La Responsabilité de l’Etat en milieu carcéral


La France a le taux le plus élevé de suicide en prison des pays européens, 109 détenus se sont suicidés en prison en 2010 soit environ un suicide tous les trois jours.

 

Ainsi en 2009, l’OIP[1] avait invité le Parlement à prendre la mesure de la profonde dégradation de la situation carcérale conduisant les détenus à mettre fin à leur jour. Il avait alerté les parlementaires sur cette augmentation de la mortalité et des phénomènes de violences intramuros qui pouvaient être la cause du passage à l’acte. Les facteurs suicidogènes sont nombreux et varient d’un détenu à l’autre. Mais les causes que l’on rencontre  le plus souvent tiennent aux conditions de vie en prison.


Un autre problème en milieu carcéral réside dans la violence entre codétenus qui peut prendre des formes multiples (racket, bagarres, violences diverses… ). Ces violences pouvant conduire au décès de détenus, comme ce fut le cas en 2004 pour M. Agassucci, battu à mort par deux autres codétenus. Les causes de ces violences sont multiples, d’autant plus que prévenir la violence est une tâche ardue pour les autorités pénitentiaires qui n’arrivent pas à y faire face. L’Etat voit ainsi sa responsabilité engagée.

I.   Le système carcéral français pointé du doigt par le juge administratif

 

 

L’Etat est le garant du bon fonctionnement du milieu carcéral. C’est  la jurisprudence qui a reconnu tout d’abord l’existence d’une faute manifeste d’une particulière gravité puis celle d’une faute lourde[2]. Une évolution supplémentaire a été introduite abandonnant ainsi l’exigence de la faute lourde lorsque le suicide d’un détenu n’était pas prévisible[3].

Le recul des mesures d’ordres intérieur notamment depuis l’arrêt « Marie » on fait également évoluer la jurisprudence. En effet, dans une affaire particulièrement récente[4], la responsabilité de l’Etat a été engagée du fait  du décès du détenu. Le juge administratif par son action facilite l’engagement de l’Etat à raison des fautes commises par l’administration pénitentiaire. Le législateur  dans la loi de 2009 a suivi ce chemin afin que l’Etat remplisse pleinement ses obligations et notamment celle de protéger chaque détenu.

C’est par une appréciation in concreto que le juge administratif évalue la faute. Il contrôle si le dommage aurait pu être anticipé et si toutes les mesures ont été prises pour l’éviter. En matière de suicide l’état psychique ou les antécédents du détenu sont pris en considération.

De même, en matière de violences entre codétenus les comportements antérieurs de l’auteur des violences devront être pris en considération ainsi que les mesures préventives nécessaire pour éviter ces violences[5]. Le juge administratif est très vigilant sur leurs mises en place.

La loi de 2009 a ainsi introduit une obligation de résultat de l’administration pénitentiaire concernant les violences commises par des détenus sur d’autres détenus à l’exception de celles commises sur les détenus par les responsables carcéraux. Quid juris lorsqu’un détenu succombe à des violences commises par un membre de l’administration pénitentiaire ?

Le système législatif et jurisprudentiel est à présent harmonisé, cependant la France est toujours pointée du doigt par la CEDH.

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II.   Le système carcéral français pointé du doigt par la CEDH

 

 

En 2002 la France été condamnée par la Cour de Strasbourg dans l’arrêt Mouisel c/ France[6] sur le fondement de l’article 3. En 2004, la Cour européenne réaffirme le principe selon lequel il appartient à l’Etat de s’assurer que la privation de liberté est compatible avec le respect de la dignité humaine[7], notamment lorsque cela concerne la santé des détenus. Plus récemment la CEDH dans un arrêt du 16 octobre 2008 a condamné la France pour violation de l’article 2 et de l’article 3 de la Convention à la suite du placement en cellule disciplinaire de M. Renolde qui s’est suicidé du fait d’un placement inapproprié par rapport à ses troubles mentaux. La Cour maintient sa position dans un arrêt très récent Raffray Jaddei c/ France en date du 21 decembre 2010, rappelant  ainsi à la France qu’il appartient à l’Etat de s’assurer que la privation de liberté est compatible avec le respect de la dignité humaine et en particulier lorsque cela touche à la santé d’un détenu. En l’espèce ce détenu incarcéré depuis 1998 souffrant de graves problèmes de santé et dont l’administration n’aurait pas tenu compte.

Tous ces cas d’espèces condamnant l’Etat français, nous rappellent que les détenus demeurent des citoyens comme les autres qui ne doivent pas seulement être privés de leur droit d’aller et venir et qu’en aucun cas les établissements pénitentiaires ne peuvent être des zones de non droit privant ainsi les détenus de leur dignité voire de leur vie.

Aline Gonzalez
 

Notes

[1] Observatoire international des prisons.

[2] CE 4 janv 1918, 2 espèces – Mineurs Zulmémaro, Duchesne, Rec – CE 3 oct 1958 Rakotoarinoky, JCP 1958 II n°10845

[3] CE 23 mai 2003 Chabba JCP A 2003. 44 s « le suicide est la conséquence directe d’une succession de fautes imputables au service pénitentiaires ».

[4] CE 17 décembre 2008 – Garde des Sceaux, ministre de la justice c/ M et Mme Zaouiya

[5] CA Nancy 20 déc 2007 – M Kocskas, req n° 07NC00119

[6] CEDH 14 novembre 2002 n°67263/01 ; D 2003.303 note H. Moutouch ;Ibid 2003. 524, obs. J-F Renucci.

[7] CEDH, 14 dec 2004 , Gelfman c/ France

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