Dans un arrêt en date du 04 novembre 2014 (pourvoi n°13-24706), la Chambre commerciale de la Cour de cassation a décidé que l’omission du mot « intérêts » altérant la mention exigée « à peine de nullité » par l’article L. 341-2 du Code de la consommation n’est pas une cause de nullité du cautionnement. Elle limite seulement l’étendue de l’engagement de la caution.
La toile de fond est banale: afin qu’un prêt soit octroyé à une société, une personne physique se porte caution envers une banque par un acte sous-seing privé. La société étant incapable d’honorer sa dette, la caution est appelée en paiement. Cette dernière souleva comme moyen de défense la nullité du cautionnement qui ne respectait pas le formalisme de l’article L. 341-2 du Code de la consommation; en effet, petite subtilité de l’espèce, la caution en reproduisant la mention prévue par ce texte avait omis d’écrire le terme « intérêts ».
L’absence de ce terme perturba la cour d’appel de Dijon qui, ne pouvant déterminer s’il s’agissait d’une simple erreur matérielle ou de la volonté de la caution de limiter l’étendue de son engagement, prononça la nullité du cautionnement. Mal lui en prit, elle fût censurée par la Cour de cassation, selon laquelle « cette omission n’avait pour conséquence que de limiter l’étendue du cautionnement au principal de la dette sans en affecter la validité».
L’article L. 341-2 du Code de la consommation prévoit que la caution doit faire précéder sa signature, « à peine de nullité » de la mention qu’il prédétermine et « uniquement de celle-ci ». Premier enseignement de la Cour régulatrice: l’altération de cette mention qui est une condition de validité n’est pas une cause de nullité du cautionnement. Il faudrait donc comprendre que la reproduction au mot près de la mention prévue par l’article L. 341-2 du Code de la consommation, contrairement à ce qu’affirme ce texte, ne serait pas une condition de validité du cautionnement. Conclusion surprenante, mais pas inédite. La Cour de cassation avait en effet déjà affirmé qu’une mention irrégulière n’est pas une cause de nullité du cautionnement dès lors qu’elle n’affecte ni le sens, ni la portée de la mention manuscrite prescrite par ce texte[1].
Mais précisément en l’espèce, l’omission du terme « intérêts » modifiait l’étendue de l’engagement de la caution. Pourtant, l’arrêt prononçant la nullité du cautionnement a été cassé. Une question nous vient immédiatement à l’esprit : pourquoi la Cour de cassation sanctionne les juges du fond? Pour le comprendre un petit rappel s’impose. La caution peut limiter son engagement à certains éléments de l’obligation principale[2] et il a été admis qu’elle pouvait limiter le droit de gage général du créancier sur son patrimoine si celui-ci y consentait[3]. Relisons à présent la mention exigée par la l’article L. 341-2 du Code de la consommation que, la personne physique s’engageant en qualité de caution, par acte sous-seing privé, envers un créancier professionnel doit écrire elle même[4]: « En me portant caution de X…, dans la limite de la somme de … couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de …, je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X… n’y satisfait pas lui-même. ». Supposons maintenant que la caution souhaite limiter son engagement au principal de la dette. Elle devra pour cela ne pas écrire que son engagement couvre les « intérêts, et le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard ». Cependant, en faisant cela, la mention serait irrégulière et affecterait l’étendue de son engagement. Par conséquent, une interprétation littérale du texte conduirait à prononcer la nullité du cautionnement. Autrement dit, par une interprétation téléologique, la Cour de cassation a restauré la liberté contractuelle de la caution, laquelle lui permet de se protéger, corrigeant ainsi une bévue législative.
Il ne faut cependant pas déduire de cet arrêt que toute altération affectant le sens ou l’étendue de l’engagement de la caution ne saurait être une cause de nullité du cautionnement. En effet, en l’espèce, comme dans une affaire antérieure où la Cour de cassation avait admis que l’omission des termes « mes biens » n’était pas une cause de nullité[5], les altérations modifiant le sens ou l’étendue de l’engagement de la caution lui étaient favorables. Par ricochet, elles devenaient défavorables au créancier. Or, il n’en va pas nécessairement de même de toutes les altérations possibles. Ainsi, l’omission des termes « dans la limite de la somme de » aboutirait à supprimer le plafond de l’engagement qui est protecteur de la caution, en ce qu’il limite son engagement[6]. L’article L. 341-2 du code de la consommation ayant pour finalité la protection des intérêts de la caution, la condition pour que soit prononcée la nullité du cautionnement serait que l’altération affectant le sens ou la portée de l’engagement de la caution lui soit défavorable.
