Il y a bientôt 60 ans qu’était créée la Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurance (CIMA). Toutefois, du haut de son jubilé d’or et de sa stabilité croissante, ce marché ne semble pas encore être tout à fait prêt à relever le défi de notre siècle : celui des changements climatiques. Face aux risques climatiques, le système d’assurance en Afrique, et plus particulièrement en zone CIMA, reste encore un géant aux pieds d’argile.
Les répercussions d’événements naturels aussi cataclysmiques que les ouragans, les typhons, les sècheresses et les inondations sont des sources croissantes de préoccupation en raison des bouleversements et de la fragilisation de la croissance économique qu’ils peuvent engendrer.
Cette situation hors du commun met en porte-à-faux le développement socio-économique de nombreux continents, surtout les plus pauvres, comme l’Afrique. De quoi justifier notre intérêt pour cette branche du droit pouvant garantir une réparation des préjudices subis par l’intervention d’un acteur clé: la compagnie d’assurance. C’est dans cette optique que nous nous intéressons particulièrement à l’assurance des risques climatiques en Afrique.
La zone CIMA fait référence au champ d’application ratione loci du Code CIMA, Code des assurances applicable dans les États membres de la Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurance (CIMA)[1]. Il s’agira donc d’examiner le Code CIMA, a la lumière des spécificités des risques climatiques, afin de déterminer s’il permet de répondre de manière efficiente aux besoins de protection des particuliers ?
A l’analyse le système d’assurance en zone CIMA pourrait très vite révéler ses limites face aux risques climatiques, raison pour laquelle il faudrait qu’il puisse s’y ajuster le plus tôt possible.
Une assurance limitée face aux risques climatiques
Le système d’assurance en zone CIMA peut se retrouver pris au dépourvu face aux risques climatiques. L’assurance de choses, tel qu’elle est conçue actuellement, n’est pas à toute épreuve surtout pas à celle climatique. Les limites de ce système d’assurance sont encore plus perceptibles le secteur agricole. Rappelons à titre préliminaire que l’assurance est une opération par laquelle un assureur organise en mutualité une multitude d’assurés exposés à la réalisation d’un même type de risque et indemnise ceux d’entre eux qui subissent un sinistre grâce à la masse commune des primes collectées[2]. Quant au risque climatique, il s’agit d’un risque « lié à la vulnérabilité accrue aux variations des indices climatiques tels que la température, le vent, la neige ou les précipitations »[3]. De façon générale, le risque représente la probabilité que survienne un dommage contre lequel l’assuré cherche à se prémunir au moyen d’un contrat souscrit auprès d’un assureur[4].
Une assurance de choses pas à toute épreuve
L’épreuve fatidique des assurances de choses est la survenance des catastrophes naturelles. Les assureurs ont une certaine aversion pour de tels risques, le plus souvent imprévisibles, irrésistibles, ayant les caractères d’une force majeure, et dont les coûts peuvent se révéler astronomiques. Par exemple, le bilan des pertes assurées, du fait des catastrophes naturelles, en 2017 se chiffre à 135 milliards USD, en hausse de 166% par rapport à 2016. Ce montant dépasserait de loin la moyenne des dix dernières années voire des trente dernières[5].
Les choses assurées en zone CIMA ne sont pas automatiquement couverts contre les risques naturels qui sont classiquement considérés comme des risques inassurables. Selon les dispositions de l’Article 50 du Code CIMA l’assurance incendie ne couvre pas « sauf convention contraire (…) les incendies directement occasionnés par les éruptions de volcan, les tremblements de terre et autres cataclysmes ».
Ces risques ne pourraient être couverts dans le cadre d’une assurance incendie[6] par exemple que par le biais d’une stipulation expresse dans la police d’assurance. Une telle prise en compte, qui n’est donc pas impossible, aura corrélativement pour effet d’augmenter le coût de la prime d’assurance, suivant la probabilité de survenance, sans oublier l’existence de plafonds d’indemnisation voire de franchises.
