La séparation des banques de détail et d’investissement a été l’une des propositions du candidat François Hollande lors de sa campagne aux dernières élections présidentielles. Elle a aujourd’hui une place entière dans le projet de loi bancaire présentée par le gouvernement fin d’année 2012. Ce projet de loi bancaire est présenté le mercredi 30 janvier devant la commission des finances. Cette mesure reste toutefois au stade de l’effet d’annonce : ce n’est pas une nouveauté, et il n’y a pas de consensus quant à son utilité.
L’idée d’une séparation des deux activités bancaires fait débat depuis plusieurs mois. Deux raisons à cela : la crise et, par conséquent, la méfiance envers les banquiers depuis 2008, et l’annonce de François Hollande de son souhait de séparer ces deux activités bancaires.
Genèse
Si les banquiers bénéficiaient jusqu’ici d’une bonne aura auprès des clients et consommateurs, la situation financière mondiale des dernières années a mis au devant de la scène certaines pratiques des banques. L’inquiétude est venue des Etats-Unis où les subprimes ont endommagé l’économie. Les banquiers ont vendu des produits, trop complexes, voire incompréhensibles pour le commun des mortels. Plus surprenant, ils étaient peu compris par les banquiers eux-mêmes. La découverte par le public d’un tel phénomène l’a inquiété et l’a alerté, générant alors une méfiance envers les banques.
On se souvient d’Eric Cantona qui alla jusqu’à préconiser de retirer ses fonds des banques afin que le système s’écroule. Sans aller jusque là, les hommes et les femmes politiques ont pris la mesure du phénomène et proposé des solutions : le temps permettra de dire s’ils ont traité le problème sur le fond, ou s’il ne s’agissait que de réponses séduisantes, à visée électorale, ne bouleversant alors pas le monde bancaire, fort de ses lobbys.
Traditionnellement une banque est un « établissement bancaire qui, recevant des fonds du public, les emploie pour effectuer des opérations de crédit et des opérations financières, et est chargé de l’offre et de la gestion des moyens de paiement »[1]. En réalité, les banques sont des établissements financiers, qui sont, eux, « des personnes morales qui effectuent à titre de profession habituelle des opérations de banque »[2]. Ces établissements financiers sont autorisés à exercer des activités connexes, énumérées à l’article L311-2 du Code Monétaire et Financier, telles que le placement, la souscription, l’achat, la gestion, la garde et la vente de valeurs mobilières et de tout produit financier.
On comprend qu’il ne faut pas limiter la banque à une agence bancaire. La banque, avec les fonds déposés par les clients, et au travers de produits financiers plus complexes (maniés de façon aussi complexe…), est aussi une activité de trading, telle que nous l’avons découverte ces dernières années. Les affaires, plus ou moins médiatisées, ont permis de se rendre compte du montant exorbitant de l’engagement financier de cette pratique. Jérome Kerviel serait, par exemple, responsable de 4,82 milliards d’euros de perte au détriment de la Société Générale.
Sans se limiter à ces affaires médiatiques, la banque d’investissement est aussi et surtout une banque de financement des entreprises. Elle n’est pas à casser, mais est essentielle pour la croissance. L’une ne vit pas sans l’autre !
Il est évident qu’au-delà de l’enjeu politique et financier considérable, tant au niveau macro que micro économique, les banques ne peuvent plus impunément s’engager dans des défis financiers aussi colossaux, et refuser, dans le même temps, des découverts apparaissant comme légitimes pour le consommateur.
Et on comprend aussi l’idée qui se cache derrière la séparation des activités bancaires : limiter l’impact de la banque d’investissement sur la banque de détail (activité de commerce telle qu’on la connait tous).
Ce constat effectué, cette solution est-elle nouvelle ?
