Alors que les Paradise papers ont fait la une de la presse généraliste récemment [1] et que le législateur européen entend réagir avec force contre l’optimisation fiscale agressive des multinationales [2], certains auteurs ont pu critiquer cette situation [3]. En effet, contrairement aux Panama Papers qui visaient des pratiques de fraude fiscale, les Paradise papers visent des pratiques d’optimisation fiscale. Qui sont a priori légales. En effet, la pratique de l’optimisation fiscale est admise tant par le Conseil d’Etat [4] que par le Conseil Constitutionnel [5].
Le juge constitutionnel va même plus loin en affirmant que « tout contribuable peut légitimement être amené à chercher à minorer sa charge fiscale et tout avocat fiscaliste cherche à minorer la charge fiscale de ses clients, sans que pour autant cette démarche soit constitutive de fraude » [6].
Cependant, il existe une limite à cette possibilité : l’abus de droit. Qualifiée de sanction pour les surdoués de la fiscalité par M. Cozian [7], l’abus de droit vise à sanctionner des « procédures juridiques artificielles » [8].
Les pratiques d’optimisation se fondent sur les divergences de législation (taux d’imposition, qualification juridique) afin de réduire le taux ou la base d’imposition. Dans ce contexte, les conventions fiscales internationales sont un vecteur puisqu’elles ont pour but originel de limiter la double imposition, mais aussi la double non imposition et de répartir les pouvoirs d’imposition.
L’abus de droit se fondant sur des dispositions internes, il trouve donc son relais dans le droit international à travers le treaty shopping (abus de traité). Bien que les schémas soient multiples, il existe classiquement deux types d’abus de traité [9]. Le premier est appelé conduit company (société relais) et consiste à interposer une société dans un Etat disposant d’une convention fiscale internationale avec l’Etat d’origine avant de délocaliser le résultat dans un Etat sans convention fiscale internationale. Dans le second cas, il s’agit du stepping stone devices (société tremplin), de nouveau il y a l’interposition d’une société mais il s’agira alors de modifier la nature des flux afin de bénéficier d’une double déduction.
Par conséquent, si, souvent les conventions fiscales bénéficient aux contribuables en leur évitant une double imposition, ces derniers peuvent être privés du bénéfice de la convention afin de prévenir un abus de droit (I). Cependant, la notion d’abus de droit variant selon qu’elle se trouve en droit interne ou conventionnel, le Conseil d’Etat procède à une articulation des normes (II).
I. De la possibilité pour le contribuable d’invoquer une convention fiscale internationale à l’abus dans son utilisation
Le contribuable, pour invoquer une convention fiscale internationale, doit remplir un certain nombre de conditions relatives tant à sa personne qu’aux revenus visés (A). Dès lors qu’il est en droit de l’invoquer, la question peut se poser de l’abus de droit dans son utilisation. Il s’agira alors de déterminer le fondement de l’abus de droit : droit interne ou droit conventionnel (B). Cette répartition des fondements aura une incidence importante puisque les conditions peuvent varier d’un droit à l’autre.
A) Les conditions d’invocabilité des dispositions d’une convention fiscale internationale
Afin que le contribuable puisse se prévaloir d’une convention fiscale internationale, il devra satisfaire à certaines conditions posées par le Conseil d’Etat (1). Une fois le bénéfice de la convention reconnu, le principe de subsidiarité des conventions internationales donnera lieu à un raisonnement dans l’application du traité (2).
1) Les éléments pris en compte pour invoquer une convention fiscale internationale
Afin de pouvoir invoquer les dispositions d’une convention fiscale internationale certaines conditions doivent être remplies par le contribuable. L’arrêt Aznavour [10] permet de revenir point par point sur les questions qui ont pu se poser.
Qualité de résident ? Selon l’article 1er du modèle OCDE [11], il faut être résident de l’un des deux Etats parties à la convention fiscale internationale afin de pouvoir invoquer celle-ci. Mais si la convention fiscale internationale ne reprend pas le modèle OCDE, il semble alors que la qualité de résident ne soit pas requise, si la convention fiscale internationale ne prévoit rien (dans ce sens voir les conclusions de Claire Landais dans l’Arrêt Aznavour [12] ). Bien que le Conseil d’Etat ne soit pas allé dans le sens de la Commissaire au Gouvernement dans l’arrêt Aznavour, la juridiction rejette l’application de la convention fiscale internationale sur un autre fondement [13]. Dès lors, hors stipulations de la convention, la qualité de résident ne sera pas requise.
