Par un arrêt du 5 Juillet 2010, le Conseil d’Etat revient sur les conditions à la fois de la légalité de la prise en charge d’une activité par une SEM, au titre d’activité principale mais également de son activité annexe. Le raisonnement du Conseil, basé sur la jurisprudence « Ordre des avocats au Barreau de Paris » le conduit à assouplir les conditions d’exercice de ces activités par ces sociétés d’économie mixte. Commentaire de l’arrêt CE, 5 Juillet 2010, Syndicat national des agences de voyage, 3ème et 8éme sous-sections réunies, req n°308564
« Sont exclues (…) toutes participations d’une commune dans le capital d’une société commerciale et de tout autre organisme à but lucratif (…) ». Ainsi le principe de non intervention des agents communaux, et par extension, de toute personne publique dans un marché concurrentiel, est posé par l’article 2253-1 du Code Général des Collectivités Territoriales.
Or, voilà maintenant près d’un siècle que l’administration française bénéficie de dérogations favorisant son immixtion dans le marché concurrentiel privé, dérogations acceptées depuis la création des Sociétés d’Economie Mixte Locales.
Alors que le législateur et la jurisprudence ne cessaient de conditionner strictement cette intrusion, les sages du Palais Royal semblent, depuis 2006[1], vouloir faire voler en éclat les barrières longtemps appliquées stricto sensu.
Dans l’arrêt du CE 5 juillet 2010[2], on assiste à l’affirmation d’une extension de l’opportunité de l’action des personnes publiques dans l’économie privée.
Il est vrai que depuis sa création en 1926 par les décrets-lois Poincaré, la Sem jouit d’un essor remarquable. En effet, elles ont à l’origine été créées dans un but de reconstruction de la Nation, conséquence de la 1ère GM, afin de pallier la carence des concessionnaires privés quant au nouvel aménagement du territoire. Fortes de ce succès, les personnes publiques, avec l’aide du législateur, n’ont cessé d’acquérir au fil du temps des parts de plus en plus importantes au sein des Sociétés commerciales. Jusqu’à en devenir obligatoirement le participant majoritaire 07.07.1983, dans le contexte des lois de décentralisation de 1982. Désormais, la collectivité locale doit détenir, au sein de la Société commerciale, un capital compris entre 51% et 85% (depuis la loi du 2 janvier 2002).
Dans le présent arrêt, la société d’économie mixte « Reims évènements », dont le capital est détenu à 65% par la commune de Reims, est gestionnaire du Centre des congrès de Reims. Ayant pour mission d’intérêt général de promouvoir le territoire rémois, « Reims évènements » a en charge l’organisation des séjours touristiques dans cette région.
Le 7 octobre 2002, le préfet de la Marne a offert à la Sem a la possibilité d’assurer des prestations liées à son activité principale, conformément aux dispositions de la loi du 13 juillet 1992 relative aux conditions d’exercice des organisations et vente de séjour touristiques.
Cet arrêt amène le conseil d’Etat à se prononcer sur :
– le champ de compétence de l’activité principal des Sem
– le champ de compétence de l’activité accessoire des Sem
I. L’extension du champ de compétence de l’activité principale des SEML
Revenons sur les conditions originelles de l’acceptation de l’intervention d’une personne publique dans un marché concurrentiel privé.
Tout d’abord, l’activité de la Sem doit présenter un intérêt général, cette condition est justifiée par le principe selon lequel l’action de l’agent public doit nécessairement être commandée par un intérêt public.
Nous assistons là d’ailleurs à une confusion pour ne pas dire un conflit d’intérêts captivant s’agissant des Sem, en effet, l’article L-2253-1 CGCT pose le principe que la personne publique ne peut intervenir dans l’économie privée. La justification est en effet légitime. C’est afin de prévenir les risques de conflits d’intérêt entre la personne publique qui doit agir en fonction de l’intérêt général et l’actionnaire d’une entreprise qui est guidé par la sauvegarde des intérêts de la société. La Sem constitue donc une dérogation, certes, mais admise depuis sa création du fait de cette condition qui laisse à penser que l’intérêt général obstrue du même coup l’intérêt de la société commerciale.
Depuis 1930 et l’arrêt du CE chambre syndicale du commerce en détail de Nevers[3], la jurisprudence a entendu limiter le développement des Sem en créant une condition supplémentaire, celle de la carence quantitative mais aussi qualitative (CE – ville de Nanterre – 20 novembre 1964[4] de l’initiative privée. Ce critère traditionnel fait l’objet d’une nouvelle interprétation avec l’arrêt Ordre des Avocats au Barreau de Paris de 2006 puisqu’il ne devient plus qu’un simple indice permettant aux juges de déceler la présence d’un intérêt général. En l’espèce, le Conseil d’Etat affirme que les personnes publiques « pour intervenir sur un marché, doivent, non seulement agir dans la limite de leurs compétences, mais également justifier d’un intérêt public, lequel peut résulter notamment de la carence de l’initiative privée ». La haute juridiction admet dès lors que la carence ou l’insuffisance de l’initiative privée ne constitue plus une condition sine qua non à l’intervention de la personne publique sur un marché.