En outre, les populations africaines, surtout en milieu rural, dépendent énormément du milieu agricole (60% des emplois) qui n’est pas à l’abri des aléas climatiques. L’agriculture représente environ 25% du Produit Intérieur Brut (PIB) africain[7]et constitue ainsi un secteur majeur de l’économie.
Une assurance « agricole » déconnectée des réalités
L’article 55 du Code CIMA, définit les caractères des risques agricoles. Il résulte des dispositions de cet article, qu’il ne viserait que l’assurance responsabilité des chefs d’exploitations agricoles contre tout risque résultant de l’activité agricole[8]. Toutefois, au regard de l’article 705, du même code, les risques agricoles concerneraient également les risques de dommages encourus par l’exploitant en tenant compte de leur origine ou leurs conséquences (climatiques, commerciaux, etc…).
En dehors de l’article 55 et 705, le Code CIMA ne se préoccupe plus de l’activité agricole contre les intempéries telles que la sècheresse, les pluies diluviennes ou la mortalité du bétail. Seul l’article 39 du Code CIMA pourrait être appliqué en cas de perte total de la récolte due à ces intempéries, disposition générale relative à la perte totale de la chose assurée. Il dispose qu’ « en cas de perte totale de la chose assurée résultant d’un événement non prévu par la police, l’assurance prend fin de plein droit (…) ».
A la lecture de cette disposition, on remarque toujours que ces risques ne peuvent être couverts de plein droit sauf convention contraire. De plus, l’absence de dispositions particulières induit que ces risques seront donc couverts par les règles de droit commun relatives aux assurances de choses. Or ces dernières ne sont pas infaillibles.
Vers une assurance « acclimatée » aux risques climatiques
Afin de parvenir à une assurance « acclimatée » aux risques climatiques, il faut une adaptation, voire un ajustement, des assurances aux réalités climatiques et socio-économiques. Les autorités étatiques devront également jouer leur partition.
Une nécessaire adaptation des assurances
L’Afrique aurait connu plus de 2.000 catastrophes naturelles depuis 1970 et la moitié d’entre elles se seraient produites ces dix dernières années. Ces évènements ont touché plus de 460 millions de personnes et causés le décès de 880.000 d’entre elles. Par exemple, selon la Banque Mondiale, le phénomène climatique El Niño toucherait actuellement près de 60 millions de personnes en Afrique[9]. Plus récemment la Somalie et l’Afrique du Sud faisaient face à une importante sècheresse, le Libéria et la Sierra-Leone à des inondations, pluies et coulées de boues meurtrières.
Peut-être faudrait-il sérieusement penser à instaurer une assurance obligatoire catastrophes naturelles pour tous les biens assurés en zone CIMA. L’article L.125-1 alinéa 1 du Code français des assurances, issu de la Loi n° 82-600 du 13 juillet 1982 relative à l’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles, est très inspirant à ce propos. Il dispose que « les contrats d’assurance, souscrits par toute personne physique ou morale autre que l’Etat et garantissant les dommages d’incendie ou tous autres dommages (…) ouvrent droit à la garantie de l’assuré contre les effets des catastrophes naturelles (…) ».
Par ailleurs, plusieurs projets-pilotes d’assurances climatiques indicielles, reposant sur des données météorologiques fournies par des stations terrestres ou des satellites, ont été lancés ces dernières années en Afrique subsaharienne, comme ceux de la Fondation Syngenta au Kenya ou de PlaNet Guarantee dans les pays du Sahel. L’assurance indicielle est une assurance liée à un indice, tel la pluie, la température, l’humidité ou le rendement des cultures. Cette approche pallie les limites de l’assurance récolte traditionnelle dans les régions rurales des pays en développement. Cependant, il est à noter qu’il s’agit essentiellement de dispositifs de micro-assurance impulsés par le secteur privé, avec l’appui ponctuel de la Banque mondiale ou d’autres institutions[10].
