Le Petit Juriste vous propose de revenir sur une question très médiatisée du droit des affaires. Les années 2000 ont été marquées par différents scandales, qui ont fait connaître au grand public les termes de « parachute doré », « retraite chapeau », « stock-options » ou encore « golden hello ». Pour compléter ce panorama des règles en vigueur et des différentes recommandations des organisations professionnelles, Le Petit Juriste a recueilli les avis d’un magistrat, d’un professeur et d’un praticien.
Président Daniel Tricot Président Honoraire de la Chambre commerciale, financière et économi-que de la Cour de cassation |
Professeur Michel Germain Professeur de droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas |
Maître Valérie Lemaitre Avocate Associée du Cabinet d’avocats Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP |
Indemnité de départ de Jean-Marie Messier chez Vivendi, retraite complémentaire de Daniel Bernard chez Carrefour, ou encore doute sur les conditions d’exercice des stock-options chez EADS… autant de scandales liés aux rémunérations des dirigeants qui ont rythmé le débat public ces dernières années. Face à la médiatisation et à la politisation de cette problématique, les pouvoirs publics ainsi que les organisations professionnelles ont tenté de réagir.
Ce n’est que depuis le début des années 2000 que la rémunération des dirigeants est un réel sujet de débat au Parlement. Cette évolution coïncide avec l’intégration en droit français des principes de gouvernement d’entreprise (« corporate governance ») provenant d’outre-Atlantique. Première étape de cette marche vers la transparence, la loi NRE[1] est venue imposer dans toutes les sociétés une obligation de communiquer le montant total des rémunérations versées à chaque mandataire social dans le rapport annuel présenté à l’Assemblée générale.
Dans un second temps, alors que les scandales des rémunérations avaient frappé l’opinion publique, la loi Breton de 2005[2] a renforcé cette obligation de transparence et a étendu l’application de la procédure des conventions règlementées. Enfin, la loi TEPA [3] de 2007 a soumis l’attribution d’indemnités de départ à des critères de performance.
L’équilibre est difficile à atteindre pour le législateur, accusé par certains de laxisme et par d’autres de dirigisme. Le choix de l’autorégulation est donc depuis peu privilégié : l’Afep (Association des Entreprises Privées) et le Medef (Mouvement des Entreprises de France) ont rassemblé un certain nombre de recommandations dans un code de gouvernement d’entreprise[4]. L’accent est porté sur la régulation interne par le biais de comités de rémunération chargés d’influer sur la politique de rémunération du Conseil d’administration.
Quel bilan faire des nombreuses interventions du législateur dans les années 2000 ?
Daniel Tricot : « Il y a eu beaucoup de textes sur la rémunération des dirigeants ces dernières années. On a connu une évolution absolument considérable en dix ans : ce qui était à l’origine vraiment secret, je ne dis pas honteux, mais secret, apparaît désormais ouvert à une certaine transparence, à une réflexion et à une stratégie. Maintenant je suis sûr qu’il est temps d’arrêter de légiférer et qu’il faut laisser les choses se reposer. Il faut que la loi cesse de fixer de nouvelles normes, celles qui existent devant être mises en pratique. »
Michel Germain : « En réalité la loi a tout de même une plus grande force et une plus grande précision que le code Afep-Medef. Certes l’autorégulation est une idée très chère aux professionnels. Les principes de « corporate governance » nés aux Etats-Unis étaient une forme d’autorégulation. Puis, après l’affaire Enron, est arrivée une vraie loi contraignante : la loi Sarbanes-Oxley. Souvent l’autorégulation se révèle un processus de fabrication d’une règle légale. Il peut y avoir aussi une autorégulation sous contrainte ; c’est ce qui s’est passé avec le code des rémunérations de 2008. Je ne suis pas sûr que ces recommandations en matière de rémunération eussent été appliquées sans la menace du pouvoir exécutif. »
Vers la fin du cumul contrat de travail et mandat social ?
