Malgré l’adage selon lequel « De non vigilantibus non curat praetor », le législateur s’efforce d’édicter des règles protectrices des personnes, notamment des plus vulnérables. Or, en matière de protection des personnes, la répression de l’infraction d’abus de faiblesse semble tout particulièrement nécessaire. Mais comment identifier un abus de faiblesse ? Quid du cas particulier de la dérive sectaire ? Et comment lutter efficacement contre l’abus de faiblesse ?
Comment identifier un abus de faiblesse ? (Les éléments constitutifs de l’infraction)
En droit pénal, il faut réunir les trois éléments suivants pour valablement constituer une infraction : un élément légal, un élément matériel et un élément moral.
• S’agissant de l’élément légal, l’article 223-15-2 du code pénal, en son alinéa 1, pose le principe de l’infraction d’abus de faiblesse ainsi que sa répression : « Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse soit d’un mineur, soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur, soit d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables. (…) »
On peut aussi noter que l’article L132-14 du code de la consommation réprime de la même façon l’abus de faiblesse en tant que pratique commerciale interdite.
L’élément légal découle du principe de légalité des délits et des peines que l’on appelle aussi le principe de légalité criminelle. Cesare Beccaria l’illustrait selon l’adage nul crime, nulle peine, sans loi. Précisons juste que, si le domaine de la loi couvre les crimes et les délits, celui du règlement couvre les contraventions.
Attention, ne pas confondre abus de faiblesse et abus de confiance. L’alerte n’est pas vaine car, si le nom est proche et la répression identique, ces deux infractions sont bien différentes. Tout d’abord, la saisine du juge par le ministère public étant « in rem » et non « in personam », le risque est de ne purement et simplement pas pouvoir obtenir gain de cause. Ensuite, ayant été débouté sur ce moyen erroné, l’avocat de l’auteur présumé pourrait utilement invoquer à l’encontre de la victime de l’abus de faiblesse soit un abus du droit d’ester en justice, soit une diffamation, soit les deux. Enfin, dans le cas où les conditions pour prétendre à l’aide juridictionnelle ne seraient pas remplies, et à défaut de prise en charge pro bono par l’avocat, ces procès à répétition pourraient s’avérer coûteux et chronophages.
En bref, l’élément légal de l’abus de faiblesse, c’est le fait d’une part, que l’infraction soit prévue par la loi, et d’autre part, que cette infraction comporte certaines qualités, à défaut desquelles les poursuites peuvent ne pas aboutir, que sont : la clarté, la précision, l’accessibilité, la prévisibilité et l’intelligibilité.
• S’agissant de l’élément matériel, il doit être apprécié in concreto et rejoindre l’élément légal.
Il faut tout d’abord démontrer que la victime a été conduite à un acte ou une abstention gravement préjudiciable à son propre intérêt ou à sa situation (exemple : préjudice financier, physique, psychologique). Il faut ensuite démontrer soit que la victime était mineure (exemple : mineur non émancipé), soit sa particulière vulnérabilité dès lors que celle-ci était apparente ou connue de l’auteur (exemple : personne âgée ou enceinte), soit son état de sujétion psychologique ou physique (exemple : personne en état de handicap mental ou sous traitement médicamenteux), au moment des faits.
L’élément matériel, c’est en quelque sorte l’extériorisation de la pensée criminelle dans un acte ou une abstention. On distingue les infractions de commission (comme c’est le cas ici), par la répression d’un acte positif, et les infractions d’omission, par la répression d’une abstention coupable.
La jurisprudence précise tout d’abord que « la constitution de l’infraction d’abus de faiblesse n’exige pas que le dommage se soit réalisé ». Ce qui porte à croire qu’il s’agit là d’une infraction seulement formelle et nous rappelle aussi que la simple tentative est déjà répréhensible en soi.
La jurisprudence précise encore que « l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse d’une personne vulnérable suppose que le prévenu ait obligé la victime à un acte ou une abstention préjudiciable ». Ce qui implique que le modus operandi de l’abus de faiblesse consiste en un acte positif pour son auteur présumé, poussant la victime à agir contre elle-même : soit par action, soit par omission.
La jurisprudence précise toujours que « l’abus de faiblesse doit être apprécié au regard de l’état de particulière vulnérabilité de la victime au moment où étaient accomplis les actes qui lui étaient gravement préjudiciables ». C’est à dire, que le prévenu ne pourrait pas utilement développer de moyen consistant à dire, qu’avant comme après la commission des faits, la victime avait toutes ses facultés.
En bref, l’élément matériel de l’abus de faiblesse, c’est le fait de profiter de l’ignorance ou de la faiblesse d’une personne soit mineure, soit en état de particulière vulnérabilité ou de sujétion, pour la conduire à un acte ou à une abstention gravement préjudiciable.
• S’agissant de l’élément moral, il doit caractériser l’intention dolosive.
Il faut ici démontrer la volonté dirigée vers un but illicite « l’In tendere » (exemple : vouloir profiter de la crédulité de la victime dans un but lucratif) et le chemin du crime « l’Iter criminis » (exemple : la soustraction frauduleuse d’une carte bancaire). C’est à dire, qu’il faut un commencement d’exécution qui, contrairement à un acte préparatoire, est univoque. Il faut aussi démontrer l’absence de désistement volontaire pré réalisation de l’infraction.
