La transparence dans les négociations internationales : la procédure de l’Union européenne en question

L’analyse de la procédure de négociation des accords internationaux de l’Union européenne (ci-après « UE ») n’a de réel intérêt que si elle appuie l’étude d’un cas particulier. Nous aurions tort de refuser, dans le contexte actuel, de baser nos développements sur l’exemple que nous offre le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (ci-après « PTCI »), mieux connu sous l’acronyme anglais de « TTIP » ou de « TAFTA ».

En guise de rappel, ce projet de traité international, actuellement négocié entre l’UE et les Etats-Unis d’Amérique , a pour ambition d’être un accord commercial d’une nouvelle génération. Il symboliserait même, d’après les mots de P. Lamy, le premier pas de l’entrée dans le « nouveau monde du commerce » . L’originalité de cet accord est, avant tout, qu’il concerne ce qu’on appelle désormais des « partenariats », dont l’objet ne se limite plus aux négociations à la baisse des droits de douane mais aborde désormais des sujets aussi sensibles que ceux de la convergence règlementaire des normes de production et de commercialisation de produits ainsi que des règles de concurrence , des droits sociaux et environnementaux . En fin de compte, négocié depuis le 17 juin 2013 , ce projet serait aussi ambitieux que risqué pour l’Union européenne :

– bien que sujets à controverses, les intérêts se concentrent principalement dans l’ouverture de certains marchés américains actuellement fermés aux opérateurs européens (comme les marchés publics), la facilitation des échanges par la levée d’obstacles techniques aux échanges, la consolidation de la place de l’Union européenne sur la scène internationale. Seraient également attendus : la création d’activités et d’emplois, l’augmentation de quelques points de Produit Intérieur Brut de l’Union ainsi que l’attractivité des investissements américains ;

– mais le marché européen s’expose également à des risques qui nuancent largement la perception de ces négociations par la société civile. Déjà largement ouvert à la concurrence, l’Union s’expose à une influence de la culture américaine qui laisse craindre une remise en cause d’une culture juridique européenne singulière, marquée notamment par la place octroyée aux services d’intérêt économique général (SIEG), aux appellations d’origine contrôlée, ainsi qu’au niveau élevé de protections de ses normes sanitaires et sociales.

C’est dans ce contexte que la première tare trouvée à ce projet, et soutenue par ses détracteurs, est le caractère secret des négociations. Cette caractéristique est souvent à l’origine de sa qualification de « traité anti-démocratique ». Sans prendre position sur l’essence même de ce traité, une étude objective du processus de négociations des accords internationaux de l’Union européenne s’impose.

Pour ce faire, il conviendra de décrire tant le fondement du caractère confidentiel des négociations diplomatiques que la procédure de négociations des Accords internationaux que l’Union européenne respecte.

L’ORIGINE DU CARACTERE CONFIDENTIEL DES NEGOCIATIONS

Le caractère secret des négociations diplomatiques : un principe

Les négociations commerciales internationales sont traditionnellement confidentielles. En ce sens, les négociations diplomatiques internationales de la France comme de tout autre pays européen ne sont pas, non plus, ouvertes au public. Il n’y a rien d’étonnant alors dans le fait que cette pratique ait été perpétrée par la diplomatie de l’Union européenne. Bien que certains, parmi lesquels notamment les présidents américains, ont longtemps souhaité poser le principe du refus du secret dans les négociations diplomatiques , ce n’est que dans une histoire relativement moderne que les codes de la diplomatie ont été bouleversés. L’immixtion de la transparence dans la diplomatie ne s’est produite qu’au bénéfice des nécessités de la communication . C’est d’ailleurs en ce sens qu’Huber Védrine explique être « convaincu qu’à notre époque, la politique estrangère doit en permanence être expliquée ».

La transparence : une tendance récente

Dans cette perspective, ce n’est que très récemment qu’on a pu assister à un infléchissement de cette pratique dans l’Union européenne. La publication des mandats délivrés par le Conseil de l’Union européenne à la Commission pour négocier les accords du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement ainsi que celui sur le commerce des services (connu sous l’acronyme de « TISA ») en témoignent tout à fait. Ce sont en effet les premiers à avoir été déclassés et rendus disponibles au public. C’est d’ailleurs en partie ce qui fonde les dirigeants européens, dans un discours contradictoire à la doxa commune, à considérer que le TTIP est un des accords les plus transparent. Sur ce point nous pouvons par exemple citer le parlementaire européen Franc Proust (membre du PPE) qui considère que « jamais un accord de libre-échange n’a été aussi transparent ». De fait, ce caractère des négociations sur le TTIP est principalement notable depuis le mandat de Cécilia Malmström au poste de Commissaire européen au commerce extérieur. Outre la divulgation des mandats précités, la Commission européenne est à l’origine de la publication d’un certain nombre de documents, désormais disponibles sur internet , depuis le 7 janvier 2015, et régulièrement mis à jours. Celui-ci comprend tant des documents officiels nous informant de la position de l’Union à l’égard de chaque point de négociations, de documents légaux servant de base aux négociations que des comptes rendus officiels ou autres éléments de vulgarisation.

