Le domicile constitue « le cadre privilégié dans lequel l’intimité se renferme et s’exprime »[1]. Il n’est donc pas surprenant que, de tout temps, celui-ci ait fait l’objet d’une protection. Autrefois, en droit romain, la violation de domicile était incriminée. Cette dernière avait vocation à protéger le foyer domestique, c’est-à-dire la maison du citoyen. Le domicile apparaissait comme un asile sacré, et partant, nul ne pouvait en être arraché. Ladite infraction constituait un délit contre la religion. Postérieurement, dans le droit français de l’Ancien régime, la violation de domicile est devenue un délit contre la personne, mais, sous l’influence des droits germanique et anglo-saxon, elle a évolué en un moyen de protection de la liberté individuelle.
Lors de la Révolution française, l’inviolabilité du domicile a été consacrée expressément. De plus, l’article 184 du Code pénal de 1810 réprimait, au titre des abus d’autorité contre les particuliers, le délit de violation de domicile. Aussi surprenant soit-il, ce texte visait essentiellement les intrusions domiciliaires commises par les fonctionnaires de l’ordre administratif ou judiciaire, les officiers de justice ou de police, et les commandants ou agents de la force publique. Il faut noter qu’en 1832, cette incrimination fut imputable aux particuliers. En définitive, il s’agissait, en réalité, de deux infractions distinctes. Le délit accompli, par un particulier, supposait des manœuvres, des menaces, des voies de fait ou la contrainte pour s’introduire dans le domicile d’un citoyen. A contrario, celui réalisé, par un fonctionnaire, avait une structure différente, puisqu’il consistait à s’introduire dans le domicile d’un citoyen contre le gré de celui-ci, hors les cas prévus par la loi, et sans les formalités qu’elle a prescrites. En dépit de la différence de nature de ces deux délits, les peines encourues étaient identiques. Si cette infraction pénale avait été commise en groupe, les sanctions pouvaient alors être doublées.
La loi du 22 juillet 1992 [2], « portant réforme des dispositions du Code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre les personnes », a affecté la configuration de ce délit, puisqu’elle a dissocié, en deux articles distincts, la violation de domicile commise par des fonctionnaires, et celle commise par des particuliers. Il semblerait, toutefois, que le nouveau Code pénal ne reconnaisse plus « aucune spécificité à l’infraction de violation de domicile qu’il noie dans les atteintes à la vie privée ce qui est, cette fois-ci excessif. Cette pauvre infraction se sera toujours vu dénier un droit à l’existence autonome »[3].
Il importe de mener, en parallèle, l’étude des deux hypothèses, par référence à l’élément indispensable à l’application des mesures protectrices, à savoir le domicile (I), avant de s’intéresser au caractère dichotomique de cette violation (II), et à sa répression (III).
I. Le domicile, élément indispensable à l’application des mesures protectrices
La protection contre la violation de domicile vise à protéger l’intimité d’autrui, et non la propriété immobilière. À cet égard, cette infraction ne permet pas de réprimer l’usurpation d’un immeuble qui, ne constitue pas un domicile. Cette situation a été soulignée par la Cour de cassation, dans un arrêt du 22 janvier 1997[4]. En outre, pour que de telles mesures protectrices puissent s’appliquer, certaines particularités tenant au terme de « domicile » doivent être nécessairement respectées (A), à l’instar des éléments constitutifs (B).
A. Les particularités des mesures concernant le terme de « domicile »
La notion de domicile est particulière à cette infraction. Il est constitué par « toute demeure permanente ou temporaire occupée par celui qui y a droit ou, de son consentement, par un tiers »[5]. Dès lors, il apparaît, qu’en droit pénal, la notion susmentionnée est très générale. Dans une jurisprudence du 4 janvier 1977[6], la Haute juridiction de l’ordre judiciaire a considéré qu’il s’agissait du « lieu où, que l’intéressé y habite ou non, a le droit de se dire chez lui, quel que soit le titre juridique de son occupation et l’affectation donnée aux locaux »[7]. En définitive, elle ne se confond, ni avec le domicile, ni avec la résidence du droit civil. Outre le fait que le domicile doit appartenir à un tiers, celui-ci doit avoir fait l’objet d’une affectation (1). Quant au titre d’occupation, il est indifférent (2).
1. L’affectation des lieux ou du logement
Il convient de distinguer le domicile d’une personne physique, de celui d’une personne morale.
