En 2012, après 47 années d’existence à supporter les coups de son compagnon, Jacqueline Sauvage commet l’irréparable.
Ce jour-là, après avoir pris d’importantes doses de somnifère, elle va se coucher. Norbert Marot défonce la porte et la frappe si violemment qu’il brise la chaine en or de la sexagénaire. Très peu de temps après, alors que le conflit s’est éteint, elle se saisit d’un fusil se trouvant dans la chambre, « il [la victime] était en bas sur la terrasse, assis, de dos. Je me suis approchée, j’ai tiré, tiré, tiré, en fermant les yeux. J’ai hésité, pour le troisième tir.» Le 3 décembre 2015, Jacqueline est condamnée à une peine de 10 ans d’emprisonnement par la Cour d’appel de Blois qui ne retient pas la légitime défense plaidée par l’avocat de la défense.
Dans un premier temps, l’article tendra à exposer les raisons qui ont conduit les jurés à ne pas retenir le moyen de la légitime défense. Cette dernière était en effet invoquée par l’accusée, soutenue par de nombreuses associations d’aide aux femmes victimes de violences conjugales.
Un homicide volontaire
D’une part, la légitime défense est fondée sur l’idée que les autorités de police ayant été défaillantes, il appartient à toute personne en péril de se défendre pour pallier cette carence. Or, durant toutes ces années Jacqueline Sauvage ne s’est jamais rendue à la police et c’est ce que semble lui reprocher la juge : L’accusée se serait-t-elle fait justice elle-même ?
Dans le Code pénal, l’article 122-5, alinéa 1er, dispose que : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte. »
D’autre part, l’appréciation du caractère nécessaire et proportionné de la riposte appartient souverainement aux juges du fond. On peut illustrer cela avec l’exemple fictif du commerçant tuant un enfant venant de lui voler des bonbons.
Quant à la question de la preuve de la légitime défense, le principe est que la charge de la preuve incombe à la partie poursuivie. Celui qui invoque le bénéfice de la légitime défense doit ainsi démontrer les conditions d’existence de celle-ci.
Cependant, le non-respect du second critère fait de Jacqueline Sauvage, une meurtrière. En effet, toujours selon le même article, la riposte doit être accomplie « dans le même temps » que l’atteinte. Il exige, par conséquent, une condition temporelle c’est-à-dire une unité de temps. D’autre part, l’alinéa 2 dudit article indique que la riposte doit intervenir pour « interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit ». Si l’agression a déjà produit ses effets, la riposte n’est donc pas justifiée. Enfin, bien que cela soit ce que contestent les partisans de Jacqueline Sauvage, le meurtre d’un homme est disproportionné vis-à-vis de ces 47 années de violences conjugales ; c’est en tout cas qu’ont affirmé les jurés et contre quoi, 453 972 citoyens se sont rassemblés par une pétition. Cette dernière visait à demander au président François Hollande le droit de grâce pour la sexagénaire.
La légitimité d’un meurtre commis en dépit des lois : la grâce prédidentielle du président Hollande
Une pétition est née, demandant la grâce présidentielle prévue à l’article 17 de la Constitution française. Si elle était accordée, cela pourrait réduire ou mettre fin à la peine.
Cette pétition est le fruit d’un besoin de justice et du sentiment d’injustice qu’ont pu ressentir de nombreux français, c’est le cas d’Alexandra Lange qui fut « sidérée » par le verdict. En 2012, elle avait été jugée pour avoir tué son mari d’un coup de couteau. Son procès avait mis en lumière des années de violences physiques et psychologiques qui peuvent être exercées au sein d’un couple. A l’époque, l’avocat général, Luc Frémiot, avait obtenu l’acquittement de l’accusée, après un réquisitoire invoquant clairement la légitime défense. «Une femme qui subit des violences est toujours en état de légitime défense », estime aujourd’hui Alexandra Lange.
«Le problème est que Jacqueline Sauvage a été jugée comme une meurtrière « comme les autres »», déclare l’association Solidarité Femmes, qui appelle à étudier la nature et l’application des peines des auteurs de violences, parfois condamnés à de simples amendes.
Norbert Marot, le mari de Jacqueline Sauvage était une figure du village où beaucoup le craignaient. A la barre, une voisine remercie Jacqueline Sauvage : « vous nous avez rendu service. On est tranquilles.» Ils étaient en vérité nombreux à savoir qu’il battait sa compagne et leurs enfants, et apprendront plus tard avec stupeur qu’il exerçait des violences sexuelles et violait régulièrement ses trois filles. Le jour du drame, leur fils ira jusqu’à se suicider, las des querelles incessantes.
« Fracassée pendant quarante-sept ans, psychologiquement et physiquement, elle présentait les syndromes post-traumatiques des femmes battues, a plaidé l’avocate de la défense, Me Tomasini : « Elle savait mieux que quiconque qu’il pouvait, ce soir-là, passer à l’acte et mettre à exécution les menaces de mort qu’il avait proférées toute sa vie. »
Malgré ces circonstances atténuantes, la légitime défense ne peut être invoquée et l’homicide volontaire est pleinement caractérisé. C’est pourquoi, Jacqueline Sauvage fut condamné en septembre 2012 à une peine d’emprisonnement de 10 ans ; Cela fut d’ailleurs confirmé par l’arrêt d’appel de décembre 2015. Les circonstances ont permis à la peine d’être atténuée, l’acquittement ayant été la reconnaissance d’une vie de souffrance. Les détracteurs de Jacqueline Sauvage clament que toutes ces années, elle avait eu la possibilité de quitter cet homme violent qui visiblement ne la respectait pas. Mais peut-on condamner une femme qui durant une vie et qui avant d’être une meurtrière fut une victime ?
Le 31 janvier, le président François Hollande a accordé la grâce partielle. « Le président de la République a voulu, face à une situation humaine exceptionnelle, rendre possible, dans les meilleurs délais, le retour de Mme Sauvage auprès de sa famille », a déclaré la présidence.
La condamnée bénéficie dès lors d’une « remise gracieuse de sa peine d’emprisonnement de 2 ans et 4 mois ainsi que de l’ensemble de la période de sûreté qu’il lui reste à accomplir. » Dès la mi-avril, il se pourrait que Madame Sauvage accède à la liberté conditionnelle.
Vito Ottaviano
Sources générales
– Pierre Benetti. « Jacqueline Sauvage : légitime défense », Libération, 22 décembre,
– Lucile Quillet, « 60.000 signatures pour sauver Jacqueline Sauvage, battue et violée par son mari ». Madame le Figaro, 10 décembre 2015
– ANAÏS CONDOMINES. « Elle tue son mari après 47 ans d’enfer conjugal : Jacqueline Sauvage rejugée en appel », Metronews, date de publication : 30-11-2015, date de mise à jour : 03-12-2015
– Auteur inconnu, « Une campagne pour obtenir la grâce de Jacqueline Sauvage, en prison pour avoir tué son mari violent », le Monde, date de publication : 23.12.2015, date de mise à jour: 23.12.2015