Les intérêts du caractère confidentiel des négociations

De l’avis de spécialistes , la confidentialité des négociations est à la fois justifiée par le gage de qualité qu’elle porte aux négociations et par la préservation des enjeux géopolitiques.

Tout d’abord, ouvrir les négociations au grand public aurait pour principal effet de ralentir le processus et de complexifier la tache des plénipotentiaires. Si cela se produit, ces derniers devront alors composer avec, outre la pression des négociateurs adverses, des contraintes externes exercées par l’opinion publique.

En outre, plaider pour l’ouverture des négociations au public, bien qu’ayant un objet démocratique légitime, pourrait avoir un effet contre-productif en déplaçant les réelles consignes de négociations, originellement écrites et inclues dans le mandat, au prisme insaisissable des consignes orales des décideurs. C’est en partie ce qui peut être craint, des récentes publications des mandats de négociation de la Commission européenne.

Ce sont ensuite les intérêts géopolitiques qui pourraient être menacés par l’ouverture des négociations, et particulièrement par la dé-classification du mandat. C’est ainsi que les intérêts, les stratégies, les ambitions et les craintes de l’Union européenne sont explicitement portées à la connaissance de leurs concurrents mondiaux. Ceux-là anticiperont donc ces manœuvres de sorte à défendre leurs intérêts tout en diminuant les opportunités de l’Union. Dans l’exemple du TTIP, ce sont principalement les Etats-Unis mais aussi plus considérablement les tiers, concurrents économiques de l’Union européenne, qui seront intéressés par la publication du mandat. Il convient par exemple de rappeler qu’à l’inverse les dirigeants américains s’opposent strictement à la publication de leurs documents officiels , tant en ce qui concerne le PTCI que le Transatlantic Trade Partnership (« TPP »), dans la conduite de leur « stratégie du pivot ».

Ces réflexions ne doivent pourtant pas nous empêcher de nous interroger sur la base juridique de la confidentialité des négociations qui ne semble pas être présente ni dans les Traités de l’Union européenne ni de son droit dérivé, mais plutôt de la pratique. Au contraire cela s’inscrirait même en méconnaissance des disposition de l’article 15 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne proclame un droit d’accès des citoyens aux documents des institutions de l’Union.

La conséquence première de ce caractère confidentiel des négociations étant d’attiser les craintes de l’opinion publique à l’égard des Accords ainsi négociés, il est néanmoins possible d’observer que les modalités du fonctionnement institutionnel de l’Union, notamment en ce qui concerne la procédure propre aux négociations des accords internationaux, participe à cristalliser cette défiance portée par l’opinion publique à l’égard de l’Union européenne.

LES NEGOCIATIONS DES ACCORDS INTERNATIONAUX DE L’UNION EUROPEENNE :

La procédure en question est actuellement prévue au Titre V du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (« TFUE ») intitulé « Accords internationaux » et plus précisément aux articles 216 à 219. Ces dispositions doivent être lues de concert avec les articles 21 et 22 du Traité sur l’Union européenne (« TUE »). Dans son ensemble, la procédure est plutôt floue et incertaine. Ces caractères sont principalement dus au fait qu’elle est susceptible d’être soumise à différentes options tant en fonction de l’objet (exclusivement sur la PESC ou non etc.) que de la qualité (association, coopération, adhésion, etc.) de l’accord envisagé. Ces incertitudes laissent craindre que les institutions prennent quelque liberté d’interprétation quant aux dispositions des Traités. Il convient dans ce cas de rappeler, peut être, que pour toute question d’interprétation des Traités, ou d’appréciation du respect d’une procédure conventionnelle, la Cour de Justice de l’Union européenne peut être saisie d’une question préjudicielle ou d’un recours en manquement .