Précisons que, en principe, la conscience du caractère délictueux du comportement est toujours présumée puisque nul n’est censé ignorer la loi. C’est à dire, que l’intention est abstraite et qu’elle est toujours la même. C’est ce qui la différencie du mobile qui est subjectif et variable, d’où la règle de l’indifférence du mobile.
On précisera aussi que l’abus de faiblesse est une infraction intentionnelle. L’avocat de l’auteur présumé ne pourrait donc, en théorie, invoquer utilement une commission seulement volontaire, hors des cas particuliers d’irresponsabilité pénale.
Notons que la jurisprudence précise que « l’infraction d’abus de faiblesse n’est caractérisée qu’autant que la particulière vulnérabilité de la victime était apparente ou connue du prévenu ». Ce qui confirme que la charge de la preuve repose bien sur la victime, selon les règles du droit commun.
En bref, l’élément moral de l’abus de faiblesse, c’est l’intention de commettre l’infraction. Il ne faut pas se fier pas à son apparente simplicité, c’est souvent l’élément le plus difficile à prouver.
La jurisprudence a ensuite ajouté une utile précision quand au titulaire de l’action en justice, puisque « les proches de la victime qui ont personnellement souffert peuvent agir en justice également et ce, même si la victime ne s’estime pas lésée ». Ce qui permet, en principe, d’ouvrir une action en responsabilité civile comme pénale à l’égard du prévenu, sans concentrer exclusivement cette action sur la victime elle-même, ouvrant par là une action en justice aux victimes par ricochet.
La jurisprudence a également prévu le cas particulier, relativement fréquent, des personnes âgées, en énonçant que, « le fait pour une personne vulnérable de disposer de ses biens par testament en faveur de la personne l’ayant conduite à cette disposition constitue un acte gravement préjudiciable »
Quid du cas particulier de la dérive sectaire : une forme particulièrement grave d’abus de faiblesse, commis via l’emprise mentale ?
L’article 223-15-2 du code pénal, en son alinéa 2, prévoit en effet le cas de figure de la dérive sectaire, commise par un « dirigeant », aussi connu sous le terme populaire de « gourou » : « (…) Lorsque l’infraction est commise par le dirigeant de fait ou de droit d’un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 750 000 euros d’amende. »
Il faut ici observer que la dérive sectaire présente en soi une carence notionnelle car, en vertu du principe de laïcité, le législateur comme l’exécutif ne peuvent légalement définir ni une secte ni une religion.
Il faut ensuite observer que, selon la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires « MIVILUDES », la dérive sectaire peut être définie comme : « un dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion qui porte atteinte aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes, à l’ordre public, aux lois ou aux règlements. Elle se caractérise par la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, quelle que soit sa nature ou son activité, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société. »
Le faisceau d’indices suivant peut ainsi permettre de caractériser une dérive sectaire : « déstabilisation mentale, caractère exorbitant des exigences financières, rupture avec l’environnement d’origine, existence d’atteintes à l’intégrité physique, embrigadement des enfants, discours antisocial, troubles à l’ordre public, importance des démêlés judiciaires, éventuel détournement des circuits économiques traditionnels, tentatives d’infiltration des pouvoirs publics ».
Notons toutefois que, si le législateur comme l’exécutif ne peuvent définir la religion ou la secte, la jurisprudence s’y essaye en énonçant que « un culte consiste à rendre hommage à une divinité selon certains rites » (CE 14 mai 1982 Association internationale pour la conscience de Krishna), et que « une religion serait la coïncidence de deux éléments : un élément objectif, l’existence d’une communauté, et un élément subjectif, une foi commune » (CA Lyon 28 juillet 1997).
Comment lutter efficacement contre l’abus de faiblesse ?
Le plus difficile consiste déjà à identifier l’abus de faiblesse en question, puisque, par définition, la victime potentielle n’est pas toujours consciente d’être victime. Elle pourra même, dans certains cas, refuser de voir la vérité en face, même avec preuve(s) à l’appui.
Une fois identifié(s) l’abus de faiblesse et/ou son auteur présumé, le plus urgent reste de séparer la victime de ce parasite afin de faire cesser l’infraction, puis de rapidement s’entourer des conseils d’un avocat.
Il ne faut jamais laisser seule la victime face à l’auteur présumé de l’abus de faiblesse.
S’agissant d’un mineur, celui-ci doit rester auprès de ses parents ou de ses tuteurs légaux. Sauf bien sûr, si l’auteur présumé de l’infraction est précisément l’un d’entre eux. S’agissant d’un majeur vulnérable, voire incapable, il doit être rapidement décelé et diagnostiqué comme tel. Il existe ainsi plusieurs mesures de protection juridique telles que : la sauvegarde de justice, la curatelle, la tutelle, le mandat de protection future et l’habilitation familiale.
Le cas échéant, ou si aucun membre de sa famille ne peut régulièrement s’assurer que la victime est à l’abri de l’auteur présumé de l’abus de faiblesse, il faut envisager de saisir :
– l’assistante sociale de la commune, aussi appelé « Centre Communal d’Action Sociale »
– le médecin ou le service médical compétent
– le juge des tutelles et/ou le juge pénal, en déposant plainte avec constitution de partie civile
En bref, pour lutter efficacement contre l’abus de faiblesse, il faut :
– faire cesser l’infraction : identifier l’auteur et en séparer la victime
– éviter la réitération de l’infraction : ne pas laisser la victime seule
– déposer plainte avec constitution de partie civile : prendre conseil auprès d’un avocat
Guillaume TOURRES