S’agissant du domicile d’une personne physique, il correspond, de prime abord, à une habitation quelconque et ses dépendances telles qu’une terrasse, ou une cave. En revanche, cette notion ne recouvre ni un véhicule automobile, ni un terrain non clos. En tout cas, il ne peut pas s’agir d’un lieu où le public a librement accès. Il faut noter, également, que la juridiction susvisée étend ladite protection aux domiciles provisoirement inoccupés.
S’agissant du domicile d’une personne morale, tant le législateur que les juridictions répressives françaises admettent une extension de la protection pénale aux locaux occupés par des personnes morales. Celle-ci est justifiée par la nouvelle rédaction de l’article 226-4 du Code pénal, qui substitue, ainsi, le domicile « d’autrui » au domicile du « citoyen » [8]. L’autre particularité du domicile réside dans l’indifférence du titre d’occupation.
L’intention du législateur est d’instaurer la « paix domestique »[9]. La loi pénale n’aspire pas à garantir la protection du propriétaire, du locataire ou du détenteur. Finalement, « ce qui est retenu […] est le lieu où la personne peut se dire chez elle »[10]. De ce fait, le titre à l’origine de l’occupation des lieux est inopérant. En conséquence, il apparaît que l’occupant peut être propriétaire, locataire, sous-locataire, ou encore être hébergé par un tiers. La Cour de cassation n’hésite pas à protéger l’occupation précaire, et l’occupation sans droit ni titre.
Toutefois, une précision est à relever s’agissant des occupants sans droit ni titre. Si ces derniers entrent dans un local vide de meubles, ils ne peuvent se voir reprocher une violation de domicile. En revanche, une fois qu’ils se sont installés, ils peuvent prétendre être chez eux, et bénéficier, de plano, de la protection de la loi. Le propriétaire ne peut les expulser qu’en vertu d’un titre exécutoire, car il n’existe pas de titre d’occupation. Si le propriétaire exerce une action coercitive à leur encontre, il se rendrait coupable du délit de violation de domicile.
En outre, il convient d’observer qu’un individu en fuite ne peut prétendre, en aucun cas, que le local dans lequel celui-ci s’est réfugié, avec l’accord des occupants, est son domicile. Ainsi, il est nécessaire, dans le cadre de notre réflexion, d’identifier les éléments constitutifs de cette violation.
B. L’identification des éléments constitutifs
Que la violation de domicile résulte du fait d’un particulier, ou d’un dépositaire de l’autorité publique, il apparaît que ses éléments constitutifs présentent des traits communs. Ces similitudes concernent aussi bien l’élément matériel (1), que l’élément intentionnel (2).
1. L’élément matériel
La violation de domicile réprime le fait de s’introduire, ou de tenter de s’introduire dans le domicile d’autrui. Dès lors, il s’agira, généralement, de pénétrer dans le domicile d’un citoyen. Seul l’article 226-4 du Code pénal, relatif à la violation de domicile commise par un particulier, prévoit l’introduction ou le maintien dans le domicile d’autrui, à l’aide d’un procédé illicite. Quant à la violation de domicile commise par un dépositaire de l’autorité publique, la lettre de l’article 432-8 dudit Code demeure muette. Pour les Professeurs PRADEL et DANTI-JUAN, « les moyens utilisés pour y parvenir importent peu »[11]. En définitive, il semblerait que de tels procédés puissent, à une nuance près, être étendus à l’article 432-8 du Code précité.
Dans cet ordre d’idée, ces deux universitaires affirment que « le maintien illicite sur la base des textes sanctionnant la violation de domicile devrait continuer à constituer la règle en ce qui concerne les agents publics, puisque l’article 432-8 ne fait aucunement mention du maintien dans les lieux »[12]. Outre ces précisions relevées, les juridictions interprètent largement les termes de l’article 226-4 du Code susvisé. À ce dernier égard, elles sanctionnent tout procédé permettant de s’introduire dans un domicile contre la volonté, ou sans le consentement de son occupant. Aussi, l’intrus doit être nécessairement animé d’une intention coupable.
L’élément intentionnel de l’agent se déduit de la matérialité de cette infraction, et plus précisément, des actes de violence ou des voies de fait ainsi mis en œuvre. L’auteur doit avoir conscience qu’il n’a aucun droit à l’entrée, ou au maintien dans les lieux. Le mobile, qui le pousse à agir, est purement inopérant. Selon le Professeur VÉRON, « l’article 226-4 écarte l’infraction dans « les cas où la loi (le) permet » l’introduction dans un domicile contre le gré de l’occupant. Mais il faut bien reconnaître que cette disposition concernera pas souvent les particuliers, mais plutôt les dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public »[13]. Après mainte réflexion, il apparaît que la violation de domicile présente un caractère dichotomique.
