Dossier du mois / L’amour dure cinq ans (?) : la présidence de la République

 

 


 

Le 6 mai 2012, les français éliront leur nouveau président de la République. La campagne présidentielle a débuté depuis plusieurs mois, et pas une semaine ne se passe sans petite phrase, annonce choc, ou controverse entre les candidats. L’effervescence médiatique va jusqu’à offrir aux lecteurs la visite des quartiers généraux de certains candidats, ou l’interview de la compagne des autres.


L’élection présidentielle et surtout les derniers mois de la campagne, sont assurément le temps fort de la démocratie française. Depuis le 19 décembre 1965, date de la première élection au suffrage universel direct d’un président de la République depuis 1848, l’engouement pour cette période particulière de la vie politique ne s’est pas démenti.

 


 

Quelles sont les raisons d’un tel enthousiasme ? Il réside assurément dans le fait que le président de la République est peu à peu devenu l’institution la plus importante de la Ve République, alors qu’avant 1962, l’idée même d’un chef d’Etat élu au suffrage universel direct semblait impossible, et pire, dangereuse.

 

L’élection présidentielle offre l’opportunité au Petit Juriste de revenir sur cette présidence de la République. Son histoire complexe est étonnante à plus d’un titre : de son rejet de principe à sa funeste consécration (I), la présidence de la République ne sera réellement établie telle que nous la connaissons qu’en 1962. Le chef de l’Etat devient alors le principal personnage de la République, modifiant sa structure en profondeur de par son mode d’élection (II) et notamment grâce à des pouvoirs importants (III).

 

I          Du rejet à la consécration, de la Révolution à la Seconde République

 

A         Les révolutionnaires et le rejet du monarque puis de la fonction de chef d’Etat

 

Les français ont la réputation de préférer les hommes d’Etat forts et paternalistes. Des guides parfois autoritaires qui semblent dominer notre histoire nationale. Sont cités à ce titre Louis XIV, Napoléon, ou de Gaulle.

 

Pourtant, Louis XIV devient dès la Révolution le symbole de la monarchie absolue, Napoléon ne prendra le pouvoir que par un coup d’Etat et sera le symbole du pouvoir personnel d’après 1789. Quant à de Gaulle, il aura pour lui cette fameuse « légitimité historique » qu’il évoquera après l’attentat du Petit Clamart, en 1962. Néanmoins, sa pratique du pouvoir et son absence de compromis auront été vertement critiqués.

 

La première monarchie constitutionnelle du 3 septembre 1791 conserve le Roi de France. Mais une rupture immédiate est adoptée par l’Assemblée constituante : le Roi ne sera plus le lien entre le peuple et Dieu. Il tiendra son pouvoir de la nation (Titre III, article 1 : « La Souveraineté est une, indivisible, inaliénable et imprescriptible. Elle appartient à la Nation ; aucune section du peuple, ni aucun individu, ne peut s’en attribuer l’exercice ». La nation lui délègue donc une part de la souveraineté qu’est le pouvoir exécutif. Il devient le Roi des français (Titre III, Chapitre II, Section I, article 2 : La personne du roi est inviolable et sacrée ; son seul titre est Roi des Français » et article 3 : « Il n’y a point en France d’autorité supérieure à celle de la loi. Le roi ne règne que par elle, et ce n’est qu’au nom de la loi qu’il peut exiger l’obéissance ». Les révolutionnaires semblent donc assumer le principe de la monarchie, en l’adaptant aux exigences de l’ordre nouveau.

 

Pourtant, les relations entre le Roi et l’Assemblée seront plus que difficiles. Si Louis XVI semble accepter la nouvelle forme de sa charge, et s’il utilise consciencieusement ses pouvoirs constitutionnels, plusieurs historiens affirment qu’il ne s’était pas rallié à la Constitution (voir notamment l’ouvrage de J.-J. Chevallier cité dans les sources, p. 37 et s.). L’Assemblée Législative quant à elle, multiplie les violations de la Constitution, et notamment, ne respecte pas le droit de veto royal.

