Aux vues des nouvelles questions que soulève jour après jour la crise dans laquelle notre monde se trouve, Le Petit Juriste est allé interroger deux pontes universitaires dans leurs domaines, Monsieur Gérard Bekerman, Directeur du Magistère Banque-Finance et Monsieur Michel Germain, Directeur du Magistère Juriste d’Affaire sur les réformes en cours et à venir autour de la régulation financière.
Le Petit Juriste : Quelles vont être les conséquences directes, sur le court terme, de la crise économique dans vos spécialités respectives ?
Gérard Bekerman : La crise n’est pas vraiment économique, elle est plutôt financière. En 2029, quand on posera la question aux étudiants d’Assas : « quelles furent les deux grandes crises au cours du dernier siècle ? », ils répondront 1929 et 2008. Ces deux dates marqueront notre histoire. A ceci près que la crise de 2008 a peu de chance de durer longtemps. Nos régulateurs sont puissants. Etats et banques centrales sont massivement engagés. La crise de 1929 avait provoqué chômage, misère et dépression. La crise de 2008 provoque des faillites bancaires et une forte dépréciation des actifs financiers. C’est un moindre mal. Nos spécialités de banque et de finance restent comme avant avec, sans doute, une meilleure conscience des risques. C’est bien.
Michel Germain : Si on exclut les questions bancaires et financières pour ne parler que du droit des affaires en général, on pressent des évolutions. Arrêtons nous sur deux d’entre elles. Très concrètement les procédures collectives (appelées faillites autrefois ) vont s’accroître. En général les périodes de crise voient le législateur se pencher sur le droit des faillites. Mais dans notre époque de création législative permanente une loi d’habilitation du 4 août 2008 prévoyait une retouche de la loi sur la sauvegarde de 2005 alors que la crise n’avait pas pris les allures assez catastrophiques qu’elle a maintenant. Certains se sont demandé s’il était judicieux de faire cette réforme programmée depuis assez longtemps et s’il ne valait pas mieux attendre un peu pour faire un texte à la hauteur des enjeux nouveaux. Mais les ministères préfèrent faire sans tarder les réformes qu’ils ont préparées et la réforme est sortie le 18 décembre 2008. Dans un autre registre, celui des idées, il sera intéressant de voir si la crise bouscule des clichés souvent véhiculés avec force par nos amis américains : la common law américaine serait le droit idéal de l’efficacité économique et les droit codifiés comme le droit français seraient le comble d’une prudence archaïque et désuète. La désinvolture à l’égard des engagements pris par ceux qui ne pouvaient pas payer ( crise des subprimes ) est un échec objectif du droit américain que l’on aimerait voir pris en considération dans les multiples classements, concours, notations que des examinateurs autoproclamés et prétendument impartiaux font subir à tous les droits du monde, pour la plus grande gloire du droit américain ( voir par exemple les rapports de la Banque mondiale ).
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LPJ : Pensez-vous qu’il faut encourager la création de nouvelles autorités de contrôles financiers ? Ou faut-il chercher à développer celles déjà existantes ? Peut-on dire que la crise actuelle est la conséquence de l’échec des régulateurs ?
GB : Je pense qu’il serait plutôt sage de réguler les régulateurs. La création de nouvelles autorités de contrôle est inutile. Celles que nous avons sont suffisantes et accomplissent comme il se doit leur mission. La crise n’est pas le fruit de quelque échec de la régulation. Elle a une double origine. D’une part des excès en matière de transferts de risques liés à la titrisation ; ces excès ont abouti à l’explosion d’innovations de produits complexes tels que les ABS (asset backed securities) ou les CDO (collateral debt obligations) rémunérateurs mais peu liquides. Les banques n’en voulaient plus, leurs liquidités ont été asséchées, les banquiers centraux les ont refinancées. Ce qui n’était, au départ, qu’un problème de trésorerie est devenu, un an plus tard, un problème de solvabilité ; d’où les programmes de recapitalisation. La seconde origine repose sur les « jeux d’opinion » : propagation, contamination, influences réciproques, mimétisme des comportements, méfiance et défiance généralisée. Aujourd’hui, un gérant de portefeuille préfère se tromper avec tout le monde plutôt qu’avoir raison tout seul. Cette indifférence à l’égard des fondamentaux (croissance, taux d’intérêt, profits, finances publiques…) a pour corollaire un attachement irrationnel qui consiste à faire ce que son voisin fait. Les marchés sont surdéterminés. Ils exagèrent les anticipations. Les volatilités sont extrêmes. Les choses ne sont plus ce qu’elles sont, mais ce qu’on anticipe qu’elles seront. On est dans une mauvaise voie. Les opérateurs de marché s’égarent comme des homo sapiens. Ils seraient bien inspirés de revenir passerquelques heures sur les bancs d’Assas pour comprendre ce qu’est l’homo oeconomicus rationnel tel que nous l’enseignons en théorie micro-économique.
