Le droit français des entreprises en difficulté apparaît comme plus favorable au débiteur que le droit luxembourgeois qui ne connaît pas de procédure de sauvegarde. Cette procédure française a essentiellement pour effet de suspendre les poursuites des créanciers.
Suite à l’affaire « Cœur Défense » dans laquelle la Cour de cassation [1] a confirmé l’ouverture d’une procédure de sauvegarde en faveur d’une société holding – dont le créancier était Lehman Brothers [2] – qui n’était pas effectivement en situation de cessation des paiements et dont l’actionnariat était financièrement sain, les créanciers prêteurs ont requis la mise en place de sûretés plus solides.
La constitution d’une seule société holding au Luxembourg étant désormais insuffisante pour faire échec à l’ouverture d’une procédure collective en France, la structure de la « double Luxco » a été créée et utilisée dès 2009, notamment dans les opérations de Leveraged Buy-Out (LBO). Cette structure est une technique élaborée par les praticiens qui consiste à créer deux sociétés holding luxembourgeoises distinctes afin de créer un écran et in fine améliorer les garanties consenties par les débiteurs à leurs banques.
L’article 3 §1 du Règlement CE n° 1346/2000 relatif aux procédures d’insolvabilité dispose que les juridictions compétentes pour l’ouverture d’une procédure sont celles sur « le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur ».
Pour qu’une procédure de sauvegarde soit ouverte en France et soumise au droit français (art. 4 §1), il sera nécessaire que le centre effectif des intérêts principaux de la société holding soit en France et non au Luxembourg, bien que le siège statutaire soit situé au Luxembourg.
Le principe de la « double LuxCo » réside dans la détention par la seconde entité – LuxCo 2 – de la totalité de titres luxembourgeois. Ainsi, cette société aura ses intérêts principaux au Luxembourg et selon l’article 5 du Règlement Insolvabilité, le droit luxembourgeois s’appliquera même dans le cas d’une procédure de sauvegarde ouverte en France.
Cette structure constitue en réalité une sorte de société écran et vise à créer une entité intermédiaire afin de faire échec à l’application du droit français.
La mise en place de cette structure « double LuxCo » est très coûteuse et sera envisagée seulement dans le cadre d’opérations financières importantes. L’intérêt du débiteur qui serait à première vue de ne pas se soustraire au droit français, sera alors de rassurer ses créanciers en lui octroyant de solides garanties que le droit français ne pourra pas suspendre.
Les praticiens luxembourgeois prévoient des clauses dites de maintien des intérêts principaux au Luxembourg grâce à des dispositions d’ordre pratique telles que le lieu de la tenue des assemblées générales, la résidence des administrateurs hors de France, la soumission des contrats au droit luxembourgeois.
Une des principales limites de cette structure se rencontrera lors de la réalisation du nantissement des titres d’actionnaires de la société holding, où les banques pourront devenir réticentes à les prendre en charge, celle-ci étant éloigné de la leur.
Face à cette nouvelle pratique de forum shopping crée par les praticiens luxembourgeois pour échapper au droit français, il n’est pas certain que la Cour de cassation ne considère pas à terme que ces sociétés holding possèdent uniquement des actifs français, ceci afin d’ouvrir une procédure collective en France qui soit entièrement soumise au droit français, sans que puisse être opposé l’article 5 du Règlement CE n° 1346/2000.
Morgane Lepetit
Pour aller plus loin :
[1] Michel Menjucq, Affaire Heart of La Défense : incertitudes sur le critère d’ouverture de la procédure de sauvegarde
Revue des procédures collectives n° 3, Mai 2010, étude 11
[2] François-Xavier Lucas, Cœur Défense : le calme après la tempête
L’essentiel du droit des entreprises en difficulté, 05 février 2012, n°2, p.1
Les structures « double luxco » et leur effet sur la structuration des garanties financières luxembourgeoises, M. Lattard et F. Fayot, Bull. Droit et Finance, ALJB, Mai 2012, Extrait 49.