« Bannir le cumul d’un contrat de travail avec un mandat social », c’est en ces termes que le rapport Houillon intitule son paragraphe concernant le cumul d’un mandat social et d’un contrat de travail[5].
Le cumul place le dirigeant social dans une situation hautement favorable : d’une part il bénéficie des fortes rémunérations au titre de son mandat social et d’autre part il reçoit la protection juridique du contrat de travail. Or, l’une des justifications d’un tel niveau de rémunération est justement l’insécurité du statut de mandataire social. C’est la raison pour laquelle la loi et la jurisprudence ont défini des règles strictes de cumul.
Concernant le dirigeant social administrateur, la loi exige que le contrat de travail soit antérieur à la fonction d’administrateur, que l’emploi de salarié soit effectif et que le nombre d’administrateurs liés par un contrat de travail ne dépasse pas le tiers des administrateurs en fonction[6]. Enfin, concernant le dirigeant social n’ayant pas la fonction d’administrateur, la Cour de cassation a décidé qu’il fallait que la fonction de salarié corresponde à un emploi effectif.
Une incompatibilité juridique et éthique
Cette condition de l’emploi effectif requiert que le salarié soit lié par un lien de subordination avec la société, qu’il exécute une fonction spécifique et séparée de celle de son mandat social et qu’il bénéficie d’une rémunération distincte.
Dès lors, pour qu’un dirigeant d’une SA cotée puisse valablement cumuler son mandat social avec un contrat de travail, il doit obligatoirement être lié par un lien de subordination avec la société qu’il dirige… Très clairement, tant sur un plan juridique qu’éthique, le cumul d’un contrat de travail et d’une fonction de dirigeant mandataire social dans une SA cotée paraît impossible. Conscient de cette incompatibilité, et en prenant en compte la carrière du mandataire social, le juge a imaginé une suspension du contrat de travail si l’une des conditions du cumul n’est pas remplie[7].
Par ailleurs, le Code de gouvernement d’entreprise de l’Afep et du Medef recommande aux entreprises qui renouvellent les mandats de leurs dirigeants de mettre un terme aux contrats de travail. La loi du 3 juillet 2008[8] a donné un appui à ce texte en établissant un mécanisme d’application : on respecte les dispositions, ou à défaut, on justifie pourquoi on ne les applique pas (le « comply or explain »). Il est encore tôt pour faire un bilan, mais l’AMF souligne que la pratique du cumul tend effectivement à disparaître lors des renouvellements de mandats sociaux.
Quelle est la force juridique du code Afep-Medef ?
Michel Germain : « C’est une question difficile car à l’origine le code Afep-Medef était une sorte de recommandation déontologique, un bon comportement que l’on attendait des entreprises, sans force juridique. Il faut peut-être que les professionnels se méfient de ces codes pour une raison juridique qui est que l’on peut imaginer que les juges se servent de ces codes comme reflétant le standard du bon père de famille. A partir de ces codes le juge pourrait dire : « vous n’avez pas fait ce que prescrit le code, vous n’êtes donc pas un bon père de famille et vous êtes alors responsable civilement des dommages». Il y a un biais auquel les fabricants de codes n’ont pas forcément pensé mais qui peut avoir des effets réels. Mais cette observation générale est pour une part périmée, maintenant que le droit français connaît le principe « comply or explain ».
Valérie Lemaitre : « D’un point de vue juridique, nous sommes sur un terrain non contraignant puisqu’il n’y a pas, en tant que telle, d’obligation de respecter de simples recommandations. Mais la pression médiatique qui a accompagné ces nouvelles règles et le poids de plus en plus important que prennent les agences de recommandation de vote pour les assemblées des actionnaires font que les sociétés sont très souvent, de fait, contraintes de les respecter ; c’est à tout le moins le cas dans les sociétés dans lesquelles l’actionnariat est dispersé et où le vote des renouvellements de mandats, des résolutions relatives aux rémunérations différées et aux stock-options et actions gratuites n’est pas acquis. »
Quelles règles pour les rémunérations courantes ?
