Dans un contexte de tension sociale où la religion semble prendre une place de plus en plus importante dans le débat public, la question de la laïcité au sein des établissements publics de santé mérite d’être posée.
L’encadrement de la liberté religieuse au nom du principe de laïcité
Principe directeur de la République figurant à l’article premier de la Constitution, la laïcité n’est ni une opinion, ni une conviction mais la garantie pour tout un chacun de croire ou de ne pas croire et d’exercer librement sa religion.
La laïcité s’entend de deux aspects essentiels. Il rappelle d’une part, le droit pour les patients hospitalisés de laisser libre court à leurs convictions religieuses. Il impose d’autre part, le devoir de tout agent de respecter le principe de neutralité des services publics.
Toute personne soignée dans un établissement public de santé bénéficie d’une égalité de traitement dans sa prise en charge. En effet, aux termes de l’article L. 6112-1 du Code de la santé publique (CSP), « Le service public hospitalier exerce l’ensemble des missions dévolues aux établissements de santé […] dans le respect des principes d’égalité d’accès et de prise en charge, de continuité, d’adaptation et de neutralité ». De ce fait, l’appartenance ou la non appartenance à une religion déterminée ne peut avoir pour conséquence de créer une discrimination à l’encontre d’un patient. Ainsi en serait-il, par exemple, d’un refus de soin. Un tel acte serait fort heureusement de nature à tomber sous le coup de la loi pénale[1].
La liberté religieuse dont dispose chaque individu suppose de pouvoir exercer librement sa religion. Au sein d’un établissement public de santé, ce droit ne disparaît pas. Bien au contraire, le patient est libre de manifester sa religion et ses convictions dans des espaces dédiés ou privés (par exemple, au sein de la chambre où réside le patient pendant la durée de son séjour). Dans ces circonstances, l’hôpital s’efforce de « pouvoir dans la mesure du possible, suivre les préceptes de la religion du patient[2] » et de permettre l’expression des convictions religieuses. Pour cela, un référent laïcité est mis à la disposition des usagers concernant d’éventuelles questions relatives à la mise en œuvre de la laïcité et de la gestion du fait religieux à l’hôpital. Par ailleurs, des aumôniers peuvent assurer des interventions à la demande des patients ou célébrer le culte de leur confession. Ils apportent également leur concours à l’équipe soignante qui en fait la demande et précisent les implications que peuvent avoir certains actes sur la religion d’un patient[3].
Si la liberté religieuse est garantie pour les patients, hospitalisés dans des établissements publics de santé, le principe de laïcité suppose d’en encadrer l’exercice. La liberté des uns s’arrêtant là où commence celle des autres, exercer sa religion à l’hôpital nécessite de ne pas entraver les règles du bon fonctionnement du service.
Une débâcle jurisprudentielle a eu lieu au début des années 2000 quant à la question de savoir si des convictions religieuses peuvent permettre de refuser des soins. De telles questions se sont notamment inscrites dans des affaires médiatisées concernant des témoins de Jehova dans le cadre des transfusions sanguines et ont abouti à une réponse négative. En effet, « compte tenu de la situation extrême dans laquelle S. se trouvait, les médecins qui le soignaient ont choisi, dans le seul but de tenter de le sauver, d’accomplir un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état ; que dans ces conditions, et quelle que fût par ailleurs leur obligation de respecter sa volonté fondée sur ses convictions religieuses, ils n’ont pas commis de faute de nature à engager la responsabilité de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris[4] ».
Ces diverses décisions jurisprudentielles ont toutefois été rendues avant la mise en œuvre de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des patients[5] Depuis lors, il n’est pas certain que de telles décisions puissent être encore prononcées. Le principe du consentement libre et éclairé étant désormais un principe fondamental en droit médical dont il découle la possibilité pour le patient de refuser des soins[6].
Un principe de laïcité impliquant un devoir de neutralité
Le principe de laïcité suppose la neutralité du service public et des praticiens hospitaliers. Toutefois, en vertu de leur liberté de conscience, les praticiens disposent de la possibilité d’invoquer une clause de conscience lorsque certains actes seraient de nature à heurter leurs convictions personnelles.