Au Sénégal, par exemple, le programme d’assurance indicielle s’est construit avec une forte contribution de l’Etat sénégalais à travers la Compagnie Nationale d’Assurance Agricole du Sénégal (CNAAS) – exclusivement dédiée à la couverture des risques agricoles – et la subvention de 50% de toutes les primes d’assurance-agricole pour favoriser l’accès des producteurs. L’assurance agricole indicielle sera bientôt expérimentée en Côte d’ivoire pour le cacao, le coton, le riz et le maïs. Il existe également d’autres structures semblables : au Nigéria la Nigerian Agricultural Insurance Corporation (NAIC) créée en 1987 et au Bénin l’Assurance Mutuelle Agricole du Bénin (AMAB) créée en 2007.
Au-delà la nécessité d’adaptation, se trouve donc le rôle majeur que les États africains devraient jouer en sus de l’engagement d’une véritable réforme du droit des assurances en zone CIMA prenant en compte les risques climatiques.
Une indispensable intervention des autorités étatiques
Le régime d’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles en France démontre le rôle complémentaire des secteurs publics et privés. Les sociétés d’assurances privées offrent à leurs assurés une couverture contre les catastrophes naturelles. Les assureurs peuvent également obtenir une réassurance intégrale contre les catastrophes auprès de la Caisse Centrale de Réassurance (CCR), une entreprise étatique. Cette entreprise de réassurance chargée de concevoir, mettre en œuvre et gérer des instruments performants répondant à des besoins de couverture de risques exceptionnels, au service de ses clients et de l’intérêt général. C’est une société anonyme détenue à 100 % par l’État français. De plus, grâce à la garantie de l’Etat la CCR est donc en mesure de proposer une réassurance illimitée contre les catastrophes.
Pour renforcer la résilience du continent africain face aux effets les plus virulents du changement climatique, les États africains adoptaient, en 2012, un accord portant création de l’institution de la Mutuelle Panafricaine de gestion des Risques (ARC)[11]. Il s’agit d’un organe spécialisée de l’Union Africaine (UA) qui a pour mission d’aider les États membres à améliorer leurs capacités pour mieux planifier, préparer et réagir aux phénomènes météorologiques extrêmes et aux catastrophes naturelles. La mutuelle panafricaine a mis en place une compagnie d’assurance – ARC Insurance Company Limited – qui fournirait des financements d’urgence aux États membres de l’Union africaine contre paiement d’une prime. Elle utilise un système d’assurance indicielle pour couvrir les risques de sécheresse, et bientôt, les inondations, les cyclones et les épidémies
En 2015, le G7 s’était engagé à assurer (directement et indirectement) contre le risque climatique, 400 millions de personnes démunies dans le monde, d’ici à 2020 et a identifié l’ARC comme un programme clé à renforcer, afin d’atteindre cette cible mondiale.
Si l’ARC répond aux besoins des États africains en mutualisant les risques, qu’en est-il des particuliers qui ne sont pas directement couverts par ce système ? L’approche envisageable serait d’organiser au sein des États africains un régime d’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles de sorte à offrir une couverture à tous biens assurés, quitte à en repartir les coûts éventuels.
L’assurance est un outil efficace qui peut fournir aux États membres un financement fiable en cas de catastrophes naturelles. Ces événements sont probables mais imprévisibles. L’ARC a prouvé sa capacité d’obtenir des résultats par le biais de ses produits d’assurance qui ont facilité la mobilisation d’une intervention rapide début 2015 dans trois États membres, à savoir la Mauritanie, le Niger et le Sénégal, à la suite d’une sécheresse importante dans la région du Sahel.
Le Cadre d’action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe 2015 – 2030, un accord conclu par les États membres de l’ONU sur la gestion des catastrophes naturelles, note l’importance de l’assurance comme l’une de ses grandes priorités. Il insiste sur la nécessité « de promouvoir des mécanismes de transfert des risques de catastrophe et de garanties contre ces risques, qui permettent le partage et la rétention de risques et la protection financière des investissements (…) ».