Le dirigeant social d’une SA cotée bénéficie au titre de sa fonction d’une rémunération déterminée par le Conseil d’administration que l’on peut qualifier de « courante » ; cela vaut tant pour le Président du Conseil d’administration que pour les Directeurs généraux et Directeurs généraux délégués[9].
Cependant, le droit des sociétés admet la possibilité de demander l’avis d’un comité de rémunération. Cet organe est mis en place par le Conseil d’administration ou le Conseil de surveillance et a pour but de les placer dans les meilleures conditions pour déterminer les rémunérations des dirigeants. Il ne peut avoir qu’un rôle consultatif.
Au-delà de la rémunération fixe, les rémunérations courantes sont laissées à la liberté contractuelle, de sorte que fréquemment, le dirigeant social bénéficie, outre des avantages en nature, d’autres types de rémunérations.
L’encadrement de la part variable
Ainsi, la quasi-totalité des dirigeants sociaux de SA cotées se voient octroyer une rémunération variable appelée parfois « bonus ». Leur encadrement juridique se limite principalement à l’obligation d’information auprès de l’Assemblée générale, le Conseil d’administration devant préciser les « critères » ou les « circonstances » ayant conduit à leur octroi. Le législateur n’a pas défini de manière précise ces critères, de sorte que l’adéquation entre les performances économiques de la société et la variation de la rémunération n’est pas toujours totale. C’est la raison pour laquelle l’AMF recommande dans son rapport « que les société précisent le niveau de réalisation attendu des objectifs quantitatifs fixés aux dirigeants mandataires sociaux ».[10]
En outre, le dirigeant social, lorsqu’il est administrateur, bénéficie de jetons de présence. L’enveloppe globale est décidée en Assemblée générale et est répartie par le Conseil d’administration[11]. Il bénéficie aussi des rémunérations exceptionnelles pour les missions ou mandats qui lui sont confiés.
Le point sur les stock-options
Rappelons brièvement leur fonctionnement : une stock-option est une option d’achat futur offerte à un dirigeant sur un certain nombre d’actions de son entreprise. Lorsque le dirigeant décide de lever cette option, c’est-à-dire d’acheter ces actions, il ne les paie pas à leur cours réel, mais au cours qu’elles avaient lorsque les stock-options lui ont été attribuées. L’option ne constitue pas une obligation d’achat. Si le prix réel de l’action est inférieur au prix d’exercice, le dirigeant peut renoncer à exercer son option. Si le prix réel est supérieur, il a, en revanche, intérêt à exercer l’option.
Les stock-options et autres attributions gratuites d’actions sont particulièrement utilisées en France et constituent une part toujours très importante de la rémunération des dirigeants, même si d’après l’AMF la tendance est depuis peu à la baisse.
L’avantage de cet outil pour les entreprises est évident : il est totalement indolore pour la trésorerie car la plus-value se fait sur le cours de l’action et est donc financée par le marché. C’est la raison pour laquelle ce mode de rémunération a été très utilisé par les Start up à partir des années 1990.
Le régime juridique de l’attribution des stock-options peut sembler contraignant car, l’opération touchant le capital de la société, le plan d’attribution de stock-options doit être validé par l’Assemblée générale extraordinaire, qui se décide sur rapport du Conseil d’administration et du Commissaire aux comptes.[12] Lorsque les stock-options sont attribuées au moment où le dirigeant quitte ses fonctions, elles sont soumises aux règles encadrant les rémunérations différées (Cf. ci-dessous, Les parachutes dorés sous le feu législatif).