Victime d’une double imposition ? L’objectif du modèle OCDE, et dans une plus large mesure des conventions fiscales internationales, est d’éviter la double imposition juridique internationale [14]. Toutefois, il n’est pas nécessaire d’être victime d’une double imposition juridique pour obtenir le bénéfice de la convention fiscale internationale. En effet, les conventions fiscales internationales ont également pour but de répartir les pouvoirs d’imposition entre les Etats parties. Ainsi, l’application de l’article 209 B du Code général des impôts à une société alors qu’une convention fiscale internationale donne un pouvoir d’imposition exclusif à l’autre Etat est contraire à la convention [15] [16]. En l’espèce, la Convention franco-suisse [17] s’oppose donc à l’application de l’article 209 B du Code général des impôts.
Invoquer une stipulation portant sur le revenu visé ? Les conventions fiscales internationales traitent article par article des différentes catégories de revenus. Dans sa décision Aznavour, le Conseil d’Etat pose comme condition pour invoquer une disposition de la convention fiscale internationale que celle-ci porte sur le revenu imposé. M. Aznavour, en l’espèce, invoquait l’article 6 de la Convention franco-britannique [18] relatif aux bénéfices industriels et commerciaux alors qu’il était imposé au titre des revenus artistiques, qui sont visés par un autre article. Dès lors, il ne peut pas se prévaloir de cette disposition de la convention fiscale.
2) Principe de subsidiarité des conventions fiscales internationales
Les traités ont une force supérieure aux lois (article 55 de la Constitution) de sorte que les impositions prévues par le droit interne doivent s’y conformer. Toutefois, le caractère subsidiaire impose que la convention fiscale internationale ne serve pas de base autonome à l’imposition [19] [20]. La convention fiscale internationale donne simplement le droit d’imposer, encore faut-il que le législateur national se soit saisi de cette faculté [21].
Le principe de subsidiarité va donc avoir un impact en cas de contestation d’une imposition. Le contribuable devra raisonner en deux étapes :
- Est ce que l’imposition est conforme à la loi fiscale nationale ? Il s’agit de qualifier l’imposition et ensuite de vérifier si elle a été valablement constituée au regard des dispositions de droit interne.
- Est ce que l’imposition est conforme à la convention fiscale internationale ? En fonction de la qualification opérée précédemment (en droit interne), il faut voir si la convention fiscale internationale fait obstacle à l’application de la disposition nationale à l’espèce.
C’est donc bien la qualification retenue en droit interne qui permet d’appliquer la convention. Ce principe est critiqué par la doctrine qui voudrait que le Conseil d’Etat infléchisse sa jurisprudence en limitant le principe de subsidiarité à la qualification d’abus de droit [22].
Dès lors que le contribuable peut valablement invoquer une convention fiscale internationale, pour faire obstacle à l’imposition de certains de ses revenus, la question va se poser pour l’administration fiscale de potentiellement invoquer l’abus de droit. Avec cette technique le contribuable « éligible » aux dispositions de la convention se trouvera privé de ses effets.
B) Le fondement de l’abus de droit en présence d’une convention fiscale internationale
Les approches des Etats sur le point du fondement de l’abus de droit ne sont pas uniformes (1), la France quant à elle retient une approche se fondant sur le principe de subsidiarité des conventions fiscales internationales (2).
1) Les fondements possibles de l’abus de droit
Le commentaire de l’article 1er du Modèle OCDE [23] distingue deux approches retenues classiquement par les Etats :
Première approche : Les impôts sont appliqués en vertu des dispositions nationales, sous réserve de certaines dispositions restrictives que comportent les conventions fiscales internationales. Donc, l’utilisation abusive d’une convention fiscale internationale constitue une utilisation abusive de la législation interne. Or, les dispositifs anti-évasion fiscale se rattachent aux dispositions fondamentales de la législation nationale et ne sont donc pas affectées par la convention fiscale internationale. Il n’y a donc pas de conflit entre la loi et la convention.