Pour décrire brièvement la procédure, il convient de rappeler tout d’abord que la Commission européenne est à l’initiative des négociations. Pour ce faire, elle propose généralement un projet de mandat de négociations au Conseil de l’Union européenne. C’est le Conseil qui sera, in fine, le seul à pouvoir autoriser l’ouverture des négociations et désigner l’équipe qui en sera chargée au nom de l’Union . Tout au long des négociations, souvent organisées en cycles (ou « rounds ») successifs, la Commission est tenue d’informer le Parlement européen de l’avancée des négociations . Celui-ci ne peut, à ce stade, que lui adresser des résolutions non-contraignantes.

A la fin des négociations, après que le Parlement européen ait voté le projet à la majorité simple des suffrages exprimés , le Conseil de l’Union européenne devra se prononcer à l’unanimité sur le texte négocié. Si l’accord est considéré comme un accord mixte, c’est-à-dire comprenant des matières relevant de la compétence partagée entre l’Union et ses Etats membres, celui-ci ne sera définitivement approuvé qu’une fois que les Etats membres l’auront ratifié conformément à leurs procédures constitutionnelles propres, c’est-à-dire par les parlements nationaux (voir régionaux dans le cas de la Belgique) ou après une consultation populaire par référendum. Cette phase finale de la procédure est susceptible d’accuser une durée assez longue à cause de l’impératif de traduction de la version consolidée de l’accord, de l’anglais (langue des négociations) aux 23 autres langues des Etats membres de l’Union.

En somme il est intéressant de conclure, en adoptant un regard critique sur ce mécanisme, à la double nature de cette procédure qui, bien que prévoyant certaines garanties de « bon-procédé », conserve des lacunes notables.

Les points positifs :

D’après le développement précédent, nous pouvons noter l’existence de plusieurs filtres intergouvernementaux et démocratiques par lesquels le texte négocié doit passer avant de pouvoir entrer définitivement en vigueur. Parmi ces filtres nous comptons la nécessité de recueillir l’unanimité au sein du Conseil de l’Union européenne tant dans la phase d’octroi du mandat que dans celle de conclusion de l’Accord. Cela garanti son caractère intergouvernemental. Il est possible de relever également la nécessité d’approbation du projet par le Parlement européen ou, le cas échéant, de la ratification des parlements nationaux, tous deux rassurants quant au caractère démocratique de cette procédure.

Les points négatifs :

L’existence d’imperfections apparaît indéniablement dans cette procédure.
Il serait tout d’abord possible de pointer du doigt le rôle effacé du Parlement européen dans les étapes de délivrance du mandat de négociation et dans les négociations elles-mêmes. Lors de ces deux phases, ce dernier ne jouit que d’une compétence consultative. C’est d’ailleurs cette compétence qui a permis aux parlementaires, le 8 juillet 2015, d’adopter une résolution à l’attention de la Commission européenne. Cette dernière n’ayant qu’une valeur consultative, elle ne peut donc pas être considérée comme fixant des lignes directrices à la Commission, comme certains le sous-entendaient alors.
C’est ensuite l’incertitude à l’égard du caractère mixte des accords qui retient notre attention: en ce qui concerne le TTIP, seules des prises de positions publiques, que ce soit par le Ministère des affaires étrangère français ou la Commissaire chargée du Commerce international de la Commission européenne permettent de considérer que ce Partenariat répondra à la procédure propre aux accords « mixtes ». En définitive, aucun acte légal européen n’a officialisé l’exigence d’une ratification et les Traités demeurent flous à cet égard.
En ce qui concerne le rôle du Parlement européen dans cette procédure, son amenuisement s’avère d’autant plus flagrant lorsqu’on se prête à une comparaison avec le système américain. En effet, les membres du Congrès américains ont un accès privilégié aux textes de négociations. Or cela contraste bel et bien avec toute la prudence prise, en Europe, autour du droit d’accès à ces documents. C’est ainsi qu’une poignée de parlementaires seulement a accès aux documents, et cela alors qu’ils sont encadrés d’un dispositif de confidentialité drastique. Il en va d’ailleurs de même pour les membres des exécutifs nationaux qui, désirant y avoir accès ne le peuvent qu’à Bruxelles ou dans les salles de lectures des ambassades américaines présentes dans les Etats membres, et n’ont pas d’autorisation d’en faire des copies .
Pour finir, il convient probablement de commenter l’exigence pour le Parlement européen d’approuver l’Accord à la majorité simple. Cela peut être discutable d’un point de vue démocratique, car seule la majorité des voies des parlementaires présentes le jour de la séance sera retenue alors que la majorité des voix du nombre total des parlementaires européens apporterait davantage de crédit démocratique à cette procédure.