 

Cette situation n’était pas viable, et dès les 20 et 21 juin 1791 (fuite de Louis XVI finalement stoppée à Varennes), l’idée de la République et la méfiance envers le Roi sont plus fortes que jamais. Le Roi est déchu et la République proclamée le 21 septembre 1792.

 

B         La fonction de chef d’Etat discrédité sous l’Empire et la Restauration

 

A partir de cet instant, les régimes français vont osciller entre plusieurs formes parfois atypiques, souvent opposées. Plusieurs auteurs tentent de trouver une logique dans la succession des régimes (Marcel Prélot, Maurice Hauriou), souvent avec force. Les révolutionnaires ne voudront jamais retenter l’expérience d’un chef d’Etat, par peur du despotisme, notamment après l’épisode tragique de Robespierre. De manière générale, jusqu’en 1962, chaque fois que la question d’un chef d’Etat avec des pouvoirs substantiels surgit dans les débats, le spectre de la monarchie absolue  ou du despotisme plane.

 

Jusqu’en 1848, les chefs d’Etat français vont contribuer à bâtir une symbolique complexe du guide de la nation : Bonaparte puis Napoléon, Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe. Le premier accède illégalement au pouvoir, et laissera un sentiment très ambigu, à la fois tyran et réformateur. Le deuxième est modéré, alliant la tradition royale et l’héritage révolutionnaire, gouvernant intelligemment et plutôt en retrait. Le troisième, plus abrupt, voudra restaurer un Roi fort, et causera la fin de la Restauration proprement dite. Louis-Philippe, sous la Monarchie de juillet, permettra l’instauration progressive du régime parlementaire en France.

 

Avec la fin de la Monarchie de juillet, c’est une nouvelle période qui commence pour l’histoire constitutionnelle. La Seconde République est le premier régime républicain et démocratique à instaurer un chef d’Etat élu au suffrage universel direct. Ironie de l’histoire, mais fort logique au demeurant, c’est Louis-Napoléon Bonaparte, qui, élu immédiatement au premier tour de suffrage avec 74,33% des suffrages exprimés, devient le premier président de la République française. Le seul jamais élu au premier tour. Et quatre ans plus tard, il fomentera un coup d’Etat. Le Second Empire débute et s’achèvera dans la ruine.

 

Dès lors, les régimes français connaitront toujours un chef d’Etat, qui sera par ailleurs un président de la République. Mais cette charge n’a rien à voir avec celle de la Ve République : élu par le Parlement au prix de nombreux compromis, il est souvent un personnage consensuel et donc, de peu d’envergure. Et dans le cas contraire, il n’a pas la légitimité suffisante pour s’opposer aux parlementaires.

 

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II         Présidence de la République et légitimité

 

A         Le président amputé : les IIIe et IVe Républiques

 

Rien d’étonnant à ce que l’éventualité d’un président de la République devienne ensuite une difficulté majeure des débats constitutionnels français. Sous la IIIe République, régime adopté en 1875 par une assemblée royaliste pour dissimuler sa volonté de revenir à la monarchie, le président de la République, détient des pouvoirs conséquents dont la dissolution.

 

Les royalistes sont majoritaires à la Chambre des députés. Mais divisés sur la question du prétendant au trône de France entre légitimistes et orléanistes, ils décident de fonder une République de façade, aisément révisable (la Constitution de 1875 est souple, c’est-à-dire qu’elle peut être révisée par une loi ordinaire). Ils fixent un mandat de sept ans, et nomment Mac-Mahon, royaliste, président de la République. Plus tard quand la question de la succession sera réglée, il suffira de modifier quelques dispositions de la Constitution pour la transformer en monarchie.