Seconde approche : L’Etat différencie l’abus de droit et l’abus de convention fiscale internationale. Dans ce cas, il faut se référer à la convention fiscale internationale pour voir si l’abus est sanctionné. Le fondement de ce raisonnement est l’interprétation de bonne foi des conventions internationales [24].
Bien que les deux approches divergent, leur point commun reste au demeurant la possibilité de sanctionner les abus des conventions fiscales internationales.
2) La solution retenue par la France : Le principe de subsidiarité
La France relève de la première approche sur le fondement du principe de subsidiarité des conventions fiscales internationales. Il s’agit donc de se fonder sur la théorie interne de l’abus de droit.
Un Avis du Conseil d’Etat du 31 mars 2009 [25] confirme cette position : « Ainsi, les conventions fiscales auxquelles la France est partie n’empêchent pas, dans la mesure où elles reprennent les stipulations de l’article 1er du modèle de convention, et sauf si des stipulations de la convention en cause ou des éléments relatifs au contexte ou au but dans lequel elle a été établie y font obstacle, l’application des dispositions de droit national relatives à la lutte contre la fraude à la loi et à la répression des abus de droit en matière fiscale, et permettent de remettre en cause, sous réserve que la fraude à la loi ou l’abus de droit puisse être établi, le droit d’un résident français à l’imputation d’un crédit d’impôt étranger ».
Le Conseil d’Etat distingue en réalité deux situations, toujours en se fondant sur le modèle OCDE :
Si aucune clause de la convention ne vise la situation abusive, alors la théorie nationale de l’abus de droit se suffit à elle même et l’abus n’a pas à se fonder sur la convention fiscale internationale.
S’il existe une clause anti-abus pour la situation donnée (clause de bénéficiaire effectif, Convention OCDE), alors il s’agit de vérifier si la convention conclue avec la France contient une telle clause. Si tel est le cas, alors la situation ne posera pas de difficulté et l’administration appliquera la clause anti-abus de la convention fiscale internationale. A l’inverse, si la convention a été conclue avant l’ajout de la clause anti-abus dans le Modèle OCDE alors on peut appliquer l’abus de droit national. Si la convention a été conclue après, alors on interprète l’absence comme une volonté de ne pas insérer une clause anti-abus et on ne peut donc pas appliquer le droit national [26].
Toutefois, en pratique de plus en plus de conventions fiscales internationales contiennent des clauses anti-abus générales. De sorte que le raisonnement ci-dessus ne trouve pas à se poser dans la majorité des cas. L’action n°6 du projet BEPS [27] va dans le sens d’une généralisation de ces clauses. Elle énonce que « De nouvelles modifications à apporter au Modèle de Convention fiscale de l’OCDE ont été approuvées afin que les conventions ne fassent pas obstacle, involontairement, à l’application de règles nationales anti-abus ».
La Convention Franco-Chinoise [28] est le parfait exemple de cette tendance puisqu’elle retient une notion de l’abus de droit plus large qu’en droit interne. En effet, dans la convention dès lors que le principal objectif est d’obtenir une position fiscale plus avantageuse alors l’abus de droit est constitué. En droit interne, la condition est plus restrictive puisqu’il faut un motif exclusivement fiscal.
A partir du moment où le fondement de l’abus de droit a été déterminé, il s’agit pour l’administration, et le cas échéant le juge, d’articuler la notion conventionnelle de l’abus de droit avec celle présente dans le droit national.
II. La conjugaison des dispositifs anti-abus nationaux et des conventions fiscales internationales
Depuis plusieurs années, le Conseil d’Etat refuse le droit de bénéficier d’une convention fiscale à un contribuable effectuant une opération fiscale dont l’unique but est de se prévaloir de celle-ci [29]. Mais la jurisprudence récente du Conseil d’Etat a permis de mieux saisir l’articulation des règles d’abus de droit selon qu’elles relèvent d’une notion nationale ou conventionnelle. Le Conseil d’Etat a récemment eu à connaître de deux affaires portant l’une sur l’abus de droit de l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales (A) et l’autre sur le dispositif français de lutte contre la sous-capitalisation (B).
