Si la décision de la « fessée » a cristallisé tous les débats en France depuis quelques semaines, le rapport du Commissaire des Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, lui, est presque passé inaperçu ! Et pourtant, il est bien plus cinglant concernant l’état des Droits de l’Homme en France. Rendu le 17 février, ce rapport avait pourtant été terminé en décembre dernier… Presque prémonitoire, ce rapport jette une lumière nouvelle sur les circonstances qui ont mené aux événements des 7 et 9 janvier derniers.
Quel est le rôle du Commissaire des Droits de l’Homme et qui est-il ?
Elu par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, le Commissaire des Droits de l’Homme a pour mission principale de se rendre dans chaque Etat membre du Conseil et de produire un rapport. Il se charge d’étudier la position des Droits de l’Homme dans l’Etat mais aussi de faire prendre conscience des lacunes au Gouvernement et de le guider pour faire évoluer la situation. Niels Muižnieks, l’actuel Commissaire, est letton et il a été élu en 2012. Science politiste, diplômé de l’université de Berkeley (Californie) il est spécialiste des Droits de l’Homme. Avant d’être Commissaire, il a notamment été président de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (2010-2012).Suite à sa visite en France en Septembre 2014, le Commissaire des Droits de l’Homme a retranscrit ses conclusions dans un rapport centré sur cinq thèmes principaux. Des Droits de l’Homme des Gens du voyage, des Roms et des Handicapés aux Droits de l’Homme dans un contexte d’asile et de l’immigration : tout est passé à la loupe.
Mais que dit réellement ce rapport ? Quelles sont les conclusions à en tirer ?
Tout de suite, Nils Muiznieks entre dans le vif du sujet. Le premier thème qu’il aborde et dénonce concerne l’intolérance, le racisme et la résurgence de l’extrémisme. La préoccupation centrale qui ressort de ses observations porte avant tout sur la multiplication des actes et des discours haineux et racistes. Le recul de la tolérance est de plus en plus visible et critique.
La cohésion sociale est de plus en plus morcelée et cela influe directement sur le principe d’égalité. Et pourtant, ce principe est l’un des fondements de la Constitution de 1958 puisqu’il est inscrit à l’article 1. Il bénéficie d’un solide cadre juridique et des magistrats référents en matière de lutte contre le racisme et les discriminations sont présents dans chaque TGI.
La réponse pénale est elle aussi efficace, puisque la méthode du testing a enfin été reconnue comme valide devant les tribunaux pénaux via l’article 225-3-1 du Code pénal. Qu’est-ce que le testing ? L’idée est de simuler une situation « favorable » à la discrimination afin de vérifier le comportement de l’autorité soupçonnée. Ainsi, il devient possible de « démontrer l’existence d’une discrimination raciale à l’entrée des discothèques, restaurants et autres lieux publics, ou à l’embauche dans une entreprise ». Mais ces avancées restent insuffisantes.
L’intolérance et le racisme : un retour pernicieux des comportements haineux
La liste des constatations du Commissaire est impressionnante et les exemples ne manquent pas. Outre les insultes répétées envers Christiane Taubira, actuelle garde des sceaux, et l’affaire Dieudonné de janvier 2014, le racisme et l’intolérance se manifestent dans toutes les sphères de la vie publiques. Les contrôles au faciès réalisés par les forces de l’ordre sont également dénoncés.
Le Commissaire a également mis en avant les actes de racisme répétés en France. Rappelons que l’islam est la deuxième religion de France avec 6 à 7% de musulmans. Les protestants et les juifs sont aussi fortement représentés. Les échanges avec les représentants des différentes communautés religieuses et le Ministère de l’Intérieur ont été assez significatifs. Par exemple, dans les sept premiers mois de l’année 2014, une augmentation de 91% des actes antisémites a été observée.
Ils passent notamment par les réseaux sociaux, sur Twitter, l’on a pu voir se multiplier des messages comportant le hastag #unbonjuif dont « #unbonjuif est un juif mort ». Même si des poursuites judiciaires n’ont pas manqué d’être mises en œuvre, ce type de comportement confirme qu’un climat délétère s’est installé.
La résurgence de l’extrémisme ? Non !
La résurgence de l’extrémisme, telle que constatée, est elle aussi fortement inquiétant pour la France. Il apporte son analyse des partis d’extrême droite et plus particulièrement du FN, qui, selon lui : « se caractérise notamment par une rhétorique souverainiste qui rejette l’immigration et la prétendue islamisation de la société française, ainsi que par son hostilité à l’égard de l’Union européenne ». Il est à déplorer que le FN bénéficie d’une certaine influence dans la sphère politique. Alors que le débat en France est toujours aussi vif, ce point de vue extérieur a pour objectif de faire réagir le gouvernement. Il ne faut pas permettre cette résurgence de l’extrême-droite.
