Afin de se prémunir contre la réalisation d’un risque, c’est à dire d’un événement dommageable dont la survenance est incertaine, un contrat d’assurance peut être conclu auprès d’un assureur. Ce contrat d’assurance peut notamment consister en la garantie du risque d’incapacité de travail. Il s’agit de l’impossibilité physique ou psychique d’exercer une activité professionnelle. Cette impossibilité peut être temporaire – incapacité temporaire de travail – ou définitive – invalidité. Le contrat d’assurance a alors pour objet le versement de prestations en espèces à l’assuré durant la période de son arrêt de travail ou suite à la reconnaissance médicale de son état d’invalidité. Ces prestations prennent généralement la forme d’indemnités journalières en cas d’incapacité temporaire de travail et d’une rente en cas d’invalidité et sont destinées à compenser, en complément de l’indemnisation par la sécurité sociale, la perte de revenu subie par le travailleur.
Il convient de souligner que le contrat d’assurance est un contrat synallagmatique, c’est à dire que les deux parties au contrat, l’assureur et l’assuré, ont à leur charge des obligations réciproques et interdépendantes [1]. L’assuré est principalement tenu au paiement de la prime prévue au contrat [2] et à la déclaration du sinistre à l’assureur [3]. L’assureur est, quant à lui, principalement tenu à une obligation d’information et de conseil de l’assuré. De plus, en cas de réalisation du risque assuré, l’assureur sera tenu d’exécuter la prestation déterminée dans le contrat [4].
Lorsque l’assureur est contractuellement tenu au versement d’une garantie invalidité, l’assureur a-t-il l’obligation de mettre en œuvre cette garantie avant que l’assuré ne lui en fasse la demande ?
C’est à cette question que répond la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 14 décembre 2017 (Cass. civ. 2ème, 14 déc. 2017 n°16-22122).
En l’espèce, une exploitante agricole avait souscrit un contrat d’assurance garantissant le versement d’indemnités journalières en cas d’arrêt de travail pendant une durée maximale de trois ans et d’une rente en cas d’invalidité supérieure à 33 %.
Ayant souffert d’une leucémie, l’assureur lui a versé les indemnités journalières prévues au contrat et l’a avisée, à l’expiration des trois années, de la cessation de ce versement.
Quelques mois plus tard, l’assurée a sollicité auprès de l’assureur le versement de la rente invalidité. Puis, reprochant à l’assureur d’avoir manqué à ses obligations en s’étant abstenu de mettre en œuvre de la garantie invalidité dès la cessation du versement des indemnités journalières, l’assuré a assigné son cocontractant en réparation de son préjudice.
La cour d’appel a fait droit à cette demande et a condamné l’assureur au paiement de dommages-intérêts.
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel et juge que « l’assureur n’avait pas l’obligation de mettre en oeuvre la garantie invalidité du contrat avant que l’assurée ne lui en fasse la demande ».
Ainsi, la Cour de cassation considère que l’assureur n’a pas manqué à son obligation d’exécution loyale du contrat (I) et rejette tout caractère automatique dans la mise en œuvre d’une garantie invalidité (II).
I. L’absence de violation par l’assureur de son obligation d’exécution du contrat de bonne foi
Le droit des contrats a acquis une dimension davantage morale en 1804, lorsque le législateur a inscrit à l’ancien article 1134 alinéa 3 du code civil une obligation de bonne foi en matière d’exécution du contrat. Cet article disposait alors que les conventions légalement formées “doivent être exécutées de bonne foi.” Aujourd’hui, cette obligation de bonne foi se trouve à l’article 1104 du code civil qui dispose que “les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public.” Cette réécriture est venue éclaircir le principe, en étendant son champ d’application sans pour autant définir la notion de bonne foi. En l’absence de définition légale, l’obligation d’exécution du contrat de bonne foi peut être définie comme l’obligation pour les parties au contrat d’exécuter leurs engagements avec sincérité et honnêteté, c’est à dire de ne pas faire preuve d’intention malveillante.
Le contrat d’assurance, comme tout contrat, répond aux règles du droit des contrats. Ainsi l’assureur est soumis à l’obligation d’exécution loyale du contrat.
En matière de contrat d’assurance, l’obligation d’exécution du contrat de bonne foi permet au juge de sanctionner des comportements déloyaux de l’assureur dans l’exécution du contrat, afin de protéger l’assuré profane. Cette obligation de bonne foi dans l’exécution du contrat d’assurance est sans cesse rappelée par la jurisprudence. La Cour de cassation a notamment pu juger que l’assureur était tenu d’une obligation de loyauté dans la mise en œuvre du processus d’indemnisation de son assuré et qu’il engage sa responsabilité contractuelle en gardant un «silence malicieux» pour échapper au paiement grâce à la prescription [5].
