Dans les circonstances épidémiques actuelles se pose la question de la force majeure dans le droit du travail. En effet, il est de mise de savoir si le coronavirus peut être considéré comme un cas de force majeure, dans le cadre de la rupture d’un contrat de travail que ce soit un CDD ou un CDI.
La force majeure est définie dans la jurisprudence comme un événement extérieur, imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution (1). Cette définition a été reprise par l’article 1218 du Code civil applicable dans les relations contractuelles selon lequel il y a force majeure lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées rendant l’exécution de l’obligation impossible (2).
En droit du travail, la rupture du contrat de travail pour cas de force majeure est reprise légalement dans cet article 1218 du Code civil. La force majeure justifie la rupture immédiate du contrat, sans indemnités. Mais, un salarié en CDI a quand même droit à l’indemnité compensatrice de congés payés (3) . Dans ce cas, l’employeur peut mettre fin au contrat de travail de ses salariés sans respecter la procédure de licenciement habituellement obligatoire (4). Là aussi, il faudra remplir la triple condition. C’est par exemple, le cas où une entreprise subit un événement majeur tel qu’un incendie, une inondation ou une tempête qui détruit la totalité de ses locaux (5).
Dans l’hypothèse d’un sinistre évoquée par l’article L. 1234-13 du Code du travail, n’étant a priori pas applicable à la situation d’une épidémie, il convient de se reporter à l’article L. 1234-12 du Code du travail qui prévoit : « La cessation de l’entreprise pour cas de force majeure libère l’employeur de l’obligation de respecter le préavis et de verser l’indemnité de licenciement prévue à l’article L. 1234-9 du Code du travail ». Cette possibilité semble intéressante pour les entreprises au vu de la situation actuelle inédite. Cependant, il faut se rappeler que de manière constante, beaucoup de motifs de rupture de contrat de travail en matière de force majeure n’ont pas été reconnus comme tels par les juridictions dans de nombreuses affaires. Par exemple, n’ont pas été considérés comme des cas de force majeure par les juridictions, la destruction totale ou partielle de locaux d’une entreprise consécutive à un sinistre, dans le cas où la reprise de l’exploitation est possible et ce, même après une longue interruption, le ralentissement, ou même la cessation d’activité dans certains cas (6).
La jurisprudence a explicité que, par exemple, l’épidémie de Dengue de Martinique en 2007 n’a pas été considérée comme un cas de force majeure par la Cour d’Appel de Nancy car cette épidémie n’était pas imprévisible en raison du caractère endémo-épidémique de cette maladie dans cette région et, n’était pas irrésistible compte-tenu de l’existence de moyens de prévention (7). Pour rappel, le caractère endémo-épidémique est relatif à une endémie (maladie spéciale à une contrée ou y régnant de façon continue) qui, dans certains cas, se caractérise comme une épidémie (maladie qui, dans un pays, atteint un grand nombre d’individus à la fois, telle que la grippe).
On pourrait faire un comparatif avec la situation actuelle inédite. Le coronavirus n’a pas de caractère endémo-pandémique dans une certaine région du fait de la rapidité de sa propagation à travers le monde, d’où son imprévisibilité qui pourrait être retenue par les juridictions. Il faut aussi compter le caractère irrésistible, la question se tournera vers la suffisance de moyens de préventions mobilisés contre l’épidémie. Là encore, tout est une affaire de subjectivité. De ce fait, en prenant en compte la situation actuelle telle qu’elle, il paraît difficile de qualifier l’épidémie, qui touche nombre de nos concitoyens, de force majeure et ainsi de rompre un contrat de travail pour ce motif. Cependant, il faut continuer à scruter l’évolution de cette épidémie afin de constater si, oui ou non, dans un futur proche, cette épidémie va revêtir les caractéristiques de la force majeure.
En effet, nous ne pouvons anticiper ce qu’il en sera dans un futur proche au vu de la situation inédite qui est en train de se dérouler. Il faudra attendre que les juges statuent sur cette qualité ou non de force majeure. Il faut rappeler que dans le cadre d’un CDD par exemple, en cas de rupture anticipée injustifiée, donc si un tribunal considère qu’il n’y avait pas force majeure, le salarié aura droit à des dommages-intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat, ainsi qu’à l’indemnité de fin de contrat (8). D’où l’intérêt d’attendre que les juges statuent sur cette qualité ou non de force majeure.
Enfin, cet événement pourrait être requalifié en fait du prince par les juridictions au vu des mesures de confinement prises par le gouvernement dans le cadre du décret (9) qui est intervenu récemment. En effet, il faut rappeler qu’un fait du prince est un événement ayant un caractère de force majeure causé par une décision arbitraire d’une autorité publique. Ainsi, les mesures récentes de restrictions de circulation, d’aller et venir, édictées par le gouvernement pourraient tout à fait correspondre à la définition du fait du prince.
Arthur Humez, étudiant en M1 droit social à l’université de Lille
(1) Cass.soc 12 Février 2003, n°00-46660
(2) Article 1218 Code civil
(3) Articles L 1234-12, L 3141-26 du Code du travail
(4) Cass.soc 19 novembre 1980, n°78-41574
(5) Cass.soc 12 février 2003, publié au bulletin
(6 ) Cass. soc, 7 déc. 2005, n° 04-42.907
(7) CA Nancy, 22 novembre 2010, RG n°09/00003
(8) Articles L1243-1, L1243-4 code du travail
(9) Décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19