A) Le dispositif anti-abus de l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales
Le droit français comporte plusieurs dispositifs anti-abus. En plus, de l’interdiction générale de l’abus de droit, le livre des procédures fiscales prévoit un dispositif anti-abus spécifique quant à l’abus pour fictivité ou fraude à la loi (1). L’application de ces dispositions à une convention fiscale internationale a suscité des questions auxquelles le Conseil d’Etat a récemment répondu (2).
1) Le dispositif français anti-abus
Sur le fondement de l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales, et afin de restituer le véritable caractère de l’opération, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.
Il existe donc deux types d’abus de droit au sens de l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales, un pour fictivité juridique (ou simulation) et un pour fraude à la loi. S’agissant des conventions fiscales internationales, c’est bien l’abus de droit pour fraude à la loi qui pose le plus de difficultés. En effet, pour qualifier de fraude à la loi il faut se référer à l’intention des auteurs de la norme de droit et au caractère exclusivement fiscal du mobile de l’opération. Or, une convention fiscale peut revêtir plusieurs objectifs : lutter contre la double imposition, contre la double déduction ou répartir les pouvoirs d’imposition.
Dès lors, ces objectifs devront être pris en compte lors du refus d’octroyer le bénéfice d’une disposition d’une convention fiscale internationale pour fraude à la loi.
2) L’articulation du dispositif français avec la notion d’abus de droit d’une convention fiscale internationale
Dans un arrêt du 25 octobre 2017 [30], le Conseil d’Etat eu à connaître du montage d’un contribuable qui exploitait la convention franco-luxembourgeoise afin de s’exonérer de l’imposition de plus-values immobilières.
Le Conseil d’Etat juge en l’espèce que l’interposition d’une société luxembourgeoise à dessein d’éliminer l’imposition de la plus-value en France constitue un abus de droit au sens de l’article L. 64 B du Livre des procédures fiscales [31]. Il se fonde sur la fraude à la loi en raison du caractère exclusivement fiscal du montage ainsi que des objectifs de la convention [32]. Ce dernier point est intéressant en ce que l’objectif textuel de la convention est seulement de répartir le pouvoir d’imposition entre la France et le Luxembourg, mais celle-ci ne fait pas mention explicitement de la fraude à la loi. Cependant, pour le Conseil d’Etat cette condition est satisfaite.
En effet, selon le Conseil d’Etat, « Les Etats parties à la convention fiscale franco-luxembourgeoise ne sauraient être regardés comme ayant entendu, pour répartir le pouvoir d’imposer, appliquer ses stipulations à des situations procédant de montages artificiels dépourvus de toute substance économique ». Le juge semble donc instaurer une présomption au profit de toutes les conventions fiscales internationales. En effet, dès lors que le montage a un but exclusivement fiscal alors l’administration pourrait empêcher le contribuable de se prévaloir des dispositions de la convention fiscale internationale puisque l’objectif des rédacteurs d’une convention est forcément d’imposer un tel montage, selon le Conseil d’Etat.
La lutte contre l’abus de droit dans la législation française ne réside pas seulement dans des clauses générales interdisant au contribuable d’abuser de son droit par une interprétation littérale des textes. Il existe également des dispositifs plus factuels. Tel est le cas du dispositif de lutte contre la sous-capitalisation.
B) La lutte contre la sous-capitalisation de l’article 212 du Code général des impôts
L’article 212 du Code général des impôts prévoit un plafonnement de la déduction des intérêts d’emprunts entre sociétés liées lorsque certains seuils sont dépassés (1). Ce dispositif vise à lutter contre l’abus dans le recours à l’emprunt entre les sociétés d’un même groupe. Toutefois, certaines conventions fiscales internationales font obstacles à ce régime, notamment avec la clause de non-discrimination. Ce qui n’est pas sans poser des difficultés dans l’articulation des normes (2).
1) Le dispositif français de lutte contre la sous-capitalisation
Le législateur français a mis en place un certain nombre de dispositifs visant à limiter la déduction des charges financières en cas de sous-capitalisation. L’objectif de cette législation en d’empêcher le schéma d’optimisation fiscale intra-groupe visant à déduire de façon excessive les intérêts d’emprunts.