Un arsenal législatif varié
Comme pour les autres types de rémunération, ce sont les scandales qui ont engendré les règlementations[13]. Le législateur a d’abord cherché à établir des contraintes de conservation, afin de limiter les effets d’aubaine et encourager une gestion à long terme. La loi du 30 décembre 2006 a donc introduit l’idée que les dirigeants devraient garder les stock-options jusqu’à la cessation de leurs fonctions (ce qui est une obligation en cas d’attribution gratuite d’actions).
Puis, c’est l’ajustement des taxations sociales et fiscales des plus-values qui s’est montré être un levier important pour les pouvoirs publics. Par les différentes Lois de Finance et de Financement de la Sécurité Sociale, le législateur a rendu ce mode de rémunération plus coûteux, le rapprochant de plus en plus d’un revenu salarial[14].
Puis, en réaction aux bonus distribués en 2008 par la Société Générale qui avait pourtant sollicité peu de temps avant l’aide de l’Etat, le gouvernement a édicté un décret[15] interdisant les stock-options et attributions gratuites d’actions dans les sociétés aidées par l’Etat. Nous n’insisterons pas plus sur ce point car il s’agissait plus d’une intervention ponctuelle répondant à des nécessités conjoncturelles.
En fin de compte, la mesure la plus novatrice est celle introduite par la loi du 3 décembre 2008 sur les revenus du travail[16] qui impose désormais aux sociétés cotées deux conditions alternatives avant toute attribution de stock-options ou attribution gratuite d’actions : soit procéder à une attribution de stock-options ou d’actions gratuites à l’ensemble des salariés, soit conclure un accord de participation ou d’intéressement dans l’entreprise. Même si bien souvent il s’agit d’une contrainte relative puisque beaucoup de sociétés ont déjà conclu de tels accords, cette disposition a le mérite de proposer la démocratisation des stock-options plutôt que leur interdiction.
Quel avenir pour les stock-options ?
Michel GERMAIN : « Il y a sans doute eu dans les ouvrages de gestion et de management une illusion à propos de ces stock-options : l’idée très répandue dans ce genre de littérature était que les stock-options étaient un moyen un peu miraculeux de faire coïncider les intérêts des actionnaires et ceux des dirigeants. Mais on s’est rendu compte que cette vue était un peu utopique : on a vu avec l’affaire Enron que les dirigeants peuvent être en mesure de piloter la valeur de l’action sans pour autant que cela améliore l’état de la société. En conséquence, certaines grandes sociétés américaines ont pu décider que la meilleure solution était de supprimer cette chose magique qu’étaient les stock-options ; il n’y en a plus dans certaines sociétés. Peut-être que la solution est qu’il n’y en ait plus… Pour les dirigeants, pas pour les salariés. »
Les parachutes dorés sous le feu législatif
D’autres rémunérations sont par nature versées à la fin du mandat social du dirigeant. Il s’agit des « éléments de rémunération, des indemnités ou des avantages dus ou susceptibles d’être dus à raison de la cessation ou du changement [des fonctions de dirigeant], ou postérieurement à celles-ci »[17]. Désignées sous le nom de « rémunérations différées » par les auteurs[18], elles sont plus communément appelées « parachutes dorés ». Cette appellation, prise au sens large, regroupe différents modes de versement.
Ainsi, lorsque le dirigeant quitte ses fonctions, il est régulièrement prévu dans son contrat avec l’entreprise qu’une prime lui sera versée à cette occasion, ce sont les indemnités de départ. De même, après la cessation de ses activités, le dirigeant se voit souvent accorder un complément de retraite ou « retraite chapeau », dispositif entièrement financé par l’entreprise qui vient s’ajouter aux mécanismes de retraite légaux. Ces deux exemples sont les plus courants, mais il est possible que d’autres avantages, tel que les stock-options, soient accordés post-mandat, auquel cas ils seront soumis à la règlementation des rémunérations différées.