 

Mais en 1877, des différends opposent Mac Mahon à l’Assemblée. C’est la crise du 16 mai. Mac Mahon dissout et les républicains deviennent le parti majoritaire à la Chambre. Selon le fin mot de Gambetta, il devra « se soumettre ou se démettre ». Refusant de signer plusieurs décrets des républicains visant à épurer l’armée des  officiers royalistes, il décide de se démettre. Son successeur, Jules Grevy, déclare en 1879 que plus jamais il n’usera des pouvoirs présidentiels contre la Chambre des députés. C’est la fameuse Constitution Grevy, qui gouvernera ensuite toute la IIIe République : le président ne peut plus dissoudre la Chambre, entraînant ainsi une domination sans partage des parlementaires.

 

Jusqu’en 1965, le président de la République sera élu par l’assemblée populaire (Chambre des députés ou Assemblée nationale, ou encore collège élargi pour les premiers temps de la Ve République). Une façon pour le pouvoir législatif de contrôler le chef de l’Etat, et de pouvoir empêcher toute velléité de coup d’Etat. Le président devient ainsi un personnage en retrait de la vie politique. La situation se confirme sous la IVe République. Cantonné aux cérémonies nationales, il se contente « d’inaugurer les chrysanthèmes », célèbre phrase prononcée en 1965 par de Gaulle pour justifier les nouveaux pouvoirs du président. Le Premier ministre étant lui aussi issu du Parlement, c’est ce dernier qui contrôle la vie politique. Et malheureusement, puisqu’il n’est pas possible de réunir une majorité stable dans les assemblées (parfois à cause du mode de scrutin, souvent à cause de l’éparpillement et de l’indiscipline des partis politiques), les gouvernements sont continuellement mis en minorité. La IIIe et la IVe République sont des régimes d’assemblée. Ainsi, sous la IIIe République, un gouvernement durait en moyenne 9 mois (85 gouvernements en 65 ans) et sous la IVe République 6 mois et demie (21 gouvernements en 11 ans).

 

B         La Constitution du 4 octobre 1958 et la révision de 1962

 

Sans pouvoirs véritables, sans dissolution, le président de la République ne peut être l’arbitre des conflits nationaux. Le chef du gouvernement et le chef d’Etat sont tous deux dominés par l’Assemblée.

 

En 1958, cette situation se modifie sensiblement. Le président de la République recouvre des pouvoirs très importants, dont la dissolution (voir infra).

 

Mais c’est la révision constitutionnelle de 1962 qui va modifier en profondeur les institutions. Cette réforme est illégale, car de Gaulle, se doutant qu’il rencontrerait de nombreuses oppositions à son projet d’élection du président de la République au suffrage universel (fort logiquement, voir supra) décide d’utiliser l’article 11. Cet article lui permet d’organiser un référendum législatif (donc impropre à réviser la constitution) en se passant d’un débat à l’Assemblée. Il savait en effet que les communistes seraient opposés à son projet. Pour éviter de les consulter, il détourne une mention de l’article 11. Il est possible pour le président d’organiser un référendum législatif sur l’organisation des pouvoirs publics. Selon de Gaulle, une constitution a pour but unique d’organiser les pouvoirs publics, et il a donc toute légitimité pour réviser la Constitution par l’article 11. Bien évidemment, l’article permettant normalement de réviser la Constitution est l’article 89, et c’est la seule modalité légale de révision.

 

Alinéa 1 de l’article 11 de la Constitution de 1958, rédaction d’origine : « Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, comportant approbation d’un accord de la Communauté ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ».

 

L’année politique avait déjà été particulièrement agitée : troubles en Algérie, attentat du Petit-Clamart, arrêt du Conseil d’Etat « Rubin de Servens ». De Gaulle annonce le 30 septembre sa volonté de réviser (illégalement) la Constitution. L’Assemblée nationale réagit en votant une motion de censure contre le gouvernement Pompidou le 4 octobre 1962. Le président de la République décide alors de dissoudre l’Assemblée nationale le 9 octobre. Les élections qui suivirent sont un triomphe pour le général : son parti obtient 51% des voix à l’Assemblée.

