beau-parent d’un droit similaire, mais également très difficile de coordonner les droits de chacun.
Cependant, la prise en considération du beau-parent comme simple tiers peut, dans certaines configurations, paraître inadéquate. C’est pourquoi le rapport de la défenseure des enfants suggérait la mise en place d’un mandat d’éducation pour permettre au tiers d’accomplir, de manière ponctuelle, un ou plusieurs actes usuels de l’autorité parentale. Ce dernier prendrait la forme d’une convention entre l’un au moins des parents et le beau-parent. Cette proposition n’a pas été retenue, notamment parce qu’il a été mis en avant que le tiers beau-parent pouvait déjà bénéficier d’un mandat tacite en ce sens. Cela étant dit, elle permet de s’interroger sur la place que pourraient prendre les accords et conventions entre parents à ce sujet. Il est possible de se demander s’il ne faudrait pas permettre au juge de rendre possible l’intervention du beau-parent dans l’exercice de l’autorité parentale lorsque cela repose sur la volonté de l’un des titulaires de l’autorité parentale sans contrevenir à l’exercice de cette autorité par le deuxième parent. En effet, la place faite à la volonté individuelle en la matière est appelée à grandir.
Enfin, il existe des situations dans lesquelles le beau-parent est amené à jouer un rôle de parent social, notamment lorsque l’un des parents est décédé, n’est pas en mesure d’exercer l’autorité parentale, ou s’est désintéressé de sa mission. Il lui est alors possible d’avoir recours à la technique de l’adoption pour se voir conférer un véritable statut de parent. En dehors de cette hypothèse, le recours à l’adoption, même simple, n’est pas toujours la solution adéquate pour obtenir une reconnaissance juridique du lien unissant l’enfant et son beau-parent, comme l’illustre l’arrêt de la 1e Chambre civile de la Cour de Cassation, en date du 12 janvier 2011. Dans cette affaire, la haute juridiction a refusé deux adoptions cumulatives de l’enfant par le conjoint de chacun de ses parents. Elle a notamment précisé que rien ne commande de consacrer par une adoption tous les liens d’affection « fussent-ils anciens et établis »[4].
En outre, la possibilité découlant de l’article 371-4 al 2 du Code civil, tel qu’il résulte de la loi du 17 mai 2013, d’imposer au(x) parent(s) la préservation de la relation entre l’enfant et l’ex beau-parent, témoigne, certes, de la volonté de ne pas faire de celui-ci un simple tiers lorsqu’il a joué un rôle primordial pour l’enfant. En effet, les critères définis par l’article font penser à la possession d’état, mode d’établissement de la filiation qui consacre le rôle parental effectivement endossé par l’adulte. Toutefois, l’adoption d’un véritable statut du beau-parent n’est semble-t-il pas à l’ordre du jour. Cela s’explique par la difficulté de donner un statut déterminé à une catégorie de personnes dont la caractéristique première est la diversité du rôle qu’elles jouent et des relations avec l’enfant.
Loredana Brillat
Pour aller plus loin :
– L’enfant au coeur des nouvelles parentalités. Pour un statut des tiers qui partagent ou ont partagé la vie d’un enfant et ont des liens affectifs forts avec lui, Rapport, Défenseur des enfants, 2006.
– Rapport Leonetti « intérêt de l’enfant, autorité parentale, droits des tiers », 7 octobre 2009.
– Beau-parent ou tiers? Bernard BERIGNIER, Droit de la famille n°6, juin 2006
– La reconnaissance juridique des tiers beaux-parents : entre adoption simple et délégation partage, Valérie Depadt Sebag, Receuil Dalloz, 2011.
– L’autorité parentale et les tiers, Stéphane MORACCHINI-ZEIDENBERG, Droit de la famille n°4, avril 2010.
– Quelle place juridique pour le beau-parent? Stessy TETARD, Droit de la famille n°7, juillet 2013.