Il faut bien distinguer le régime applicable selon que la société est cotée ou non. Depuis la loi Breton du 26 juillet 2005, dans les sociétés cotées, le versement de ces rémunérations est encadré par la procédure des conventions règlementées. Les rémunérations différées sont donc considérées comme une convention passée entre le dirigeant et l’entreprise. Cette conception contractuelle s’oppose à la conception institutionnelle de la rémunération différée retenue sous certaines conditions par la jurisprudence en matière de sociétés non cotées[19].
La performance contre l’abus
D’autres exigences sont apparues avec la loi TEPA du 21 août 2007. Désormais, l’octroi de toute rémunération différée est soumis à des conditions de performance « du bénéficiaire, appréciées au regard de celles de la société». Les éléments de rémunération qui ne respecteraient pas ces conditions de performance sont « interdits ».
Le but des conditions de performance est de subordonner l’octroi de parachutes dorés à l’existence d’une cause qui le légitime. On ne voit pas pourquoi un dirigeant se verrait accorder une indemnité de départ alors que son activité n’a en aucun cas été bénéfique pour la société. Cependant, ni la jurisprudence ni la loi n’en ont donné une définition précise. En réalité, les critères de performance sont laissés à la liberté contractuelle. Dès lors, une appréciation in concreto est nécessaire pour juger s’ils sont effectivement présents.
Comment le juge prend-il en compte les critères de performance ?
Daniel Tricot : « Le juge en France ne veut jamais – mais alors jamais – diriger par personne interposée une entreprise. Quand un juge désigne un administrateur provisoire avec une mission précise, il donne à ce dernier le pouvoir de faire ce qui est nécessaire à titre conservatoire, exploratoire, ou plus, mais c’est à lui de décider et non au juge. Jamais, dans la tradition jurisprudentielle, le juge ne prend une direction de gestion. Je suis très partisan de cela, car le juge n’est pas un dirigeant !
Sur des cas caricaturaux, lorsqu’on est tellement au-delà de la marge raisonnable, ce n’est pas difficile. Je crois que le juge ne sanctionne que les excès très manifestes lorsqu’il n’y a pas de lien objectif, de mesure raisonnable entre la rémunération et l’activité. C’est une chose difficile à faire comprendre car les dirigeants de sociétés pensent toujours que l’on va les attendre seulement sur le terrain pénal. »
Comment le praticien traite-il la question des critères de performance ?
Valérie Lemaître : « Il faut trouver un juste équilibre entre un mécanisme qui donne une réelle protection au dirigeant (qui soit raisonnablement atteignable) et un mécanisme qui soit considéré par les investisseurs comme suffisamment exigeant pour que les actionnaires l’approuvent. Si la résolution n’est pas approuvée, la rémunération votée reste valable mais les conséquences défavorables de la convention peuvent être mises à la charge des intéressés, à savoir le dirigeant lui-même et les membres du Conseil d’administration. Donc on imagine bien que si la résolution n’est pas votée il va y avoir une pression assez forte du conseil auprès du dirigeant concerné pour revoir les dispositions prises afin d’éliminer un risque.»
Une procédure renforcée
C’est un véritable droit spécial des sociétés cotées qui s’est mis en place, ce qui a pour corollaire la complexification de la procédure encadrant les rémunérations différées.
Cette procédure est décrite à l’art L 225-42-1 du code de commerce. La première étape est l’autorisation préalable du Conseil d’administration[20]. Après présentation d’un rapport spécial du Commissaire aux comptes, la convention sera ensuite soumise à l’approbation de l’Assemblée générale. L’intéressé ne pourra prendre part au vote sur la convention ni au Conseil d’administration ni à l’Assemblée générale. L’exigence de transparence sur les rémunérations est renforcée puisque un décret d’application[21] impose la publicité de l’autorisation du Conseil d’administration sur le site internet de la société dans les cinq jours suivant la prise de la décision.