 

C         Une nouvelle légitimité du président de la République

 

Il est communément admis que le fait majoritaire qui caractérise la Ve République (c’est-à-dire le maintien d’une majorité forte au sein de l’Assemblée) est une conséquence de l’élection du président de la République au suffrage universel.

 

En réalité, dès 1962, la majorité existe en faveur du président suite à sa dissolution. Il n’est en revanche pas douteux que la révision de la Constitution ait pérennisé le fait majoritaire. En effet, la vie politique est désormais rythmée par l’élection présidentielle. Le fait que deux candidats soient présents au second tour cristallise l’opinion autour de deux grands partis politiques, favorisant ainsi leur présence alternée au sein de l’Assemblée.

 

Or, la Constitution de la Ve République se caractérise par sa forte rationalisation du parlementarisme (notion de Mirkine-Guetzévitch). Ceci signifiant que des dispositifs constitutionnels sont mis en œuvre pour limiter les problèmes liés au régime parlementaire. En clair, des limitations sont imposées au pouvoir législatif afin d’assurer l’autorité du pouvoir exécutif. Mais cette configuration est censée permettre au gouvernement de discipliner une assemblée récalcitrante, clairsemée. Avec le fait majoritaire, l’Assemblée nationale est toujours respectueuse du gouvernement. Ces procédures de rationalisation sont donc devenues des moyens de gouvernement pour le pouvoir exécutif.

 

Cet état de fait est assez classique dans les régimes parlementaires européens. Le fait majoritaire allié à la discipline des partis politiques entraîne une prépondérance du gouvernement. Celui-ci a tendance à contrôler pouvoirs exécutif et législatif, tandis que le Parlement délaisse quelque peu sa fonction de législation pour basculer vers une fonction de contrôle.

 

Ainsi, ce changement de statut du pouvoir exécutif, qui de la simple exécution des lois est devenu le principal organe d’impulsion politique, profite au chef de l’Etat, plutôt qu’au chef du gouvernement. En Europe, l’ensemble des chefs de gouvernement sont devenus les chefs de l’exécutif. En France, c’est le chef de l’Etat qui est devenu le chef de l’exécutif. La cause est double. D’une part, le président de la République bénéficie d’une coutume constitutionnelle bien ancrée, et d’autre part, il possède de nombreux pouvoirs et caractéristiques magnifiés par l’ascendant très important qu’il possède sur le gouvernement, et donc, le Parlement.

 

 

III       Le président de la République, premier organe de l’Etat

 

A         La lecture présidentialiste de la Constitution de 1958

 

Le général de Gaulle, dès 1958, a imprimé sa personnalité à la charge de président. Il a gouverné avec autorité, s’immisçant dans la politique gouvernementale. Il a donc outrepassé la fonction du président au sein de la Ve République : « Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État ».

 

D’arbitre, il est devenu le capitaine (d’autant qu’il préside le Conseil des ministres, article 9). Mais la personnalité du général de Gaulle n’est pas la seule explication de ce phénomène d’accentuation des pouvoirs du chef de l’Etat. Le fait que l’élection présidentielle se déroule désormais au suffrage universel a entraîné deux conséquences :

 

Le président de la République a la même légitimité que le Parlement. Il peut donc rivaliser avec l’Assemblée, ce qu’il ne pouvait faire quand il émanait directement d’elle. Il est devenu un chef de parti, puisqu’il doit fédérer les forces politiques autour de lui afin d’être élu. Enfin, les attributions du président de la République lui permettent de maintenir son influence sur les autres organes constitués.

 

B         Les principales causes de la prédominance du président de la République

 

  1. 1) La dissolution

 

La première caractéristique du président de la République est le droit de dissolution (article 12). 