L’article 212 II du Code général des impôts limite la déduction des intérêts d’emprunts entre sociétés liées (directement ou indirectement) lorsque trois seuils sont dépassés :
- Le montant des intérêts déduits dépasse une fois et demie les fonds propres de la société.
- Le montant des intérêts déduits dépasse 25% du résultat courant de la société.
- Le montant des intérêts déduits est supérieur au montant des intérêts versés auprès des entreprises liées.
Dans le cas où ces trois seuils sont atteints alors les intérêts versés voient leur déduction plafonnée. Ainsi, le montant dépassant le plus élevé de ces trois seuils ne pourra être déduit pour l’exercice en cours. Il pourra toutefois l’être au cours des exercices suivants après imputation d’une décote de 5% par an.
Le régime de sous-capitalisation français a connu plusieurs évolutions ainsi qu’une jurisprudence abondante. Toutefois, des difficultés se posent quant à son articulation avec des conventions fiscales internationales, notamment en présence de clauses de non-discrimination.
2) L’articulation du dispositif français avec la notion de sous-capitalisation d’une convention fiscale internationale
La convention fiscale internationale va faire obstacle au dispositif français de lutte contre la sous-capitalisation, et donc aux ratios, dès lors qu’une clause de non discrimination y est insérée. Sur ce point, la décision du Conseil d’Etat du 21 juillet 2017 [33] ne fait que confirmer la jurisprudence SA Andritz [34] qui affirme qu’une clause anti-discrimination est incompatible avec le régime de lutte contre la sous-capitalisation, sauf dans les cas où la convention fiscale internationale prévoit expressément la possibilité d’en faire application.
Il faut, en effet, dès lors que la convention fiscale internationale comporte une clause de non discrimination vérifier si cette même convention prévoit nommément la compatibilité avec les ratios de sous-capitalisation. La décision du 21 juillet 2017 se situe dans cette hypothèse s’agissant de la Convention franco-américaine [35].
La difficulté posée par la Convention franco-américaine est qu’en plus de prévoir une clause de non-discrimination elle comporte un plafond de déductibilité des intérêts d’emprunt qui diverge du régime de sous-capitalisation national. En effet, l’article 25 de la Convention prévoit l’application du plafonnement de la déductibilité en vertu du principe de pleine concurrence (respect de l’Art. 9-1 de la convention).
En l’espèce, une société américaine prête à une société luxembourgeoise qui est sœur d’une société française pour que cette dernière prête à la société française. L’intérêt du montage est que la limitation de la déduction des intérêts d’emprunt ne s’appliquait pas aux sociétés soumises au régime mère-fille (article 145 Code général des impôts). La société luxembourgeoise servait donc de relais (conduit company).
Conformément au droit national, l’administration avait procédé à une substitution en se fondant sur un ratio d’endettement de 1,5 fois les fonds propres. Le Conseil d’Etat censure [36] la Cour administrative d’appel [37] qui avait donné raison à l’administration. En effet, l’administration aurait du se fonder sur le plafonnement de la convention et non sur celui du droit interne [38]. Par conséquent, la limitation des intérêts d’emprunt ne frappe que ceux dépassant le principe de pleine concurrence. Il s’agit donc d’une application complémentaire du dispositif national et de la convention fiscale.
Dès lors, en présence d’un supposé abus de convention fiscale internationale, les dispositions du droit interne doivent être lues à la lumière de la convention fiscale internationale. De plus, lorsque la Convention prévoit des règles dérogatoires alors il s’agit de substituer les règles de droit interne, comme ce fut le cas s’agissant de la Convention franco-américaine et des règles de sous-capitalisation, par les dispositions de la Convention.
Clément Auvray
Master 2 OFIS
Université Paris I – Panthéon Sorbonne
[1] « Paradise Papers » : une semaine de révélations et déjà des conséquences, Maxime Vaudano, Jean-Baptiste Chastand, Anne Michel et Jérémie Baruch, Le Monde, Novembre 2017.
[2] Fair Taxation: Commission proposes new tools to combat VAT fraud, Communiqué de Presse de la Commission européenne, Novembre 2017.
[3] Panama Papers : La Tartufferie fiscale, Philippe Baillot, Les Echos, Novembre 2017.
