La résurrection du gage de stock commercial

Cass., comm., 19 février 2013, nº 11-21.763


Les doutes sont dissipés, les discussions, terminées : des deux gages constitués par des professionnels qui pouvaient porter sur ses stocks — celui du droit commun et celui du Code de commerce — c’est, selon cet arrêt tout récent de la Cour de cassation[1], celui de la loi commerciale qui s’appliquera, exclusivement, dès lors que ses conditions sont réunies. Les hauts juges n’opèrent ici rien de moins que la résurrection du gage de stock commercial, mécanisme mal conçu, mal adapté, et par conséquent peu utilisé…


Il s’agissait, dans cet arrêt, des conséquences de la liquidation judiciaire d’une société : une banque demandait la réalisation du pacte commissoire[2] qui accompagnait le gage sans dépossession consenti sur son stock par son débiteur, pour garantir un prêt qu’elle lui avait fait, et que le débiteur, étant en liquidation judiciaire, n’avait pas remboursé.

Les juges du fond ont tous reconnu que la banque était devenue propriétaire du stock. Le nœud de la question était en effet le régime du gage : devait-on appliquer le droit commun du Code civil (art. 2333 du C. civ.), où le pacte commissoire est admis ? ou le régime spécifique du gage de stock du droit commercial (art. L. 527-1 et suivants du C. comm.), où ce pacte ne l’est pas ? La cour d’appel de Paris, la première, se prononça pour la liberté contractuelle[3] : les parties pouvaient choisir librement quel régime appliquer, donc le pacte commissoire était valable.

C’est cette solution que brise par l’arrêt du 19 février 2013 la Cour de cassation, dans un attendu qui ne s’embarrasse pas de détails : « en statuant ainsi, alors que, s’agissant d’un gage portant sur des éléments visés à l’article L. 527-3 du code de commerce, les parties, dont l’une est un établissement de crédit, ne peuvent soumettre leur contrat au droit commun du gage de meubles sans dépossession, la cour d’appel a violé l’article 2333 du code civil par fausse application et l’article L. 527-1 du code de commerce par refus d’application ».

La concurrence entre les deux mécanismes prend ainsi fin, et le vainqueur est quelque peu surprenant, tant il était mal armé face au gage souple et efficace du Code civil (I). Par ailleurs, la solution de la Cour tranche certes le débat doctrinal, mais on peine à en comprendre les fondements (II).

 

I. Une concurrence déloyale entre les deux mécanismes : les insuffisances du gage commercial de stock

 

L’ordonnance du 23 mars 2006, issue des travaux de la commission Grimaldi, a profondément réécrit le droit des sûretés en France, afin de l’adapter aux exigences nouvelles de la pratique. L’un des axes de la réforme a été la simplification du gage, qui, désormais, peut toujours être sans dépossession (art. 2337), et porter ainsi sur des choses futures (art. 2333, al. 1er). C’est, en creux, la consécration d’un gage de droit commun portant sur les stocks — principale richesse des entreprises, qui est indispensable à l’activité (d’où l’absence de dépossession), qui doit pouvoir continuer à être utilisée (d’où la possibilité, révolutionnaire, pour le constituant d’user et de disposer du bien gagé, art. 2342), et qui va être régulièrement renouvelé dans le temps (d’où la nécessité que la sûreté porte sur des choses futures).

Le gage sans dépossession de choses fongibles se suffisait à lui-même, mais la chancellerie rajouta, au grand dam de la majorité de la doctrine[4], un nouveau gage spécial dans le Code de commerce : le gage de stock commercial, qui ne peut être conclu qu’entre un établissement de crédit et une personne morale ou une personne physique agissant dans le cadre de son activité professionnelle. L’on se trouva donc face à deux mécanismes pouvant servir dans la même situation : le gage spécial devait-il s’appliquer impérativement ? ou pouvait-il être écarté par les parties ?

La question n’est pas doctrinale, tout au contraire. Le gage de stock commercial a en effet un régime très rigide : il doit comporter des mentions obligatoires spécifiques, à peine de nullité ; il doit être inscrit dans les quinze jours de sa constitution, à peine de nullité ; le seuil de renouvellement[5] de l’assiette est fixé obligatoirement à 20 % de la valeur du stock ; le pacte commissoire est prohibé. Alors que le droit commercial est traditionnellement moins protecteur des parties, qui sont des professionnels, le législateur a mis en place un gage très formel, et donc malcommode dans la vie des affaires[6].

Pour trancher entre les deux régimes, la maxime Specialia generalibus derogant est inapplicable, car ils ont été adoptés en même temps, non l’un après l’autre. En effet, cet adage ne peut jouer que si l’un des textes en présence est clairement dérogatoire à l’autre, ce qui, traditionnellement, résulte du fait qu’il a été adopté après le texte que l’on dira « général ». Lorsque les deux textes ont été votés en même temps, la jurisprudence considère le plus souvent que l’intention dérogatoire du législateur n’est pas établie, donc que la maxime Specialia generalibus… ne joue pas. Restait donc l’argument de la liberté contractuelle, soutenu par celui de l’absence d’utilité du régime spécial — que P. Crocq, membre de la commission Grimaldi, utilise pour favoriser le libre choix des parties[7].

 

Permettre aux parties de choisir devait revenir à faire disparaître en pratique le gage de stock commercial, qui ne présentait aucun intérêt pour des professionnels. C’était d’ailleurs bien ainsi que la doctrine l’entendait : à défaut d’abrogation formelle, on en serait arrivé à une abrogation de facto. La Cour de cassation a refusé très nettement cette disparition du gage de stock commercial dans l’arrêt du 19 février 2013.