Deux interprétations générales de l’appréciation de la présence d’un intérêt général ont donc été dégagées par la jurisprudence. L’interprétation de la jurisprudence Nevers a longtemps été appliquée en matière de Sem, comme le témoigne l’arrêt CE- Commune de Clairvaux d’Aveyron de 1994[5] dans lequel la vente de matériau de construction et d’entretien des routes ne constitue pas une activité d’intérêt local du fait de l’absence de carence. Cependant, l’arrêt « syndicat national des agences de voyage » de 2010 confirme la nouvelle interprétation résultant de l’arrêt « Ordre des avocats au barreau de Paris » de 2006, et l’applique en l’espèce étendant ainsi la non nécessité de la carence de l’initiative privée en matière de Sem.
Concernant cette nouvelle conception, ne peut on pas considérer que désormais, l’accès des Sem aux marchés concurrentiels privés se trouvera fortement élargi de manière à, une fois de plus, accepter une certaine ingérence des collectivités territoriales dans l’économie privée.
Le principe du non interventionnisme des personnes publiques dans un marché privé se trouve du coup fortement amputé. Alors que les juges apprécient de plus en plus largement la légitimité d’un Service Public Industriel et Commercial dans sa gestion par les Sem, il est possible de se demander si, désormais, une société d’économie mixte locale ne pourra pas plus couramment gérer un service public administratif alors même que le code général des collectivités territoriales ne le prévoit pas expressément. Effectivement, bien que le CGCT ne prévoit pas de manière aussi claire la gestion d’un SPA par une Sem que la gestion d’un SPIC, il est envisageable de se fonder sur le fait que le législateur prévoit que les Sem peuvent exploiter « toute autre activité d’intérêt général », ce qui inclut également un Service Public Administratif
C’est de plus, en se tournant vers la possibilité pour l’actionnaire public de cumuler deux activités, que l’arrêt syndicat national des agences de voyage en devient doublement intéressant.
II. Extension du domaine de l’activité complémentaire
Selon l’article L. 1521-1 CGCT : « lorsque l’objet de sociétés d’économie mixte locales inclut plusieurs activités, celles-ci doivent être complémentaires. », les Sem peuvent donc légalement pratiquer plusieurs activités.
Le CE rappelle dans le présent arrêt que les conditions d’exercice d’une activité autre que la principale sont les mêmes que les conditions régissant l’activité principale, à savoir une réponse à un intérêt public, désormais seule condition obligatoire, bien qu’une carence de l’initiative privée dans le domaine d’action de l’objet principal soit appréciée mais non nécessaire.
L’objet du scandale en l’espèce était le fait que la Sem « Reims évènements », propose aux congressistes de passage à Reims des prestations touristiques dans le cadre de son activité principale d’organisation de séjours.
En 1936, dans son arrêt syndicat des entrepreneurs de couverture contre Ville de bordeaux[6], le CE avait estimé que le complément d’activité devait obligatoirement être nécessaire à l’activité principale sous peine d’illégalité, refusant ainsi d’apprécier comme telle l’activité de vente d’appareils de chauffage aux abonnés de la Sem ayant pour mission de développer la consommation de gaz développée par elle.
Or, depuis l’arrêt du 5 Juillet 2010, la Haute juridiction semble proposer une nouvelle interprétation de la légalité de l’objet de l’activité complément en estimant que celui-ci doit seulement constituer un complément normal, et non plus nécessaire.
Il est d’ailleurs possible de constituer un parallèle avec les Etablissement publics concernant le principe de spécialité auquel sont soumis ces derniers. En effet, force est de constater qu’alors que ce principe de spécialité est strictement appliqué concernant les Etablissements publics, on assiste ici à une application fortement assouplie de ce principe, résultant de la non exigence pour l’objet cumulé de l’activité d’être « nécessairement complémentaire ».
Il résulte donc de tout ce qui précède que les conditions de l’intervention économique d’une personne publique dans un marché privé dégagées par le législateur sont l’objet d’une nouvelle interprétation par jurisprudence en faveur des collectivités territoriales souhaitant s’ingérer dans l’économie privée
Notes
[1] CE – 31 mai 2006 – « Ordre des avocats au barreau de Paris » – req. N° 275531
[2] CE – 5 juillet 2010 – « Syndicat national des agences de voyage » – req. N° 308564
[3] CE – 30 mai 1930 – « Chambre syndicale du Commerce en détail de Nevers » – req. N°06781
[4] CE – 20 novembre 1964 – « Ville de Nanterre »
[5] CE – 23 décembre 1994 – « Commune de Clairvaux d’Aveyron » – req. N°97449
[6] CE. Sect. – 29 mai 1936 – « Syndicat des entrepreneurs de couverture contre ville de Bordeaux – req. N° 38964 |