L’encadrement est consolidé non seulement par la soumission aux conditions de performance mais également par l’obligation de l’Assemblée générale de prendre des résolutions spécifiques pour chaque bénéficiaire. Il s’agit donc d’une « approbation renforcée », d’autant plus que cette dernière devra avoir lieu à chaque renouvellement de mandat de l’intéressé.
A propos de ces rémunérations différées, le rapport 2010 de l’AMF est plutôt mitigé. Dans l’échantillon étudié, 50% des sociétés ne précisent pas les conditions et modalités de versement des indemnités de départ.
Perspectives et droit comparé
A l’étranger, d’autres mécanismes sont utilisés à l’image du « say on pay » adopté aux Royaume-Uni en 2002. Ce dispositif consiste à faire voter l’Assemblée générale sur l’ensemble des rémunérations du dirigeant mais seulement à titre consultatif. En conséquence, une désapprobation de l’Assemblée générale n’aurait aucun effet direct sur la validité de la rémunération. Cette méthode, bien que peu contraignante, s’est propagée aux Pays-Bas, en Norvège, en Suède ou encore en Australie[22]. Les Etats Unis, plus récemment, l’ont adoptée dans le Dodd-Frank Act[23].
Pensez-vous qu’une règlementation internationale pourrait intervenir dans les années à venir ?
Michel Germain : « Je suis un peu perplexe sur les règlementations supranationales ; il n’y a qu’à voir ce qui se passe pour les banques. Il existe un sentiment commun, mais de là à passer à une règle de droit positif …Il y a beaucoup de réticence car chaque Etat a ses intérêts propres qu’il conjugue avec l’intérêt de ses propres entreprises. Ceci nous éloigne beaucoup d’une règle commune. »
Quelles seront selon vous les prochaines évolutions sur ce sujet ?
Daniel Tricot : « il faudra admettre que la rémunération d’un dirigeant de société ne va pas toujours en montant et qu’à un moment donné, sûrement entre 55 et 60 ans, s’il veut rester dans la société, il sera sans doute utile qu’il prenne un peu de champ et qu’il perde de la rémunération. Il faut permettre aux 40-50 ans d’être puissants dans l’entreprise. Ce qui suppose que ceux qui approchent la soixantaine s’effacent et jouent un rôle différent : en qualité de dirigeants non exécutifs, participer au comité des rémunérations ou au comité des nominations, ou encore dans une structure duale, tenir pleinement leur rôle au conseil de surveillance sans empiéter sur les attributions des membres du directoire.»
Valérie Lemaître : « Il y a eu très clairement une modification et une harmonisation des pratiques. Les nouveaux packages de rémunération mis en place devraient être de nature à éviter le type de scandales qu’on a pu connaitre, car les nouvelles règles ont amené beaucoup plus de mesure dans la pratique. »
Pour conclure sur une note optimiste, gageons que les scandales que nous vivons depuis dix ans sont finalement les soubresauts d’une évolution vers plus de transparence. Ce qui était tabou et privé hier est aujourd’hui dévoilé et commenté. A une époque où la communication est reine, ces affaires de rémunérations ont un impact de plus en plus conséquent sur l’image des entreprises. C’est sans doute la forme d’autorégulation la plus efficace…
Antoine BOUZANQUET
MBA Droit des Affaires et Management/Gestion – Paris II
Antoine DUFRANE
Magistère Juristes d’Affaires – DJCE – Paris II
Yohann SMADJA
Magistère Juristes d’Affaires – DJCE – Paris II
Notes:
[1] Article L225-102-1 du Code de commerce issu de la loi sur les nouvelles régulations économiques n°2001-420 du 15 mai 2001 ; La loi de sécurité financière de 2003 a restreint le champ d’application de cette obligation en n’y soumettant que les sociétés cotées, et les sociétés non cotées mais contrôlées par une société cotée