Ainsi, le Code de la santé publique (CSP) dispose qu’« un médecin n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse mais il doit informer, sans délai, l’intéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention[7]».
Le patient en est immédiatement informé par le médecin de son intention de ne pas pratiquer l’acte et reçoit de ce dernier les coordonnées d’un autre professionnel en mesure de réaliser l’acte demandé (sous réserve évidemment que cela soit conforme aux dispositions légales et règlementaires. Il n’en est pas ainsi des demandes de certificats de virginité, ou d’excision[8] par exemple qui ne peuvent être pratiquée impunément).
Le pendant de la laïcité à l’hôpital est l’obligation de neutralité des agents du service public hospitalier. Le 3 mai 2000, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de rendre un avis concernant la notion de neutralité. Cela a été l’occasion d’affirmer que la neutralité des agents du service public, implique l’interdiction pour tout agent de « manifester, dans l’exercice de ses fonctions, ses croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion[9] ». Cette obligation ne concerne pas seulement les professionnels de santé mais également les étudiants en stage au sein de l’établissement public de santé.
Tout manquement à l’obligation de neutralité du personnel administratif et soignant de l’hôpital est constitutif d’une faute susceptible de faire l’objet d’une sanction. A ce titre, une récente décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme mérite d’être évoquée. Celle-ci rappelle que le non renouvellement d’un contrat de travail d’un agent qui refusait d’ôter le voile islamique est conforme à la convention[10].
Les faits sont les suivants : une assistante sociale de confession musulmane, engagée dans le cadre d’un contrat à durée déterminée, portait le voile islamique sur son lieu de travail (à savoir un centre hospitalier). Au terme de son contrat, le directeur des ressources humaines l’informe qu’il ne sera pas renouvelé en raison de son refus de retirer son voile et de plusieurs plaintes de patients. Cette décision est prise au regard de l’avis du Conseil d’Etat du 3 mai 2000 (voir supra). Dès lors, le port du voile marquant son appartenance religieuse est contraire à l’obligation de neutralité du service public.
Dans cet arrêt la CEDH affirme que l’ingérence dans le droit à manifester librement sa religion est justifiée par le but légitime de protection des droits et libertés d’autrui et ne constitue pas une violation de l’article 9 de la convention, relatif à la liberté de penser, de conscience et de religion. En ce sens, « les autorités nationales n’ont pas outrepassé leur marge d’appréciation en constatant l’absence de conciliation possible entre les convictions religieuses de la requérante et l’obligation de ne pas les manifester, et en faisant primer l’exigence de neutralité́ et d’impartialité́ du service public ».
Pour aller plus loin :
La question du fait religieux dans les établissements publics de santé étant une question délicate, plusieurs guides ont été publiés afin de donner une meilleure compréhension de ce qu’implique la laïcité à l’hôpital. A ce titre, nous pouvons faire référence au guide sur la Laïcité et la gestion du fait religieux dans les établissements publics de santé publié le 23 février 2016 par l’Observatoire de la laïcité ou encore au guide élaboré par le Conseil de l’Ordre des médecins de Haute-Garonne qui énonce les points de vue des différentes religions sur des thématiques précises que peuvent rencontrer les équipes de soins.
[1] Article 225-1 du code pénal.
[2] Circulaire DGS/DH/95N° 22 du 6 mai 1995 relative au droit des patients hospitalisés et comportant la charte du patient hospitalisé.
[3] Charte des aumôneries du 5 septembre 2001.
[5] Loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
[6] Article L.1111-4 du code de la santé publique.
[7] Article L. 2212-8 du code de la santé publique.
[8] Sans être réprimé spécifiquement par le code pénal, l’excision est un acte qui se rattache à l’article 222-9 du code pénal concernant les violences ayant entrainé une mutilation ou une infirmité permanente.
[9] Ce, Avis, 3 mai 2000, n° 217017, Mlle Marteaux.
[10] CEDH, 26 novembre 2015, n° 64846/11. Ebrahimian contre France.