 

« Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale […] Il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l’année qui suit ces élections ».

 

L’erreur est souvent faite de croire que tout régime parlementaire suppose une possibilité de destruction réciproque des pouvoirs législatif et exécutif (autrement dit, des mécanismes de censure et de dissolution). Le seul critère de définition du régime parlementaire, c’est que le gouvernement soit responsable devant le Parlement. La dissolution du Parlement ne définit pas le régime parlementaire, elle est superfétatoire.

 

La dissolution a été utilisée cinq fois depuis 1958, et il est possible de les classer en deux catégories.

 

Les dissolutions de convenance. En 1981, puis en 1988, François Mitterrand est élu président de la République en présence d’une Assemblée nationale de droite. Dans une logique purement parlementaire, il dissout de l’assemblée afin d’offrir à son Premier ministre une majorité conforme à son programme politique. Cette pratique est tout à fait logique : le peuple a donné un mandat politique au président. Celui-ci a plus de légitimité que l’Assemblée en place depuis plusieurs années, et afin de respecter la volonté populaire, doit permettre l’élection d’une assemblée conformes aux exigences nouvelles exigences. Par effet d’entraînement, on peut considérer que le peuple va voter à nouveau en masse pour le président fraichement élu. Ici encore, nous voyons bien que le président de la République est un véritable chef de parti.

 

Les dissolutions de combat, ou de résolution de crise. Ici, un désaccord intervient entre l’Assemblée et le président. Dès lors, pour sortir de la crise et discipliner l’Assemblée, le président dissout. C’est le Général de Gaulle qui, en 1962 et 1968, dans les circonstances que l’on sait, a employé ces techniques.

 

Il s’agira d’étudier à part la dissolution ratée de 1997 qui aurait pu être un tournant de notre régime politique. Lors de la campagne présidentielle de 1995, le président Jacques Chirac assure qu’il ne dissoudra pas l’Assemblée issue des urnes en 1993 s’il accède au pouvoir. Il tient sa promesse en 1995. Mais en 1997, l’idée semble judicieuse de dissoudre l’assemblée. En effet, cela entraînerait une concomitance des élections législative et présidentielle en 2002, et les sondages semblaient donner la droite gagnante en 1997. Juridiquement, on remarque bien qu’il s’agit d’une dissolution de convenance. Aucune crise politique ne supposait la dissolution de l’Assemblée. Mais justement, le mécanisme classique de la prévention des conflits, marque de la dissolution de convenance, manque ici, puisque le président et le Premier ministre pouvaient gouverner en 1997. Cette dissolution sera donc mal comprise, mal vécue, et entraînera la sanction immédiate des suffrages : une cohabitation longue, jusqu’en 2002. Le président de la République a lourdement pâti, jusqu’en 2007 tout du moins, de cette erreur. Les conséquences n’étaient certes pas prévues par le texte constitutionnel, qui lui laissait toute latitude pour dissoudre ou non.

 

  1. 2) La perpétuation de la lecture présidentialiste de la Constitution : le quinquennat

 

Ces calculs politiques visant à favoriser le fait majoritaire au profit du président de la République ont eu d’autres conséquences. L’article 6 de la Constitution a été révisé en faveur du quinquennat : « Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct ».

 

L’objectif de la réforme est clair : la Constitution de 1958 offre une double lecture. Soit le président et l’Assemblée sont de la même couleur politique, et en ce cas, le chef de l’Etat est aussi le chef de l’exécutif. Soit le président doit faire face à une majorité d’opposition. Dans ce cas, le Premier ministre, conformément à l’essence du régime parlementaire, doit être issu du parti majoritaire. Celui-ci devient donc le chef de l’exécutif, en lieu et place du chef de l’Etat. Ce dernier perd alors le bénéfice des coutumes constitutionnelles établies depuis le général de Gaulle, et retourne (toutes proportions gardées) au rôle d’arbitre prévu par la Constitution. Ce sont les cohabitations de 1986-1988, 1993-1995, et 1997-2002.