 

 

II. Les obscurs fondements de la solution retenue

 

La cour d’appel de Paris, dans l’arrêt cassé, s’était décidée en faveur du libre choix des parties, pour deux raisons. D’une part, l’article L. 527-1 du C. comm. emploie le mot « peut » : « tout crédit consenti […] peut être garanti par un gage sans dépossession des stocks » ; et, d’autre part, si l’article 2354 du Code civil dispose que le droit commun des sûretés n’empêche pas l’application des régimes spéciaux prévus hors du code, cela ne signifie pas que ces régimes spéciaux soient impératifs par rapport au droit commun.

Les arguments avaient une valeur certaine[8] — en particulier celui de la lettre du texte. La Cour de cassation refuse pourtant catégoriquement la solution de la cour d’appel, et l’on peine à discerner pourquoi. En effet, la Cour ne prend pas la peine de réfuter dans le détail l’argumentation des juges du fond, elle se contente d’affirmer que, lorsque l’on se trouve dans le champ d’application de l’article L. 527-1, celui-ci joue obligatoirement. La formule de l’arrêt est péremptoire et peu explicite quant à son fondement.

Il revient donc au juriste d’essayer de trouver la base du raisonnement des hauts juges. Pour ce faire, on pourrait relever que le régime du gage de stock commercial a un « aspect d’ordre public » : deux cas de nullité sont prévus en onze article, avec aussi un cas de clause réputée non écrite (donc annulée). Si l’on ne peut pas lier indissolublement la sanction par la nullité et l’ordre public, il n’en demeure pas moins que ces notions fonctionnent très souvent ensemble[9]. Le législateur aurait ainsi conféré au gage de stock commercial une sorte d’impérativité, qui ne ressortirait pas de la rédaction même de la loi, mais plutôt du formalisme et de la rigidité du mécanisme.

Il est également possible que la Cour ait opéré, en silence, une sorte de balance des intérêts : comme d’ordinaire, le formalisme vise à protéger une partie, présumée plus faible qu’une autre — ici, le professionnel, qui serait en danger face à l’établissement de crédit. On se trouve donc face à deux solutions inconciliables :privilégier la liberté contractuelle ou privilégier la protection du constituant du gage. Suivant ici le législateur, la Cour de cassation a préféré la protection du constituant, alors qu’elle aurait pu s’appuyer sur la lettre de la loi et sur la nature des relations d’affaires, où priment le pragmatisme, la rapidité et la sécurité[10], et non un formalisme issu « du début du siècle dernier ! »[11].

 

Au-delà de ces considérations, l’on ne peut que regretter que la Cour régulatrice, qui sait adapter, contourner voire tordre les lois dans certains cas, ne fasse pas application ici de sa faculté discrète de création du droit. Le régime du gage de stock du Code civil est « aussi superflu qu’anachronique », comme le dit bien R. Dammann[12] : là où la commission Grimaldi avait cherché à assouplir le système des sûretés réelles français, pour le simplifier, l’unifier, l’adapter aux nouvelles exigences du commerce et le rendre attractif aux yeux des praticiens étrangers, le législateur français a consacré un énième régime spécial, doté de conditions spécifiques de formation ad validitatem, que les parties ne peuvent, désormais, plus contourner. L’on peut espérer, en dernier recours, que la Cour de cassation ait cherché, dans cet arrêt très largement publié, à attirer l’attention du législateur, et qu’en définitive, elle n’ait ressuscité l’inutile gage de stock commercial que pour le faire abroger rapidement par la loi.

Sebastien JARRY
M1 Droit notarial
Université Paris 2
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NOTES

[1] Cass., comm., 19 février 2013, nº 11-21.763, FS-P+B+R+I : obs. Th. de Ravel d’Esclaponle sur Dalloz actualités, 22 février 2013 (http://www.dalloz-actualite.fr/essentiel/gage-des-stocks-exclusivite-du-regime) ; Lexbase Hebdo – édition affaires, 28 février 2013, nº 329, obs. V. Téchené.

[2] Le pacte commissoire est une clause d’une sûreté réelle stipulant que le créancier deviendra automatiquement propriétaire de la chose donnée en garantie, du seul fait de la défaillance du débiteur. Cela écarte donc l’intervention du juge. Ce pacte est licite depuis 2006 (art. 2348 du C. civ. pour le gage).

[3] CA Paris, 3 mai 2011 : RTD civ., 2011, 785, obs. P. Crocq ; RD bancaire et fin., 2011, comm. nº 166 A. Cerles.

[4] R. Dammann, D., 2006, p. 1298.

[5] Le seuil de renouvellement est le niveau de baisse à partir duquel le constituant, ayant utilisé les biens donnés en gage, les ayant aliénés, doit en fournir de nouveaux, pour maintenir l’assiette globale du gage à un niveau identique. Ce seuil est fixé librement par les parties en droit commun.

[6] P. Crocq, RTD civ., 2011, 785.

[7] ibid.

[8] V. Téchené, Lexbase Hebdo – édition affaires, 28 février 2013, nº 329.

[9] J. Hauser et J.-J. Lemouland « Ordre public et bonnes mœurs », Rép. civ. Dalloz, mars 2004, mise à jour janvier 2012, nº 191.

[10] D. Houtcieff, Droit commercial, éd. Sirey, 2008, 2e éd., nº 36.

[11] R. Dammann, loc. cit.

[12] ibid.

 

Illustration : de Gwan Kho sur Flickr (http://www.flickr.com/photos/gwankho/6205837092/) licence Creative Commons (attribution)

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