Ce premier thème abordé par le Commissaire des Droits de l’Homme concernant l’intolérance, le racisme et la résurgence de l’extrémisme, est sans doute l’un des plus sensibles de l’actualité française. Comment peuvent agir les autorités ? Une vigilance permanente est absolument nécessaire et la principale proposition consiste en la mise en place d’un plan national d’action sur les Droits de l’Homme.
Les Droits de l’Homme dans un contexte d’asile : des promesses manquées
La France est un pays qui a toujours connu des vagues de migrations importantes mais paradoxalement, la législation pour les demandeurs d’asile s’est durcie. Ce durcissement pose un véritable problème de compatibilité entre ces mesures législatives et les engagements internationaux de la France en matière de Droits de l’Homme. Ces accords « régulièrement ratifiés » sont pourtant supérieurs à la loi selon l’article 55 de la Constitution. Deuxième paradoxe : si l’activité normative en matière de demande d’asile a été très prolifique ces dernières années, ce n’a pas été le cas pour les mesures visant à l’intégration des réfugiés.
Trois constats successifs nécessitent une action énergique est ferme du gouvernement français. Tout d’abord, le dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile est insuffisant et inefficace. La France est loin d’avoir rempli son engagement de recueillir 500 réfugiés syriens. Quid de la situation à Calais : des mesures sécuritaires ne pourront pas résoudre seules les problèmes que connaît la ville. En 2012, le Défenseur des Droits avait déjà exprimé son point de vue : les pratiques policières de destruction des abris se font en dehors de tout cadre juridique. Un accord franco-britannique devrait être trouvé pour gérer la pression migratoire.
De plus, l’accueil des mineurs étrangers est une question cruciale. Dès qu’ils arrivent illégalement en France, ils sont retenus dans des lieux de privation de liberté. Quant à l’effectivité des recours et à la qualité des procédures ouverts aux demandeurs d’asile, elles restent à prouver. Assurer la sécurité ne doit pas se faire au détriment des Droits de l’Homme. Sécurité et libertés fondamentales doivent et peuvent être combinées.
Les Droits de l’Homme des Gens du Voyage, des Roms et des Handicapés : un manque d’action et de soutien flagrant
Concernant les Droits de l’Homme des Gens du voyage, un antitsiganisme existe depuis des années et ne doit pas être encouragé par les responsables politiques. Pour circuler, les Gens du voyage sont obligés d’avoir un livret de circulation sous peine de contravention. Leurs droits politiques sont subordonnés au rattachement à une commune pour une durée minimale de deux ans. La liberté de circulation et les droits politiques ne devraient pas être soumis à conditions afin de respecter le statut particulier des Gens du voyage.
Les Roms eux aussi sont stigmatisés par des discours de haine provenant aussi d’acteurs politiques. Ils subissent non seulement une malveillance médiatique mais aussi une violence de la part des particuliers et de la police. Remédier à la circulation précaire des Roms, leur permettre un accès aux soins, à l’éducation… est essentiel.
Enfin, Droits de l’Homme et handicap sont rarement associés. De nombreux handicapés décident de partir à l’étranger, notamment en Belgique, à cause de l’insuffisance des dispositifs. Les politiques françaises les concernant se prévalent des principes d’inclusion et d’autonomie. Malheureusement, les solutions adaptées pour leur intégration sont toujours aussi marginales. Cependant, des efforts ont été notés en matière d’accompagnement scolaire des enfants.
Sécurité v. Droits de l’Homme ?
Ce ne sont que cinq thèmes, et pourtant… Pourtant, ils touchent à tous les sujets « brûlants ». Pourtant, ils touchent à l’essence même de ce dont se réclame la France, « patrie des Droits de l’Homme ». Depuis des années le débat sur les Roms, les demandeurs d’asile et les handicapés stagnent. Les constatations du Commissaire sont certes alarmantes, pourtant, elles poussent à réfléchir. Ne plus s’enfoncer dans une vision de « la sécurité à tout prix » mais prendre en compte la vision droit de l’hommiste. Il ne faut peut-être pas se défendre de l’inconnu mais plutôt l’apprivoiser. Mettre en œuvre un plan national des Droits de l’Homme : et pourquoi pas ?
Léa JARDIN
Master 1 Droit International et Européen des Organisations Internationales
Faculté de Droit de l’Université Catholique de Lille
Pour en savoir plus :
http://www.coe.int/fr/web/commissioner
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