Dans l’arrêt du 14 décembre 2017, c’est précisément un manquement à cette obligation de bonne foi qui était reproché à l’assureur par la cour d’appel. En l’espèce, les juges du fond ont jugé que « l’assureur n’a pas exécuté loyalement le contrat d’assurance au regard des éléments d’information dont il disposait sur la situation de son assurée et a commis une faute.” La cour d’appel relève en effet que l’assureur avait fait examiner l’intéressée « afin de vérifier le bien-fondé du droit au paiement des indemnités journalières » et « avait connaissance de la pathologie dont elle souffrait ».
Ainsi, selon les juges du fond, l’assureur « ne pouvait ignorer que la question de la mise en œuvre de la garantie invalidité se poserait nécessairement dès la fin du règlement des indemnités journalières ». De plus, ils relèvent que l’assureur s’était abstenu de diligenter l’expertise nécessaire à cette mise en œuvre et a attendu pour y procéder que son assurée se plaigne de cette carence.
La Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel considérant que cette dernière a violé les dispositions de l’article 1134 al. 3 du code civil. La Haute juridiction juge en effet que « l’assureur n’avait pas l’obligation de mettre en oeuvre la garantie invalidité du contrat avant que l’assurée ne lui en fasse la demande ».
Ainsi, la Cour de cassation écarte tout manquement de l’assureur dans l’exécution du contrat d’assurance. Ce dernier n’a pas manqué à son obligation d’exécution du contrat de bonne foi en ne mettant pas en œuvre la garantie invalidité dès la cessation du versement des indemnités journalières prévues au contrat.
II. L’absence de caractère automatique de la mise en œuvre de la garantie invalidité
Par cette solution, la Cour de cassation rejette le caractère automatique de la mise en œuvre de la garantie invalidité par l’assureur. En effet, si l’assureur doit exécuter le contrat de bonne foi, il ne lui appartient pas de mettre en oeuvre les garanties souscrites avant même que l’assuré ne lui fasse la demande. La cour fonde cette solution sur l’ancien 1134 al. 3 du code civil, aujourd’hui article 1104, qui dispose que les conventions doivent être exécutées de bonne foi.
En effet, la bonne foi demande certes, de respecter le contrat au travers des engagements pris. Mais en aucun cas, cette bonne foi ne saurait s’entendre au-delà. L’exigence de bonne foi n’impose pas aux parties l’exécution d’actions qui n’auraient pas été prévues dans le contrat. La loyauté concerne le champ contractuel.
Or dans notre espèce, aucun terme du contrat, ni aucune disposition législative par ailleurs, ne prévoyaient de mise en oeuvre automatique de la garantie invalidité. D’autres sources vont également dans ce sens, comme l’article 1103 du code civil qui dispose que “les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits”, ou encore l’article L.113-5 du code des assurances qui dispose que “lors de la réalisation du risque ou à l’échéance du contrat, l’assureur doit exécuter dans le délai convenu la prestation déterminée par le contrat et ne peut être tenu au-delà. “
L’assureur est là pour assurer une personne contre des risques de la vie, mais uniquement à la demande de cette personne. Il n’a pas à se substituer à son assuré. L’assureur répond à une demande de prestation. Il n’existe aucune règle d’automaticité, il n’y a pas de prise en charge sans demande antérieure.
On ne peut reprocher un manque de bonne foi sans fondement en parallèle. Il est possible de demander à une personne de se comporter de bonne foi mais seulement sur une obligation qui lui incomberait.
Par ailleurs, il résulte de cet arrêt que la prestation due par l’assureur est quérable et non portable, signifiant que le paiement s’effectue au domicile du débiteur, l’assureur et non du créancier, l’assuré. Cela implique une démarche pro-active de l’assuré, ce qui se traduit par une demande de prestation expresse auprès de l’assureur.
Enfin, il convient de relever qu’une solution inverse aurait considérablement alourdi les obligations de l’assureur. Elle aurait en effet impliqué qu’il se tienne informé de l’état de santé de chaque assuré dont le droit aux indemnités journalières arrive à expiration, afin d’anticiper la mise en œuvre de la garantie invalidité.
ANTHERIEU Margaux,
étudiante en master DPSE, Ecole de droit de la Sorbonne, Apprentie chez Humanis
BLANCHET Camille,
étudiante en master DPSE, Ecole de droit de la Sorbonne, Apprentie chez KERIALIS
[1] C. civ., article 1106, al. 1er
[2] C. ass., article L.113-2, 1°
[3] C. ass., article L.113-2, 4°
[4] C. ass., article L.113-5
[5] Cass. civ. 1ère , 26 nov. 1996, no 94-13.468