[2] Loi n° 2005-842 pour la confiance et la modernisation de l’économie du 26 juillet 2005
[3] Loi sur le travail, l’emploi et le pouvoir d’achat n° 2007-1223 du 21 août 2007
[4] www.code-afep-medef.com
[5] Rapport d’information sur les rémunérations des dirigeants mandataires sociaux et les rapports de marché présenté par le député Phillippe Houillon, p.74
[6] Article L225-22 du Code de commerce
[7] Cour de cassation, Chambre commerciale, du 12 décembre 1990, n°87-40596
[8] Loi n° 2008-649 du 3 juillet 2008 qui est une transposition des dispositions de la directive 2006/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006
[9] Articles L225-47 et L225-53 du Code de commerce
[10] Rapport de l’AMF sur le gouvernement d’entreprise et la rémunération des dirigeants p.9
[11] Article L225-45 du Code de commerce
[12] Articles L. 225-177 et L. 225-179 du Code de commerce
[13] Notamment les 12,9 millions d’euros pour Antoine Zacharias, ex-PDG du groupe de BTP Vinci, en 2006, et la même année les 8,2 millions d’euros pour Noël Forgeard, ex coprésident d’EADS
[14] Rapport Houillon sur les rémunérations des dirigeants mandataires sociaux et des opérateurs de marchés, 2009, p. 60
[15] Décret n° 2009-348 du 30 mars 2009
[16] Loi n° 2008-1258 du 3 décembre 2008
[17] Article L225-42-1 Code de commerce
[18] Les rémunérations différées des dirigeants dans les groupes de sociétés après la loi TEPA, 01 juin 2008, BJS, n° 6, p. 525. Y. Paclot, C. Malecki
[19] Ch Com, 3 mars 1987
[20] Articles L 225-38, L 225-41, L 225-42 du Code de commerce
[21] Article R 224-34-1 du Code de commerce ; Décret du 7 mai 2008
[22] Rémunération des dirigeants : « Say on Pay », une réalité bientôt française ?, C. Perchet, J. Sibille, Février 2010 Magazine Décideurs
[23] Réforme de la régulation financière du 21 juillet 2010 (Etats Unis) |
Pour en savoir plus
Code de gouvernement des entreprises, décembre 2008
Rapports du 12/07/2010 et 07/12/2010 de l’AMF sur le gouvernement d’entreprise et la rémunération des dirigeants
Rémunération des dirigeants : évolution ou révolution ? Etude par M. Germain ; La Semaine Juridique Social n° 30, 21 Juillet 2009, 1333
Pour un encadrement des rémunérations des dirigeants mandataires sociaux et des opérateurs de marchés ; La Semaine Juridique Social n° 30, 21 Juillet 2009, act. 397
Stock-options : vers l’âge de raison ou chronique d’une mort annoncée ? B. Erard ; Cahiers de droit de l’entreprise n° 5, Septembre 2010, dossier 28
M. Germain, Traité de droit commercial. Tome 1, Volume 2, Les sociétés commerciales, LGDJ
M. Cozian, A. Viandier, Fl. Deboissy, Droit des sociétés, Litec
Voir aussi sur le sujet les rapports Vienot I (1995), Marini (1996), Vienot II (1999), Bouton (2002) et Clément (2003)
Les rémunérations différées des dirigeants dans les groupes de sociétés après la loi TEPA, 01 juin 2008, BJS, n° 6, p. 525. Y. Paclot, C. Malecki
Rémunération des dirigeants de sociétés cotées, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 41, 9 Octobre 2008, act. 441; G. Notté
BJS 1 nov 2007 n°11 p. 1147, Les modifications apportées par l’article 17 de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 V. Dominique.
Bulletin Joly Bourse, 01 septembre 2010 n° 5, P. 376 ; Éclairage. Gouvernance d’entreprise et rémunération à l’aune de la nouvelle régulation financière américaine, par I. Tchotourian
F.-X. Lucas, « R » comme rémunération, risque et responsabilité : Bull. Joly 2009, p. 333
JCP Fasc. 133-10 : « Président-Directeur général » par F. Mansuy |