 

Malgré l’assentiment populaire en faveur de la cohabitation, les hommes politiques considèrent la cohabitation comme dangereuse pour le régime. Quand le président Jacques Chirac dissout l’Assemblée en 1997, le hasard des calendriers fait que les élections présidentielle et législatives se dérouleront toutes deux en 2002 (les députés seront élus quelques semaines avant le président). En ramenant le mandat présidentiel à cinq ans, on s’assure que cette concomitance perdurera. Il suffit d’inverser le calendrier et le mécanisme peut se dérouler. Le président est élu quelques semaines avant les députés. On espère que l’élection du président entraînera, à peine un ou deux mois plus tard, un effet d’entraînement des élections législatives. Le but est que la cohabitation disparaisse : le parti majoritaire à l’Assemblée sera très logiquement le même que celui du président. Deux inconvénients cependant :

–          Cela oblige le président de la République à ne plus dissoudre l’Assemblée nationale. Car en cas de dissolution, tout le calendrier est bouleversé, et peut entraîner une très fâcheuse situation, avec des mandats courts de cohabitation ou de majorité présidentielle.

–          Rien n’indique qu’en cas de situation particulière, l’intervalle entre les deux élections ne permette pas au peuple de voter dans les mêmes termes pour l’élection présidentielle et pour les élections législatives.

 

  1. 3) L’irresponsabilité du président de la République

 

Le président de la République est irresponsable. Aucun mécanisme ne permet de le destituer politiquement. La raison est simple : le président est le chef de l’Etat, il assure la continuité de ce dernier, et symbolise l’unité de la nation. Pouvoir le destituer entraînerait des instabilités fâcheuses pour le pays. De plus, le président de 1958 est élu par un collège élargi, majoritairement parlementaire, aussi, sa responsabilité n’a pas besoin d’être recherchée : il est un simple arbitre, soumis de facto à l’Assemblée. Depuis 1962, et avec toutes les causes que l’on sait, le président est le véritable pilote de la politique gouvernementale. Le cas de la responsabilité pose donc problème.

 

Classiquement, le régime parlementaire organise la responsabilité de l’exécutif à travers la mise en jeu de la responsabilité ministérielle (articles 49 et 50 de la Constitution). Pour pallier les instabilités ministérielles des républiques précédentes, la Constitution de 1958 fait en sorte que la motion de censure (mise en jeu de la responsabilité ministérielle à l’initiative du Parlement) soit très compliquée à mettre en œuvre. Parallèlement, la question de confiance (mise en jeu de la responsabilité ministérielle à l’initiative du Premier ministre lui-même) est fortement encadrée. De manière surabondante, le fait majoritaire neutralise le mécanisme de la motion de censure : le parti d’opposition ne peut jamais réunir assez de voix pour permettre d’atteindre la majorité qualifiée requise afin de renverser le gouvernement.

 

Ainsi, dans tout régime parlementaire, la mise en jeu de la responsabilité du gouvernement est rendue complexe par le fait majoritaire et la discipline des partis. En France, ce phénomène est d’autant plus prégnant que le véritable chef de l’exécutif n’est même pas le Premier ministre, mais le président de la République, qui est irresponsable. D’ailleurs, l’article 8 donne une grande latitude de choix au président de la République en ce qui concerne le Premier ministre : « Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement ». Comme dans tout régime parlementaire, une convention de la Constitution indique que le Premier ministre doit être choisi parmi le parti politique majoritaire à l’Assemblée. En revanche, la France est l’un des seuls régimes parlementaires à être toujours dualiste : le président de la République peut révoquer le Premier ministre. Ce n’est pas stipulé dans l’article (ni défendu), mais cela résulte d’une pratique initiée par le général de Gaulle. Le gouvernement est donc doublement responsable : devant le président et l’Assemblée (d’où le terme de « dualiste »).

