La trêve hivernale : atteinte au droit de la propriété ou protection du locataire ?

 

 


 

L’interdiction d’expulsion locative, communément nommée « trêve hivernale », a débuté le 1er novembre dernier, mettant en sursis, selon les chiffres communiqués par le Secrétaire d’état au logement Benoist Apparu, une centaine de milliers de locataires pendant quatre mois et demi. Cela fournit l’occasion de rappeler la situation difficile dans laquelle se retrouvent tant le locataire que le bailleur durant cette période.

 


 

Au cours de l’année 2009, les juridictions françaises ont eu à connaître de 139.657 contentieux relatifs à une demande d’expulsion de locataire (+1% par rapport à 2008) et ont prononcé à cet effet 107.234 jugements d’expulsion (+1.3%) [1]. La période dite de « trêve hivernale », codifiée à l’article L.613-3 du Code de la construction et de l’habitation en 1978 [2] semble donc constituer un véritable « bol d’air » pour les locataires concernés par ces décisions, mais également une préoccupation majeure pour les propriétaires, contraints de voir rester dans leurs locaux des locataires dont ils ne perçoivent plus les loyers.

 

L’article précédemment cité pose les principes de la trêve hivernale, entendue comme une période, renouvelée chaque année, allant du 1er novembre au 15 mars de l’année suivante (en réalité du 31 octobre à 21 heures puisque les expulsions ne peuvent avoir lieu qu’entre 6 heures et 21 heures, hors dimanches et jours fériés [3]). Période ayant été étendue puisque comprise entre le 1er décembre et le 15 mars jusqu’en 1990 [4]. Elle permet de sursoir à toute mesure d’expulsion, même passée en force de chose jugée, qui serait prononcée à l’encontre de locataires ne respectant plus leur obligation principale contenue dans leur contrat de bail, à savoir le versement d’un loyer au bailleur. Cette trêve marque donc une « pause » quant aux décisions d’expulsion des locataires, permettant que ces derniers ne se retrouvent sans logement durant l’hiver, protégeant ainsi deux principes fondamentaux en France que sont le droit au logement ainsi que le droit au respect de la dignité de la personne.

 

Mais au sursis accordé au locataire s’oppose l’impossibilité pour le propriétaire de l’immeuble loué de récupérer ce bien quand bien même l’autre partie au contrat de bail ne respectera plus ses obligations, le bailleur se retrouvant ainsi seul à remplir les obligations qui lui incombent. La jurisprudence ayant précisé que ces bailleurs ne peuvent d’aucune façon être indemnisés par l’Etat du fait du non recouvrement de leur bien [5].

 

trevehivernale

europe1.fr

 

Le législateur, conscient du coup porté au droit fondamental qu’est le droit de propriété en droit français, a su apporter, par touches successives, des exceptions à cette trêve hivernale. Ainsi aux termes de l’article L.613-3, et ce depuis son instauration en 1978, est-il possible de procéder à l’expulsion des locataires durant cette période à la condition « que le relogement des intéressés soit assuré dans des conditions suffisantes respectant l’unité et les besoins de la famille », unité et besoins entendus comme un nombre de pièces suffisant pour accueillir l’ensemble de ses membres dans un lieu unique.

 

En 1978, l’article L.613-3 fût assorti d’une seconde exception. Conscient des risques encourus par un locataire présent dans un immeuble insalubre, le législateur a souhaité exclure ces personnes des bénéficiaires de cette trêve lorsque l’immeuble a fait l’objet « d’un arrêté de péril ».

 

En 1991 [6], et au regard du développement des « squats », entendus comme une occupation abusive d’un local vacant, le législateur a inséré une nouvelle exception à l’interdiction d’expulsion durant la trêve hivernale de ces « squatters », du fait d’une prise de possession abusive d’un bien ne leur appartenant nullement.

 

 

Robin MOR

Master I de Droit des établissements de santé, UFR de Droit et de Sciences Politiques de l’UM1 Montpellier

 

 

NOTES

 

[1] Chiffres communiqués par www.leparisien.fr

 

[2] Décret n°78-621 du 31 mai 1978, JORF 8 juin 1978

 

[3] Article 508 du Code de procédure civile

 

[4] Loi n°90-449 du 31 mai 1990, JORF 2 juin 1990

 

[5] CAA Nantes 26 janvier 1994, req. n°92NT00581

 

[6] Loi n°91-650 du 9 juillet 1991, JORF 14 juillet 1991


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