En l’absence de mesures d’unification ou d’harmonisation adoptées par le législateur européen, la jurisprudence de la CJUE a défini le régime du transfert des sociétés. Les tensions entre le principe de la liberté d’établissement et les législations nationales sont toujours vives et l’arrêt ci-dessous rapporté en est une illustration supplémentaire.
La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) est venue rappeler dans l’arrêt VALE Epitesi Kft rendu le 12 juillet 2012[1] la primauté du principe de liberté d’établissement sur les règles nationales en matière de transformation de sociétés.
En l’espèce, une société italienne avait décidé de transférer son siège social et son activité en Hongrie. Elle souhaitait qu’il soit fait mention sur le registre des sociétés hongrois qu’elle venait en continuation de la société italienne précédemment dissoute. Or, le droit hongrois ne permet pas la transformation d’une société relevant de la législation d’un autre Etat membre en société hongroise. La CJUE a, dans la lignée de la jurisprudence Centros[2] et Cartesio[3], rappelé la primauté du principe de la liberté d’établissement[4] sur le droit national. Cependant ce qui est reproché au juge hongrois est avant tout la différence de traitement entre les sociétés selon la nature de la transformation. Cette différence de traitement entre transformation interne et transformation transfrontalière, selon la Cour, constitue une restriction non justifiée à l’exercice de la liberté d’établissement. Il est dont permis de penser que si le droit hongrois interdisait la transformation des sociétés internes, cette interdiction pourrait être étendue à la société originaire d’un autre Etat membre. Bien sûr, un tel raisonnement n’est pas tenable et il témoigne de la difficulté qu’a la CJUE à concilier liberté d’établissement et transfert de société en l’absence de texte communautaire.
Il est dommage que 4 ans après l’arrêt Cartesio il n’y ait toujours pas de régime clair pour le transfert des sociétés à l’intérieur de l’espace européen. En l’état actuel du droit positif, l’Etat d’origine peut s’opposer au changement du siège de la société lorsque celui-ci n’a pas pour effet de modifier la loi applicable à la société. En revanche, lorsque le changement du siège a pour conséquence d’entrainer le changement de la loi applicable à la société, l’Etat d’origine ne peut s’opposer à son transfert. Cette solution binaire s’explique en partie par l’utilisation de différents critères de rattachement par les pays de l’UE, certains Etats comme la France et l’Allemagne utilisant le critère du siège réel (lieu de l’administration effective de la société) et d’autres comme le Royaume Unie ou l’Irlande utilisant le critère du siège statutaire. (siège tel qu’il est indiqué dans les statuts).
A ces limites propres au droit des sociétés s’ajoute une limite fiscale appelée « exit tax ». Lorsque la société est transférée, la cessation de ses activités dans l’Etat d’origine entraîne d’importantes conséquences fiscales avec notamment l’imposition immédiate des plus-values latentes. La CJUE est venue adoucir cette « taxe de sortie » dans l’arrêt National Grid Indus BV rendu le 29 novembre 2011[5]. Elle a en effet considéré qu’une telle pratique constituait une entrave à la liberté d’établissement. La Cour suggère aux Etats de procéder à un recouvrement différé.
Dans l’attente d’une hypothétique 14ème directive unifiant le droit des sociétés, il existe un moyen efficace de transférer une société auquel l’on ne pense pas toujours. Un des importants apports de la Société Européenne[6] (SE) est de permettre le libre transfert du siège social dans l’espace européen sans affecter la continuité de la personnalité morale. C’est un outil qui fonctionne et sur les 1370 SE enregistrées à ce jour, une soixantaine a déjà réalisé un transfert de siège[7]. Faute de mieux, la transformation d’une société de droit national en SE en vue de son transfert constitue un palliatif envisageable à l’absence d’unité du droit des sociétés entre les pays membres de l’UE.
Vincent BIROT