Beaucoup de défis restent à relever en matière d’assurance en Afrique, surtout en zone CIMA. L’inculture assurantielle est la première difficulté de rang. Pour amoindrir les coûts des dommages causés par les aléas climatiques, il faudrait faire en sorte d’amoindrir ces risques. Pour les immeubles, par exemple, le contrôle effectif du respect des normes de construction et la prise en compte des zones à risques est un impératif ; en matière agricole l’usage des cultures plus résilientes aux aléas climatiques devient incontournable.
Le droit des assurances ne saurait à lui seul faire face à ce dilemme, il est impérieux d’entrer en symbiose avec d’autres domaines pouvant avoir des impacts sur les risques climatiques. Par ailleurs, un engagement politique se révèle incontournable. Somme toute, le vrai risque, inassurable, serait notre inaction.
Dessa-nin Ewèdew Awesso
[1] Les États signataires sont : Bénin, Burkina-Faso, Cameroun, Centrafrique, Congo, Comores, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée équatoriale, Mali, Niger, Sénégal, Tchad et Togo. Des quatorze États signataires de 1961, seule la République fédérale islamique des Comores n’a pas encore ratifié le Traité. La Guinée-Bissau a ratifié le traité en 2002.
[2] A. Chaufton, Les assurances, vol. 1, Paris : A. Maresq ainé, 1884, p. 4.
[3] http://www.cypres.org/risques-naturels/risques-climatiques/
[4] https://www.index-assurance.fr/dictionnaire/risque
[5] http://www.atlas-mag.net/article/bilan-des-catastrophes-naturelles-en-2017
[6] Article 45 du Code CIMA.
[7] http://www.jeuneafrique.com/478567/economie/les-agriculteurs-entrepreneurs-qui-preparent-lafrique-de-demain
[8] Voir en ce sens A.-M. H. Assi-Esso, J. Issa-Sayegh et J. Lohoues-Oble, CIMA. Droit des assurances, JURISCOPE – AUF, Coll. « Droit Uniforme Africain », Bruxelles, Bruylant, 2002, pp. 293-294.
[9] E. Ijjasz-Vasquez et C. Pusch, « Sur la voie de la résilience : la réduction des risques climatiques et de catastrophes naturelles en Afrique », http://blogs.worldbank.org/africacan/fr/sur-la-voie-de-la-resilience-la-reduction-des-risques-climatiques-et-de-catastrophes-naturelles-en-afrique
[10] http://www.atlas-mag.net/article/l-assurance-agricole-en-afrique
[11] http://www.africanriskcapacity.org/
[1]Les États signataires sont : Bénin, Burkina-Faso, Cameroun, Centrafrique, Congo, Comores, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée équatoriale, Mali, Niger, Sénégal, Tchad et Togo. Des quatorze États signataires de 1961, seule la République fédérale islamique des Comores n’a pas encore ratifié le Traité. La Guinée-Bissau a ratifié le traité en 2002.
[2] A. Chaufton, Les assurances, vol. 1, Paris : A. Maresq ainé, 1884, p. 4.
[3] http://www.cypres.org/risques-naturels/risques-climatiques/
[4] https://www.index-assurance.fr/dictionnaire/risque
[5] http://www.atlas-mag.net/article/bilan-des-catastrophes-naturelles-en-2017
[6] Article 45 du Code CIMA.
[7] http://www.jeuneafrique.com/478567/economie/les-agriculteurs-entrepreneurs-qui-preparent-lafrique-de-demain
[8] Voir en ce sens A.-M. H. Assi-Esso, J. Issa-Sayegh et J. Lohoues-Oble, CIMA. Droit des assurances, JURISCOPE – AUF, Coll. « Droit Uniforme Africain », Bruxelles, Bruylant, 2002, pp. 293-294.
[9] E. Ijjasz-Vasquez et C. Pusch, « Sur la voie de la résilience : la réduction des risques climatiques et de catastrophes naturelles en Afrique », http://blogs.worldbank.org/africacan/fr/sur-la-voie-de-la-resilience-la-reduction-des-risques-climatiques-et-de-catastrophes-naturelles-en-afrique
[10] http://www.atlas-mag.net/article/l-assurance-agricole-en-afrique