[4] Conseil d’Etat, 20 mars 1989, Sté Malet Matériaux, n° 56087.
[5] Conseil Constitutionnel, DC 29 décembre 2005 (cons. 79), n° 2005-530.
[6] Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 49 (dossier : l’entreprise), Gauthier BLANLUET, Octobre 2015.
[7] Les grands principes de la fiscalité des entreprises, Maurice Cozian.
[8] La gestion fiscale et l’abus de droit, Maurice Cozian, RFC N° 229, Décembre 1991.
[9] Droit fiscal des affaires, Daniel Gutmann.
[10] Conseil d’Etat (10ème et 9ème sous-sections réunies), 28 mars 2008, Aznavour, n° 271366.
[11] OCDE (2016), Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune 2014 (Version complète), Éditions OCDE, Paris.
[12] Conclusions de la Commissaire au Gouvernement Claire Landais, Conseil d’Etat (10e et 9e ss-sect.), 28 mars 2008, Aznavour, n° 271366.
[13] Mes concerts, mes impôts, … ou quand l’Art. 155 A pousse la chansonnette un peu plus loin, J. Burguburu, RJF 2008.
[14] Introduction, OCDE (2016), Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune 2014 (Version complète), Éditions OCDE, Paris.
[15] Conseil d’Etat (Ass.), 28 juin 2002, Sté Schneider electric, n° 232276.
[16] Article 209 B et conventions fiscales internationales : « Après les ténèbres, la lumière », L. Olléon, RJF 2002.
[17] Convention entre la Suisse et la France en vue d’éliminer les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l’évasion fiscales, 9 septembre 1966.
[18] Convention entre le gouvernement de la République Française et le gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du nord, tendant a éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur les revenus, 22 mai 1968.
[19] Conseil d’Etat (10e et 9e ss-sect.), 28 mars 2008, Aznavour, n° 271366.
[20] Conseil d’Etat (10e et 9e ss-sect.), 28 mars 2008, Aznavour, n° 271366.
[21] Le verrou posé par la décision Aznavour sur la porte d’accès aux conventions fiscales, D. Villemot, Droit fiscal n°17 2009.
[22] idem supra.
[23] OCDE (2016), Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune 2014 (Version complète), Éditions OCDE, Paris.
[24] Article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, 22 mai 1969.
[25] Conseil d’Etat (Section Finance) Avis, 31 mars 2009, n° 382545.
[26] Conseil d’Etat (Ass.), 28 juin 2002, Sté Schneider electric, n° 232276.
[27] OCDE (2017), Empêcher l’octroi inapproprié des avantages des conventions fiscales, Action 6 – Rapport final 2015, Éditions OCDE, Paris.
[28] Accord entre le gouvernement de la République Française et le gouvernement de la République Populaire de Chine en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu, 30 mai 1984.
[29] Conseil d’Etat (3ème et 8ème sous-sections réunies), 29 décembre 2006, Arrêt Scotland Ban, n° 283314.
[30] Conseil d’Etat (3ème, 8ème, 9ème et 10ème chambres réunies), 25 octobre 2017, n° 396954.
[31] L’interposition d’une société luxembourgeoise peut être constitutive d’un abus de droit, Defrénois, 9 novembre 2017, n°26.
[32] Convention entre la France et le Grand-Duché de Luxembourg tendant a éviter les doubles impositions et a établir des règles d’assistance administrative réciproque en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, 1er avril 1958.
[33] Conseil d’Etat (9ème et 10ème chambres réunies), 21 juillet 2017, Sté Thermo Electron Holdings, n° 392908.
[34] Conseil d’Etat, 30 décembre 2003, SA Andritz, n° 249047.
[35] Convention entre la France et les Etats-Unis d’Amérique tendant a éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur les successions et sur les donations, 31 aout 1994.
[36] Conseil d’Etat (9ème et 10ème chambres réunies), 21 juillet 2017, Sté Thermo Electron Holdings, n° 392908.
[37] Cour Administrative d’Appel de Versailles (Plénière), 17 décembre 2015, n° 13VE01281.
[38] L’abus de sous-capitalisation au prisme de la convention franco-américaine, FR 41/17 Editions Francis Lefebvre, Octobre 2017.