Non, l’idée d’une séparation des activités bancaires n’est pas nouvelle ! Et au risque de déplaire aux anti-américains, elle vient de l’autre côté de l’Atlantique. L’origine de cette idéologie est à rechercher dans le « Glass-Steagall Act », qui désigne le « Banking Act » de 1933 et instaure une incompatibilité entre les métiers de banque de dépôt et d’investissement. Fruit du hasard ou non, il fait suite à la crise de 1929. Le Glass-Steagall Act a été abrogé par le président Clinton en 1999 afin de favoriser le développement des banques, et de répondre à leurs attentes en terme d’encadrement.
En France, une mesure à peu près identique est prise par le Général De Gaulle en 1945. Une première entorse est faite par une loi de Michel Debré, dans le but d’assouplir les règles, pour finalement aboutir à la fin de la séparation des banques avec Jacques Delors en 1984, via une loi bancaire abolissant la spécialisation des banques.
Seulement, si l’idée n’est pas nouvelle, aussi bien les Etats-Unis que l’Europe entendent l’actualiser. Les promesses de François Hollande ne sont pas restées vaines : la séparation des banques est l’un des volets du dernier projet de loi bancaire[3]. L’objectif est de « remettre la finance au service de l’économie réelle » et de protéger le consommateur.
Cette mesure n’est pas isolée : ce projet a pour but de mettre en place un régime de résolution bancaire, une surveillance macro-prudentielle et un renforcement des pouvoirs de l’Autorité des Marchés Financiers et de l’Autorité de Contrôle Prudentiel. Seront laissés plus de pouvoirs aux autorités publiques et les droits du consommateur seront renforcés.
Le projet de loi bancaire semble faire la vie dure à la finance et au libéralisme ; en réalité, il est difficile de ne pas le voir comme une mesure visant à séduire l’électorat, tant il apparaît pour de nombreux auteurs comme vidé de sa substance.
La France ne fait pourtant pas cavalier seul dans cette voie.
Les anglais ont pris part au débat, avec le rapport Vickers rendu le 12 septembre 2011, qui préconise la séparation des différentes activités de banque. L’objectif est d’éviter que l’épargne des particuliers ne serve à financer les investissements risqués : chacun chez soi et les moutons seront bien gardés en quelque sorte…
La mise en oeuvre de ces mesures ne sera toutefois pas rapide.
L’Union Européenne n’est pas en reste. Le rapport Liikanen[4], du nom du président du groupe d’experts chargé par le Commissaire Michel Barnier d’envisager une réforme bancaire, a affirmé la nécessité d’une telle séparation, tout en ne préconisant pas une scission pure. Il a été présenté le 2 octobre 2012.
Outre-Atlantique, des dispositions ont déjà été prises : une loi financière américaine votée en juillet 2010 interdit aux banques, qui gèrent des dépôts, d’intervenir sur les marchés en compte propre. Cette mesure est plus connue sous le nom de « règle Volker » .
Les auteurs, économistes, juristes ou banquiers, ne s’accordent pas sur le bien fondé d’une telle mesure. Certains considèrent que le risque est une hausse du coût des crédits[5]. C’est le cas par exemple de Frédéric Oudéa, Président et Directeur Général de la Société Générale depuis mai 2009. Pour d’autres, « les faillites et crises bancaires sont typiquement causées par des pertes massives dans l’activité de crédit traditionnelle »[6] et non par l’activité de trading. Natixis dénonce même un risque d’« effet pervers »[7].
Bien sûr, d’autres personnalités témoignent de leur intérêt pour cette mesure[8].
Et maintenant ?
Cette mesure, en elle-même, est délicate à mettre en oeuvre : elle a trait à la régulation bancaire et implique donc une refonte en profondeur du système de régulation financière si on souhaite qu’elle ait un impact. De plus, si une séparation stricte peut apparaître trop sévère, voire dangereuse, il n’est pas certain qu’une séparation peu contraignante, sur le modèle de la filialisation, soit efficace. L’ingénierie financière et juridique n’aurait pas de difficulté à contourner les barrières. Enfin, une réponse européenne est nécessaire. Face à des difficultés mondiales, il est temps pour l’Union Européenne d’apporter une réponse unique en se posant comme modèle. Si l’objectif est social, il peut passer par une loi touchant au système financier. Une mesure commune ne pourrait que donner plus de poids à l’Union Européenne.