 

Il faut enfin remarquer que le chef de l’Etat est toujours irresponsable dans les régimes parlementaires classiques. Mais ses actes sont contresignés, afin que le gouvernement endosse la responsabilité à sa place. En France, plusieurs pouvoirs du chef de l’Etat sont dispensés de contreseing, et jouissent donc d’une immunité complète : « Les actes du Président de la République autres que ceux prévus aux articles 8 (1er alinéa), 11, 12, 16, 18, 54, 56 et 61 sont contresignés par le Premier ministre et, le cas échéant, par les ministres responsables » (article 19 de la Constitution).

 

Dès lors, une telle situation politique peu se trouver résolue par un détournement de la responsabilité pénale : on met en jeu la responsabilité pénale du chef de l’Etat, alors que le but est en réalité politique : sa destitution, et non la punition d’un acte répréhensible. « Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour » (article 68 al 1 de la Constitution). Cet article a été profondément remanié depuis 1958, et n’a jamais été mis en œuvre. Il pose énormément de problèmes, notamment la question de la définition de l’infraction : qu’est ce qu’un manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de ses fonctions ? L’article 67 précisant le statut pénal du président pose également de nombreux problèmes (nous l’avons vu au cours du mandat du président Nicolas Sarkozy, notamment dans l’affaire Clearstream ou au cours de son divorce). Ici, de nombreux problèmes restent à régler.

 

 

Conclusion

 

Le président de la République est véritablement l’homme fort du régime. La révision du 23 juillet 288 a profondément remanié les institutions de la Ve République, notamment en rehaussant de nombreux pouvoirs du Parlement.

 

Il recouvre notamment une gestion partielle de son ordre du jour, auparavant fixé par l’exécutif. Son travail en commission devient le centre de la procédure législative, dont il contrôle plus facilement les débats.

 

En revanche, le président de la République fait l’objet de peu de réformes. Son mandat est limité à deux successifs (article 6 de la Constitution). Les nominations effectuées par le président sont désormais pour une partie soumises à des commissions parlementaires (article 13 de la Constitution). Le droit de grâce est désormais possible uniquement à titre individuel (article 17 de la Constitution). Et surtout, les média ont fortement relayé le droit de message au parlement réuni en Congrès (article 18 de la Constitution), qui au final a bien peu d’impacts. Finalement, la mesure la plus importante démocratiquement semble bien être la réforme (timorée) de l’article 16 de la Constitution.

 

Malheureusement, rien n’a été fait pour résoudre une fois pour toutes le problème de la Ve République : la relation entre le Premier ministre et le président de la République. En effet, soit l’on reconnait effectivement que le Premier ministre doit être le centre d’impulsion de la politique gouvernementale (articles 20 et 21 de la Constitution) soit l’on assume définitivement que le chef de l’Etat est le véritable chef de l’exécutif (conformément à la pratique actuelle du régime hors cohabitations, que l’on a provisoirement supprimées).

 

Le Comité Balladur avait d’ailleurs à cœur de régler le problème : « La clarification des responsabilités au sein du pouvoir exécutif suppose une définition aussi nette que possible des rôles respectifs du Président de la République et du Gouvernement, dirigé par le Premier ministre. Celle-ci est en débat depuis de longues années. La pratique actuelle, confortée par la mise en vigueur du quinquennat et la synchronisation du calendrier  entre les élections présidentielles et législatives, paraît la rendre plus nécessaire encore » (rapport du Comité Balladur pour la réforme des institutions, p. 10).

 

En attendant, le président de la République reste l’organe qui rythme la vie politique, au grès de ses réalisations ou des polémiques que la charge ne peut manquer de causer. Depuis 2005 plus que jamais, l’amour (ou le désamour) dure cinq ans.

 

 

Antoine Faye

Doctorant contractuel à Panthéon-Assas Paris II

 

 

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