MG : Il ne faut certainement pas créer de nouvelles autorités de contrôle, à moins que l’on veuille dire par là qu’il faudrait regrouper les autorités de tutelle bancaires et financières en une seule autorité, sur le modèle de ce qui existe au Royaume Uni. Cette question est pendante depuis un certain temps, mais l’AMF sort de la fusion COB-CMF et il n’est sans doute pas utile de faire vivre à ces institutions des mutations permanentes. D’ailleurs au Royaume uni une régulation unifiée n’a pas été plus visionnaire qu’en France.Des instances de régulation européennes auraient-elles été plus efficaces ? On n’a pas de raison de le croire. Echec des régulateurs ? Echec objectif oui. Mais ceux-ci ont raisonné en harmonie avec les idées desmarchés. Peut-onleur reprocher des trous dans la réglementation, relativement à la titrisation, à la considération de la liquidité bancaire, au danger des LBO ? Pas véritablement car cette responsabilité relève plutôt des pouvoirs politiques, sans doute un peu dépassés par la technicité de ces problèmes.
LPJ : Quels rôles doivent tenir les Banques Centrales et les gouvernements lorsque la défiance se répand sur les marchés et dans les entreprises européennes et mondiales ?
GB : Leur rôle a été déterminant depuis août 2007. Il continue de l’être. Le bilan de la Fed a plus que doublé en moins d’un an. Il dépasse $ 2.000 milliards aujourd’hui. Les réserves des banques centrales dans le monde sont passées de $1.500 milliards en 2000 à 6.500 aujourd’hui. Oui, nos banques centrales sont riches. Et puis, il y a, vous avez raison, les Etats, qui peuvent être infiniment riches lorsqu’ils envisagent de fiscaliser ou lorsqu’ils recourent aux emprunts publics. C’est cette deuxième solution, les emprunts, qui semble avoir été privilégiée pour accélérer la sortie de crise. Elle n’est pas nécessairement bonne, car les dettes et les déficits publics vont fortement s’alourdir en 2009, mais elle est moins pire que toutes les autres au regard de la gravité de la situation.
MG : Il s’agit là d’une question de politique économique sur laquelle les juristes n’ont pas de science particulière. Il me semble que les réactions de la Banque centrale et des gouvernements ont été habiles et rapides. Mais ce sont des situations qu’il faut suivre, j’imagine, au jour le jour. Ce qu’il est intéressant de noter, à côté de cette question, c’est que les cours de bourse et les marchés n’avaient rien anticipé de cette évolution, alors que c’est leur fonction même que de contenir cette information implicite. Ceci donne à penser que la transparence doit être améliorée quelque part.
LPJ : Pensez-vous que les opportunités d’emplois pour les étudiants sortant de vos magistères respectifs soit mises en danger face aux étudiants sortants d’écoles de commerce ?