Le couple franco-allemand pourrait être à l’initiative d’une telle entente. Le gouvernement allemand a en effet annoncé chercher avec la France une position commune à propos d’une loi bancaire[9]. Le site lesechos.fr annonçait à ce propos, le 29 janvier, que l’Allemagne aurait demandé à deux banques une étude sur les conséquences d’une telle modification du système bancaire.
L’avenir dira quelle force sera donnée à cette mesure, restée pour l’instant au stade de l’annonce. Même si la France n’est pas en retard par rapport à d’autres pays, on sent bien que l’ensemble reste brouillon et que rien n’est abouti. Ce mouvement permet toutefois au gouvernement de laisser penser qu’il agit, tout en ne chahutant pas le monde bancaire. Tout reste d’ailleurs flou : le ministre de l’économie, Pierre Moscovisci, déclare vouloir « aller plus loin »[10], mais dans le même temps, penche pour une filialisation des activités qui devront être sorties de la maison mère. Affaire à suivre..
David EDY
Pour en savoir plus
– une explication de la question en vidéo : http://www.lafinancepourtous.com/Outils/Mediatheque/Videotheque/Les-interviews-de-l-IEFP/Faut-il-separer-les-banques-de-depot-et-les-banques-d-investissement
– Le projet de réforme bancaire : http://www.economie.gouv.fr/files/projet-loi-reforme-bancaire.pdf
– Revue banque N° 742
– Revue Banque N° 749
– Revue Banque N°754 Bis
– L’étude réalisée par Natixis sur le sujet : https://docs.google.com/viewer?a=v&q=cache:o1ZA1vhmy1IJ:cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id%3D60845+natiis+séparation+de+la+banque&hl=fr&gl=fr&pid=bl&srcid=ADGEESg7hHlLYhLHaYfT1wFUq14KKVl9KbkMG1o-iW_jSqLMVh6uzmtFjj8N8-gYbzJE6QQGQvzd1AyAqa37wWhXLe4JJMg21Hs5sAS8xAFUN78P7rLe_IXcUysilaZfM2IIBFLG3_Rc&sig=AHIEtbTi8Yd10GVHQKsSGNHL9ASi0jHpHA
– «réforme bancaire – Berlin cherche une position commune avec Paris», les échos.fr, le 17 janvier 2013 :
– François Meunier, « démembrer les banques ou renforcer leur capital ? » : http://dfcg-blog.org/2012/12/20/demembrer-les-banques-ou-renforcer-leur-capital/
[1] Définition fournie par le dictionnaire en ligne Larousse
[2] Article L511-1 du Code Monétaire et Financier
[3] http://www.economie.gouv.fr/files/projet-loi-reforme-bancaire.pdf
[5] Revue Banque N°742.
[6] MIchel Troege, Revue banque N° 754Bis
[7] https://docs.google.com/viewer?a=v&q=cache:o1ZA1vhmy1IJ:cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id%3D60845+natiis+séparation+de+la+banque&hl=fr&gl=fr&pid=bl&srcid=ADGEESg7hHlLYhLHaYfT1wFUq14KKVl9KbkMG1o-iW_jSqLMVh6uzmtFjj8N8-gYbzJE6QQGQvzd1AyAqa37wWhXLe4JJMg21Hs5sAS8xAFUN78P7rLe_IXcUysilaZfM2IIBFLG3_Rc&sig=AHIEtbTi8Yd10GVHQKsSGNHL9ASi0jHpHA
[8] pour un récapitulatif des personnalités en faveur : http://www.les-crises.fr/separation-gouvernemen/
[9] « réforme bancaire – Berlin cherche une position commune avec Paris », les échos.fr, le 17 janvier 2013
[10] Les échos, le 30 janvier 2013, « loi bancaire : la gauche veut élargir le périmètre des activités spéculatives »