A la veille du onzième cycle de négociation entre Bruxelles et Washington, il sera intéressant pour le juriste de suivre quelle sera la suite de la procédure retenue et, peut-être d’y appliquer la grille d’analyse adoptée dans cet article pour en constater les avantages comme les carences.

Yoan MUNARI

Références

Le 11ème et dernier cycle de négociation s’est achevé le 23 octobre 2015 et avait lieu à Miami, en Floride.
Lamy Pascal, Traduit de l’anglais par Hausser Isabelle, « Le nouveau monde du commerce. », Commentaire 3/2015 (Automne) , p. 491-498, disponible sur < www.cairn.info/revue-commentaire-2015-3-page-491.htm >.
Cf. mandat de négociation point 36
Cf. mandat de négociation point 31 à 33
Le Conseil de l’Union européenne a approuvé le mandat de négociation de la Commission le 17 juin 2013.
Cf. La quadrature du net, TAFTA : Non aux négociations anti-démocratiques US-UE !, 12 nov. 2013 ; disponible sur < https://www.laquadrature.net/fr/tafta-non-aux-negociations-anti-democratiques-us-ue>
Cf. Le Monde, Orélien Colson, Fin du secret diplomatique ?, 13 décembre 2010 ;
disponible sur < http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/12/13/fin-du-secret-diplomatique_1452738_3232.html>
Cf. Olivier Arifon, Université de Strasbourg, De la transparence en diplomatie. Entre vision idéale et nécessités de communication ; disponible sur <http://www.mei-info.com/wp-content/uploads/revue22/4MEI-22.pdf>
Védrine Hubert, 2000, Les cartes de la France à l’heure de la mondialisation, Paris :
Fayard, Postface.
Document ST 11103/1/13 RESTREINT UE/EU RESTRICTED ; disponible en français sur < https://www.data.gouv.fr/s/resources/donnees-relatives-au-partenariat-transatlantique-de-commerce-et-dinvestissement-ttip/20141204-110252/mandat_FR_declassifie_2.pdf>
Document 6891/13 ADD 1 RESTREINT UE/EU RESTRICTED ; disponible en français sur <http://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-6891-2013-ADD-1-DCL-1/fr/pdf>
Mounia Van de Casteel, TTIP : La France rappelle ses lignes rouges aux Etats-Unis, La Tribune, 28/09/15, disponible sur < http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/ttip-la-france-rappelle-ses-lignes-rouges-aux-etats-unis-508766.html >
Commission > Trade > Policy > TTIP > Documents and events ; disponible sur < http://ec.europa.eu/trade/policy/in-focus/ttip/documents-and-events/index_en.htm – _documents>
Emmanuel Vivet et Aurélien Colson, Politique Etrangère, 3.2015, TISA, TTIP : comment négocier au nom de l’Europe ?
Cf. Euractiv.fr, 8 janvier 2015, James Crisp, La commission publie plusieurs textes de négociation du TTIP. Disponible sur < http://www.euractiv.fr/sections/commerce-industrie/la-commission-publie-plusieurs-documents-de-negociation-du-ttip-311110>
Traité disponible sur <http://eur-lex.europa.eu/legal-content/en/TXT/?uri=CELEX:12012E/TXT>
Traité disponible sur < http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:12012M/TXT>
Cf. Statuts de la Cour de Justice et article 218, paragraphe 11 du TFUE.
Cf. article 218, paragraphe 3 TFUE
Accord-cadre sur les relations entre le Parlement européen et la Commission européenne, paragraphe 23 ; ii) Accords internationaux et élargissements : « Le Parlement est immédiatement et pleinement informé à tous les stades de la négociation et de la conclusion d’accords internationaux, y compris au stade de la définition de directives de négociation ».
Article 108, paragraphe 7 du règlement du Parlement européen
Résolution du Parlement européen du 8 juillet 2015 contenant les recommandations du Parlement européen à la Commission européenne concernant les négociations du partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI) (2014/2228(INI)) disponible sur <http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2015-0252+0+DOC+XML+V0//FR>
http://www.senat.fr/questions/base/2014/qSEQ140712514.html
Voir, sur tous ces points, les précisions apportées par Euractiv.fr dans un article intitulé Washington propose d’accéder aux documents du TTIP dans ses ambassades, du 30 avril 2015 et disponible sur <http://www.euractiv.fr/sections/commerce-industrie/washington-propose-dacceder-aux-documents-du-ttip-dans-ses-ambassades>

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