II. Le caractère dichotomique de la violation de domicile
Il apparaît opportun d’expliciter ce qui a été énoncé précédemment. Il existe, en effet, deux délits différents. Ils forment, une infraction unique, avec un résultat constant, à savoir l’atteinte à l’intimité des personnes. Le législateur fait davantage preuve de sévérité à l’égard des particuliers, qu’envers les dépositaires de l’autorité publique. Par conséquent, la jurisprudence est intervenue, afin de tempérer cette différence injustifiée. En outre, la violation de domicile peut être commise soit par un particulier (A), soit par un dépositaire de l’autorité publique (B).
A. Une violation commise par un particulier
L’article 226-4 du Code pénal dispose que : « L’introduction ou le maintien dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »
Ainsi, il résulte de cet article que le législateur assimile le fait de se maintenir dans le domicile à celui de s’y introduire. De plus, le particulier doit s’introduire dans les lieux par manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte. S’agissant des manœuvres, celles-ci supposent une introduction par ruse. Les menaces, quant à elles, peuvent découler aussi bien de gestes, que de paroles. Enfin, les voies de fait et contrainte représentent toute violence employée sur l’occupant, ou sur les choses. Les juridictions répressives considèrent que ladite violence doit être entendue largement, « comme tout acte qui a pour effet de surmonter les obstacles matériels placés pour interdire l’entrée d’une habitation »[14]. Cependant, la violation commise par un particulier se distingue de celle, réalisée par un dépositaire de l’autorité publique.
B. Une violation commise par un dépositaire de l’autorité publique
Aux termes de l’article 432-8 du Code susvisé : « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, agissant dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, de s’introduire ou de tenter de s’introduire dans le domicile d’autrui contre le gré de celui-ci hors les cas prévus par la loi est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. »
Plusieurs remarques doivent être évoquées concernant, d’une part, l’auteur de la violation (1), et, d’autre part, l’intrusion illicite contre le gré de l’occupant (2).
1. L’auteur de la violation
Le texte précité vise toute personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public. Réprimant ainsi un acte abusif, cet abus d’autorité doit être réalisé par un dépositaire de l’autorité publique, agissant dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission. En conséquence, l’auteur doit nécessairement s’introduire dans un domicile.
Pour procéder à une introduction abusive, contre le gré de l’occupant, le délinquant doit employer certains moyens. En vérité, celui-ci ne doit pas exercer forcément une forme de violence, ou bien employer un artifice quelconque. Cet article semble imposer que, l’agent public soit allé contre l’opposition de la victime. Par conséquent, « il suffit que celui-ci n’ait pas consenti ou que son consentement ait été vicié »[15]. En outre, à ces développements formant le caractère dichotomique de la violation de domicile, succède un troisième point, consacré à la répression des faits incriminés.
III. La répression des faits incriminés
S’agissant de la répression des deux formes de violation de domicile, le Code pénal de 1994 a apporté des changements notables relatifs aux peines applicables (A), aux poursuites (B), et enfin, aux faits justificatifs (C).
A. Les peines applicables
Il faut s’intéresser successivement aux peines principales, et aux peines complémentaires.
S’agissant des pénalités applicables, elles sont différentes selon la forme de violation de domicile. En premier lieu, si elle est commise par un particulier, l’article 226-31 du Code pénal réprime ce délit d’un emprisonnement d’un an, et de 15 000 euros d’amende. En deuxième lieu, si elle est réalisée par un dépositaire de l’autorité publique, l’article 432-8 de ce Code réprime cet agissement délictueux d’un emprisonnement de deux ans, et de 30 000 euros d’amende. Au surplus, le délinquant peut encourir les peines complémentaires prévues à l’article 226-31 dudit Code. En sus de cela, il faut noter que, les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables. Ce faisant, les poursuites, dont l’agent peut faire l’objet, doivent être envisagées.
B. Les poursuites
Contrairement à l’ancien Code pénal, les articles susvisés répriment, formellement, la tentative de ce délit. Enfin, il est nécessaire d’exposer les faits justificatifs, relatifs à la violation de domicile.