GB : Je préfère être étudiant en 2008 qu’en 1929. N’oubliez-pas qu’on a, aussi, connu, aux Etats-Unis, une grave crise bancaire dans les années 1980. Elle avait failli ébranler tout le système. Aujourd’hui, je constate que les dix premières banques américaines dégagent des profits. Les dix premières banques européennes en font encore plus, même si, toutes, sont plus vulnérables car leurs fonds propres ont considérablement fondu. La Citi avait $ 240 milliards de capitaux il y a un an. Elle n’en a plus que $30 milliards aujourd’hui. La vie, comme la vie des affaires n’est jamais linéaire. Il y a des hauts. Puis il y a des bas. C’est avec des moins values d’un moment qu’on peut faire des plus values demain. Les crises créent des opportunités. Le système est flexible. Il l’a démontré tout au long de l’histoire financière des nations. Ayons confiance, je ne connais pas d’avenir qui regarde en arrière…
MG : Pour ce qui est du droit la configuration des formations a évolué ces dernières années. Il paraissait évident il y a une vingtaine d’années que les juristes ne pouvaient que sortir des Facultés de droit, réservoir naturel de la tradition juridique. Le développement du droit des affaires a éveillé les appétits des écoles de commerce qui n’avaient pas pour vocation première de former des juristes. Malgré les difficultés d’une concurrence inégale ( sélection des écoles de commerce qui leur permet d’engranger sans bourse délier des jeunes intelligences que l’Etat a formées dans les classes préparatoires, frais de scolarité sans commune mesure avec ceux de l’Université ), nous résistons bien et j’aurais tendance à penser que le droit que nous devons imaginer en période de crisedemande des savoirs qui combinent l’expérience juridique des professionnels et la tradition du travail juridique universitaire – ce que nous essayons de faire dans notre magistère par exemple.
LPJ : Selon vous, quelles relations doivent développer la Finance et le Droit des affaires dans la perspective d’un capitalisme repensé et dans un monde toujours plus juridique ?
GB : C’est une bonne question. La dialectique n’est peut-être pas entre le droit et l’économie, mais entre des étudiants sensibles à la culture du doute, comme le grand Jean Carbonnier l’enseignait, et les étudiants formés dans des écoles de commerce, plutôt soucieux de commerce, et de commerce dans un esprit d’école. L’université doit préparer les étudiants à cet esprit de doute. Le droit y contribue. Les étudiants formés à Assas, au Magistère Banque Finance, au M2 de Techniques Financières et Bancaires, eux, sont imprégnés, je pense, de cet esprit. Dans d’autres formations également. Je les vois prospérer, depuis quinze ans, au sein de la communauté financière. Je n’en vois aucun chez Lehmann. Je pense qu’ils savent ce qu’est un strict contrôle des risques. L’université française peut être fière d’apporter un socle, un ciment, une culture ; c’est ça qui fait la différence, même dans des métiers qui exigent un bon niveau de maîtrise technique. Oui, Assas prépare bien au savoir faire sans négliger le faire savoir.
MG : Votre question semble présumer que le capitalisme sera repensé de façon très juridique. C’est sans doute vrai. En fait il y a une juridicité de la société contemporaine, qui paraît de plus en plus incontournable. Est-ce bien ? Les juristes en semblent persuadés…Mais pour le moment on ne voit pas beaucoup d’autres voies.
LPJ : En conclusion, comment vont évoluer vos formations et effectifs, au vu des nouvelles attentes du marché du travail ?
GB : Je n’ai pas d’inquiétude. Cette crise sera salutaire. Elle va refixer les cadres. On va repérer les vrais centres de gravité. Un modèle de banque vient d’être contesté. Cette remise en question est vertueuse. Il était temps. La communauté financière aspire dorénavant à un nouveau modèle où il n’y aura pas d’argent sans prise de risque. Pas de parachutes ou de primes sans enrichissement d’une collectivité. Le marché attend des opérateurs sains, des conseillers attentifs, des gérants avisés. J’ai connu beaucoup d’étudiants d’Assas qui le sont devenus. J’en connais encore pas mal qui le deviendront bientôt…
MG : Je suis assez serein aussi. Le modèle juridique français n’est globalement pas remis en cause, même s’il sera nécessaire de réévaluer certaines pratiques telles celles des LBO. Cette période difficile plaide encore plus pour des formations généralistes comme nous savons faire à Paris II.
Interview réalisée par Paul Maillard
Pour en savoir plus : |
Magistère Banque-Finance, www.mbfassas.com Magistère Juriste d’Affaire, www.mja-u-paris2.fr Pour les différentes procédures d’inscriptions ou les renseignements sur les formations, vous pouvez contacter les secrétariats au 122 rue de Vaugirard, 75007 Paris, ou utiliser les formulaires et adresses de contact des sites internet précités. |