Avec l’émergence du Web 2.0 et notamment des sites de partage de vidéos (1 milliard visionnées par jour sur Youtube), est apparue une nouvelle forme d’atteinte aux prérogatives du titulaire de droits sur les oeuvres de l’esprit aussi imprévisible que dangereuse: la communication sur le réseau, de contenus protégés par le droit d’auteur.
Si, à l’origine, Youtube était plutôt destiné à la diffusion de vidéos amateur (User Generated Content), il n’est pas rare aujourd’hui d’y voir des clips musicaux et des sketchs dont le court format se prête à ce type d’échange. Or, ceux-ci sont soumis au droit d’auteur. En d’autres termes, le titulaire de droit sur une oeuvre originale a la faculté d’autoriser ou d’interdire l’utilisation de son oeuvre. Par conséquent, chaque création protégée par le droit d’auteur devrait faire l’objet d’un accord avant d’être diffusée sur Youtube. Évidemment, la réalité est tout autre. Dès lors, d’un outil pratique et indispensable, « Internet est devenu source de dommage et donc de responsabilité ».
Face à la prolifération des actions en justice intentées par les titulaires de droit, les plates-formes UGC défendent la qualification d’hébergeur et le régime de responsabilité qui en découle. Les textes de référence sont la directive 2000/31 dite ‘commerce électronique’, transposée par la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21/06/04 dite ‘LCEN’. Cette dernière définit l’hébergeur dans son article 6-I-2 comme toute « personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, (…) le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ». Cette définition est volontairement large, et il ressort des travaux préparatoires européens et nationaux que cette qualification ne vise pas seulement le stockage technique, mais a vocation à s’appliquer à différents acteurs d’Internet (web-forum, flux RSS, plate-forme UGC et ecommerce). Cela étant, la définition du fournisseur d’hébergement peut laisser dubitatif. En effet, en définissant largement l’activité d’hébergeur, plusieurs catégories de prestataires offrant des services différents, peuvent bénéficier de cette qualification. Or, il est patent que la violation du droit d’auteur est beaucoup plus présente sur un site de vidéo que sur un web-forum.
Les prestataires de service désirent systématiquement être qualifié d’hébergeur en raison du régime de responsabilité qui s’y rapporte. En effet, selon la LCEN, un hébergeur ne pourra être civilement responsable des contenus qu’il héberge « si [il n’avait] pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où [il] en a eu cette connaissance, [il a] agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible ». Le fait générateur de responsabilité réside dans le triptyque : savoir, pouvoir, inertie. Dès lors qu’on lui notifie un contenu présentant un caractère illicite, l’hébergeur a l’obligation de le retirer. Ce système qui existe en droit américain sous l’empire du Digital Millenium Copyright Act (1998) est nommé Notice & Take down.
Il convient de rappeler que lors de l’élaboration de la LCEN, le Conseil Constitutionnel, a posé une réserve d’interprétation : l’hébergeur ne pourrait être tenu responsable que des contenus présentant un caractère manifestement illicite. Il ne revient pas à un acteur privé de se constituer juge de l’illicite. Cette précision a une grande importance : si pour les contenus odieux et racistes, Youtube n’a aucune marge d’appréciation, il en est autrement pour le droit d’auteur qui ne relève pas de cette catégorie. En effet, comment s’assurer que la personne qui a mis en ligne le contenu litigieux est le titulaire des droits ?
Néanmoins, désireux de ne pas s’exposer à des poursuites judiciaires pour ne pas avoir réagi promptement, les plates-formes UGC ont tendance à retirer systématiquement un contenu qui leur a été notifié. Il est vrai que ce système ne satisfait pas les titulaires de droit qui ne disposent que d’un moyen d’action : la notification, elle-même soumise à un formalisme rigoureux.
Mécontents, ces derniers ont tenté de conférer la qualité d’éditeur, aux sites de vidéos en ligne. Qualification qui n’est pas sans incidence en ce qu’elle entraîne un régime de responsabilité plus sévère mettant à la charge de l’éditeur une obligation de surveillance à priori. Les ayants- droit ont avancé deux arguments: l’un technique et l’autre économique. Le premier consiste en l’organisation du site, mais aussi des contenus de sorte que la plate-forme opère un véritable choix éditorial. Par exemple, les featured videos sur la page d’accueil de Youtube, témoignent du tri opéré parmi les millions de vidéos disponibles. Le second, quant à lui, se déduit de l’activité de régie publicitaire, principale source de revenu des plates-formes UGC.
Si les juges du fond refusent de reconnaître la qualité d’éditeur aux sites de vidéos en ce qu’ils n’éditent aucun contenu des fichiers mis en ligne (TGI Paris, 15/04/08, Lafesse/Dailymotion), la Cour de cassation, dans un arrêt récent, semble relancer le débat en consacrant le critère de l’intérêt financier. Bien que rendu sous l’empire d’une loi ancienne, la Cour dans un arrêt du 14/01/10, considère que, le fait pour un site, de proposer aux annonceurs de mettre en place, directement sur ces pages, des espaces publicitaires payants, excède les simples fonctions techniques de stockage et par conséquent, n’est pas sujet au régime de responsabilité atténuée.
Aussi, peut-être, faut-il voir dans cet arrêt, une avancée vers une responsabilité objective fondée sur la théorie du risque-profit. Celui qui tire profit d’une activité doit en supporter les charges, ce qui englobe l’indemnisation des dommages qu’elle provoque. Ainsi, dès lors qu’une activité est exercée dans l’intérêt pécuniaire d’une personne, cette dernière est tenue responsable en dehors de toute faute. Puisque, Youtube a un intérêt direct à ce que les internautes visionnent le plus de vidéos sur son site, la nature de ces vidéos est loin d’être neutre.
Le critère de l’intérêt financier apparaît néanmoins contestable dans la mesure où il se place en totale contradiction avec une directive désirant favoriser le commerce électronique et le développement d’Internet. De plus, la LCEN, en définissant l’hébergement, précise que cette activité peut également être exercée à titre gratuit, plaçant ainsi la gratuité en exception et le caractère lucratif en principe. Raisonner comme le fait la cour de cassation reviendrait donc à distinguer là où la loi ne distingue pas, et ubi lex non distinguit…
Conscientes des critiques sur la mansuétude des dispositions de la LCEN, les plates-formes UGC ont rapidement accepté de se voir imposer des obligations supplémentaires. Des techniques de filtrage (fingerprinting) reposant sur des bases de données mises à la disposition des titulaires de droit dans le but de recueillir des empreintes numériques sont mises en œuvre. La jurisprudence leur a également imposé une obligation de surveillance ciblée pour des contenus déjà notifiés. Si un contenu ‘A’ a été notifié puis supprimé de la plate-forme, cette dernière doit s’assurer qu’il ne réapparaîtra pas sur son site (Take down, stay down).
Néanmoins la solution du filtrage systématisé n’est pas exempte de tout risque. Le prestataire, en contrôlant le contenu mis en ligne ne serait plus considéré comme un simple hébergeur. De manière plus générale, des dommages collatéraux sont envisageables sur le plan de la liberté d’expression. Il s’agit là d’un véritable choix qui porte sur la nature et le fonctionnement d’Internet. Choix auquel le lecteur est renvoyé…
Giovanna N.
Mathieu B.
Pour en savoir plus |
TGI Paris, 15/04/08, Lafesse/Dailymotion
Cass, 1ere civ, 14/01/10, Tiscali/Dargaud Lombard
RLDI, 2009/48, n°1593 |