C. Les faits justificatifs
En matière de violation de domicile commise par un dépositaire de l’autorité publique, il existe différents faits justificatifs. En effet, dans certaines situations, les représentants de l’autorité étatique peuvent s’introduire dans le domicile d’un citoyen, malgré son opposition, en respectant la loi. Sont ainsi visées, entre autres, les perquisitions, les visites domiciliaires, et les droits d’entrée et autres droits de contrôle. S’agissant des procédures civiles d’exécution, les huissiers de justice peuvent pénétrer dans un domicile, en l’absence de l’occupant ou si ce dernier refuse l’accès de son local. Pour cela, ils doivent être nécessairement accompagnés du maire de la commune, d’un conseiller municipal, ou d’un fonctionnaire municipal délégué par le maire, ou d’une autorité de police ou de gendarmerie, ou encore, à défaut, de deux témoins majeurs, indépendants du créancier et de l’huissier.
Adrien CHAZE
Faculté de droit, Université Montpellier I.
Faculté de droit, Université Pierre Mendès France, Grenoble II.
Notes
[1] DANTI-JUAN M., PRADEL J., Droit pénal spécial, Édition Cujas, 3ème édition, p. 177.
[2] Loi n° 92-684 du 22 juillet 1992, J.O., 23 juillet 1992.
[3] RASSAT M.L., Droit pénal spécial, Infractions des et contre les particuliers, Précis Dalloz, 5ème édition, 2006, p. 452.
[4] Cass, crim., 22 janvier 1997, Bull, n° 95-81.186 : JurisData n° 1997-001013: En l’espèce, un individu a forcé la serrure de la portée d’entrée d’un logement vide, afin de s’y introduire. La Cour de cassation a estimé que « seul constitue un domicile, le lieu où une personne, qu’elle y habite ou non, a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l’affectation donnée aux locaux, ce texte n’ayant pas pour objet de garantir d’une manière générale les propriétés immobilières contre une usurpation ».
[5] GATTEGNO P., Droit pénal spécial, Dalloz, 7ème édition, 2007, p. 152.
[6] Cass, crim., 4 janvier 1977, Bull, n° 76-91.105 : JurisData n° 1977-09400. En l’occurrence, le cessionnaire des droits d’une veuve a pénétré, par effraction, dans l’appartement de celle-ci. Partant, la juridiction susvisée a condamné le prévenu.
[7] Ibid.
[8] CONTE P., Droit pénal spécial, LexisNexis Litec, 3ème édition, 2007, pp. 179-180.
[9] MATSOPOULOU H., Violation de domicile, in JCP, pénal, 2010, fasc. n° 20, p. 10.
[10] Ibid.
[11] DANTI-JUAN M., PRADEL J., op. cit., p. 181.
[12] Ibid, p. 182.
[13] Ibid, p. 201.
[14] CONTE P., op. cit., p. 183.
[15] CONTE P., op. cit., p. 181. |
Pour en savoir plus
I. Ouvrages
CONTE P., Droit pénal spécial, 3ème édition, LexisNexis Litec, 2007.
CONTE P., LARGUIER A.M., LARGUIER J., Droit pénal spécial, 13ème édition, Dalloz, 2005.
DANTI-JUAN M., PRADEL J., Droit pénal spécial, 3ème édition, Édition Cujas.
GATTEGNO P., Droit pénal spécial, 7ème édition, Dalloz, 2007.
MALABAT V., Droit pénal spécial, 3ème édition, Dalloz, 2007.
PLANQUE J.C., Droit pénal spécial, Bréal, 2009.
RASSAT M.L., Droit pénal spécial, Infractions des et contre les particuliers, 5ème édition, Précis Dalloz, 2006
VÉRON M., Droit pénal spécial, 12ème édition, Sirey Université, 2008.
II. Doctrine
MATSOPOULOU H., Violation de domicile, in JCP, pénal, 2010, fasc. n° 20. |
I) Ouvrages :
CONTE P., Droit pénal spécial, 3ème édition, LexisNexis Litec, 2007.
CONTE P., LARGUIER A.M., LARGUIER J., Droit pénal spécial, 13ème édition, Dalloz, 2005.
DANTI-JUAN M., PRADEL J., Droit pénal spécial, 3ème édition, Édition Cujas.
GATTEGNO P., Droit pénal spécial, 7ème édition, Dalloz, 2007.
MALABAT V., Droit pénal spécial, 3ème édition, Dalloz, 2007.
PLANQUE J.C., Droit pénal spécial, Bréal, 2009.
RASSAT M.L., Droit pénal spécial, Infractions des et contre les particuliers, 5ème édition, Précis Dalloz, 2006
VÉRON M., Droit pénal spécial, 12ème édition, Sirey Université, 2008.
II) Doctrine :
MATSOPOULOU H., Violation de domicile, in JCP, pénal, 2010, fasc. n° 20.