Que le cautionnement ne soit pas nul est une chose, qu’il soit limité au principal en est une autre. Il est un contrat unilatéral, il ne peut donc se former sans le consentement du créancier[7]. Or, les intérêts constituant la rémunération de la banque, il est peu probable qu’elle ait renoncé à ce qu’ils soient garantis. Ajoutons que, dans l’hypothèse d’une erreur matérielle, la caution ne veut pas limiter l’étendue de son engagement. Avec cette solution la Cour de cassation ferait donc abstraction de la volonté des parties. Mais cela serait oublier l’article 2292 du Code civil qui dispose que le cautionnement doit être exprès et ne peut être étendu au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté. Or en l’espèce, les éléments délimitant l’obligation de la caution sont énumérés en des termes clairs et précis dans un acte sous-seing privé sans ce que ne soit mentionné le mot « intérêts ». L’interprétation stricte de celui-ci imposée par l’article 2292 du Code civil conduit donc à exclure les intérêts de l’étendue de l’engagement de la caution. Son acceptation par le créancier négligent laisse présumer son consentement. En cas d’erreur matérielle la situation est paradoxale: l’instrumentum prouve le contraire du negotium. On relèvera tout de même un point étrange : hormis l’omission du terme « intérêts », le reste de la mention manuscrite était conforme à la formule légale, ce qui implique la preuve de l’étendue de l’engagement de la caution à certains accessoires, que sont les pénalités ou intérêts de retard, alors que la Cour régulatrice affirme que le cautionnement est limité « au principal de la dette ». Mais cela peut s’expliquer si en l’espèce la question de leur paiement ne se posait pas.
Avec ce basculement d’un formalisme ad validitatem à un formalisme ad probationem, la tentation serait de soutenir que le créancier, dans l’hypothèse d’une erreur matérielle, peut apporter la preuve du negotium par des éléments extrinsèques à l’instrumentum. Rien n’est moins sûr. L’article L. 341-2 du Code de la consommation est une règle spéciale qui prévoit que la caution doit écrire une mention qu’il prédétermine et « uniquement de celle-ci ». Sur le terrain probatoire, cela laisse entendre qu’aucune preuve contraire à cette mention n’est possible. En ce sens, on remarquera l’affirmation sans nuance de la Cour de cassation: « cette omission n’avait pour conséquence que de limiter l’étendue du cautionnement au principal ». Toutefois, selon la Cour de cassation, la nullité prévue par cet article est relative, de sorte que la caution peut la confirmer, notamment si elle exécute volontairement son engagement en connaissance du vice l’affectant[8]. Ne pas admettre la preuve du negotium par des éléments extrinsèques à l’instrumentum serait donc particulièrement sévère.
Salvatrice, mais problématique. Ainsi se résume l’interprétation retenue par la Cour de cassation. Il est en définitive souhaitable que le législateur intervienne pour modifier ce texte qui n’en fini plus de susciter un contentieux interminable en raison de sa rédaction imprécise.
Michael TOTA
En savoir plus:
[1] Cass. Civ. 1re, 10 avril 2013, pourvoi n°12-18544, Bull. 2013, I, n°74
[2] Art. 2290 al. 2 du Code civil. Si l’art. 2293 du Code civil prévoit que le cautionnement indéfini s’étend à tous les accessoires de la dette, il n’est pas toutefois par d’ordre public: Cass. Com., 16 mars 1999, pourvoi n°96-12653, Bull. 1999 IV N° 59 p. 48
[3] Cass. Com., 29 avril 2002, pourvoi n°97-19269, Non publié au bulletin
[4] Cass. Com., 13 mars 2012, pourvoi n°10-27814: si la mention est rédigée par un préposé de la caution, la nullité du cautionnement doit être prononcée.
[5] Cass. Com., 1er oct. 2013, pourvoi n°12-20278, Bull. 2013, IV, n°143
[6] Ce montant maximum doit par ailleurs s’apprécier au regard des prescriptions de l’art. L. 341-4 du Code de la consommation
[7] Cass. Com., 05 fév. 2013, pourvoi n°12-11720, Bull. 2013, IV, n°20: en l’espèce les juges du fond ayant constaté que la caution avait exécuté son engagement sans avoir été mis en demeure et en dépit des conseils contraires de son avocats et son comptable, ont pu déduire qu’elle avait entendu réparer le vice affectant son engagement.
[8] Cass. Civ. 1re, 27 juin 1973, pourvoi n°72-11564, Bull. des arrêts Cour de Cassation Chambre civile 1 N. 219 P. 194